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Alsymo veut soigner les malades atteints d’hypertension artérielle pulmonaire

Innovation Article publié le 13 septembre 2023 , mis à jour le 16 janvier 2024

De nombreux malades souffrant d’hypertension artérielle pulmonaire, maladie rare et incurable, évoluent vers un échec thérapeutique. Pour ralentir la progression de cette pathologie, une équipe soudée de scientifiques, fondatrice de la start-up Alsymo, mise sur un médicament agissant sur les récepteurs au N-méthyl-D-aspartate (NMDA) vasculaires pulmonaires.

Environ 50 adultes sur un million souffrent d’hypertension artérielle pulmonaire (HTAP), une maladie rare et incurable. Cette pathologie provoque une prolifération incontrôlée des cellules vasculaires qui obstrue les petits vaisseaux pulmonaires et entraîne une défaillance cardiaque droite. « C’est une maladie très hétérogène, plusieurs sous-groupes se distinguent. Les causes sont mal connues. Dans certaines situations, il existe un facteur génétique, inflammatoire ou médicamenteux. Dans tous les cas, il s’agit d’une agression des parois vasculaires. Nos vaisseaux se réparent tous les jours, mais chez les patients HTAP, cette réparation évolue vers un remodelage vasculaire chronique », explique Sylvia Cohen-Kaminsky, chercheuse au sein du laboratoire Hypertension pulmonaire : physiopathologie et innovation thérapeutique (HPPIT – Univ. Paris-Saclay, Inserm) et cofondatrice d’Alsymo. Les thérapies disponibles à ce jour sont des vasodilatateurs qui traitent les symptômes, mais ne s’attaquent pas à la progression de la maladie. En cas d’échec thérapeutique, la transplantation cœur-poumon ou bipulmonaire est le dernier recours, mais elle n’est possible que pour 50 % des patientes et patients.

L’origine d’Alsymo

En 2011, Sylvia Cohen-Kaminsky, biologiste, fait la connaissance de Mouad Alami, spécialiste en chimie médicinale à la Faculté de pharmacie de l’Université Paris-Saclay. Une rencontre entre ces deux scientifiques de disciplines différentes qui s’avère déterminante : ils ont l’idée de concevoir des antagonistes des récepteurs au N-méthyl-D-aspartate (NMDA) inhibant le mécanisme de remodelage vasculaire. « Les récepteurs NMDA (NMDAR) étaient déjà connus dans le système nerveux central comme essentiels à la mémoire, à la plasticité synaptique et à l’apprentissage. Nos études récentes montrent son implication dans le remodelage vasculaire pulmonaire conduisant à l’HTAP. Il est en effet exprimé et engagé dans les cellules cancéreuses qui prolifèrent, de la même manière que dans les cellules vasculaires dans le cas de cette pathologie », développe Sylvia Cohen-Kaminsky. Les NMDAR ne sont pas cantonnés au système nerveux central. Ils sont également présents dans les organes périphériques, dont les poumons.

Les deux scientifiques poursuivent leurs études dans le cadre du Laboratoire d’excellence (LabEx) LERMIT et en 2014, le projet obtient le label Medicen et des financements de l’Agence nationale de la recherche (ANR). Le projet est aussi lauréat du 1er appel à projets POC-in-Lab Paris-Saclay en prématuration. Deux ans plus tard, renommé NUTS-MAT, il est sélectionné par la SATT Paris-Saclay pour un accompagnement en maturation technologique. Le projet bénéficie également d’un investissement de 652 000 €. La même année, Alain Pruvost, ingénieur au sein du département Médicaments et technologies pour la santé (MTS – Univ. Paris-Saclay, CEA, INRAE) et spécialiste de pharmacocinétique et métabolisme [DMPK/ADME], rejoint l’équipe. La start-up, baptisée Alsymo, est créée en septembre 2022. Rémi Delansorne, expérimenté en R&D biopharmaceutique et stratégie d’entreprise, en prend la direction. Le 21 décembre 2022, Alsymo signe avec la SATT Paris-Saclay le transfert de licence exclusive mondiale.

Un candidat-médicament sélectif

Le projet a dû faire face à un enjeu de taille : assurer la sélectivité du candidat-médicament. Comme l’explique Alain Pruvost : « Si on veut éviter des effets secondaires, il ne faut pas que notre molécule passe la barrière hémato-encéphalique et se retrouve dans le système nerveux central. » Et Sylvia Cohen-Kaminsky d’ajouter : « Nous avons montré que quand on administre notre candidat-médicament chez l’animal, les récepteurs NMDA des autres organes ne sont pas touchés. Cela est lié au fait qu’il y a des verrous dans l’activité de ces récepteurs. Il faut qu’ils soient engagés, que le canal soit ouvert pour que le médicament s’y insère, ce qui est très sélectif. » L’équipe vérifie la sélectivité de son candidat-médicament à travers des tests in vivo et in vitro et confirme qu’il ne se retrouve pas dans le cerveau, mais va bien dans le poumon, l’organe cible.

« Notre candidat-médicament se lie au récepteur NMDA de la paroi vasculaire et est en mesure d’inhiber cette prolifération anormale des cellules vasculaires pulmonaires. Notre antagoniste est capable d’inverser le processus, de rétablir des artères pulmonaires saines chez les animaux et ainsi de diminuer la pression pulmonaire », ajoute Mouad Alami. Au vu des résultats obtenus dans le modèle animal soumis à une HTAP aiguë, le candidat-médicament se révèle prometteur.

Travailler main dans la main avec le centre de référence de l’HTAP

« Notre autre atout, c’est que nous sommes adossés au centre national de référence de l’hypertension pulmonaire, en lien avec les médecins pneumologues de l’hôpital Bicêtre, Marc Humbert, David Montani et Olivier Sitbon. Ils sont des références de rang mondial en la matière », précise Sylvia Cohen-Kaminsky. En suivant les malades, les cliniciens du centre identifient un sous-groupe, qui représente 10 % des patientes et patients ne répondant pas aux vasodilatateurs, voire développant des œdèmes pulmonaires sous traitement. Ces personnes sont, par conséquent, non médicamentées et sur la liste de transplantation super-urgente de poumons. La chercheuse poursuit : « Notre innovation est aussi d’avoir identifié ces patients, qui représentent une opportunité unique de test de notre candidat-médicament en l’absence de tout autre traitement. Nous n’aurons pas à prouver que notre molécule est plus efficace que les vasodilatateurs utilisés chez les autres malades. C’est un positionnement très différentiateur. »

Une phase II en 2027

Alors que la création d’Alsymo s’est faite à un stade de développement technologique déjà bien avancé (TRL 4), l’objectif est désormais de franchir le cap des étapes précliniques réglementaires, puis de commencer la phase I clinique d’ici 24 à 30 mois chez des volontaires sains. « Suivront deux phases II, une sur la forme la plus sévère d’HTAP appelée maladie veino-occlusive pulmonaire, où les personnes n’ont pas de traitement, et l’autre dans l’HTAP courante », précise Mouad Alami. Pour mener à bien ce projet, la start-up prévoit une levée de fonds pour financer le préclinique et la phase I clinique, qui nécessitent dix millions d’euros. Le PDG d’Alsymo explicite : « Nous ne voulons pas enregistrer et commercialiser nous-mêmes le traitement. Nous souhaitons nous concentrer sur le développement afin d’arriver à une preuve de concept clinique en fin de phase II, grâce à laquelle nous pourrons nouer des accords de licence avec une ou plusieurs entreprises pharmaceutiques. Celles-ci feront ensuite les phases III, qui sont très coûteuses, puis lanceront le produit sur le marché. »

Sylvia Cohen-Kaminsky ajoute : « Nous avons su profiter de toute la chaîne de l’écosystème d’innovation de Paris-Saclay, fait des rencontres formidables. Nos intuitions, nos compétences et nos liens avec le centre de référence de l’HTAP nous ont permis de développer trois niveaux d’innovation : l’identification de la cible thérapeutique NMDAR dans le processus de remodelage vasculaire, le développement du candidat médicament antagoniste sélectif des NMDAR et la conception des essais cliniques incluant en priorité la niche de patients avec une forme sévère. » Et Mouad Alami de conclure : « C’est une belle aventure, alliant chimie et alchimie. »

Publications :

Brevets :

  • Nouveaux dérivés adamantane et mémantine utilisés comme antagonistes périphériques des récepteurs NMDA – n° WO2017017116 - 02/02/2017
  • Nouveaux dérivés de dizocilpine utilisés comme antagonistes des récepteurs NMDA périphériques – n° WO2017216159 - 21/12/2017