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Amaelle Landais : reconstruire le climat du passé grâce aux carottes de glaces

Portrait de chercheur ou chercheuse Article publié le 26 mai 2023 , mis à jour le 27 février 2024

Amaelle Landais est glaciologue et climatologue au sein du Laboratoire des sciences du climat et de l’environnement (LSCE - Univ. Paris-Saclay, CNRS, CEA, UVSQ). Elle s’intéresse au passé du climat, qu’elle tente de reconstruire grâce au développement d’instruments et à de nombreuses expérimentations.

Après avoir obtenu un baccalauréat scientifique option mathématiques, Amaelle Landais entre en cycle préparatoire intégré à l'École de chimie de Rennes, en 1995. Puis, en 1997, elle intègre l'École supérieure de physique et de chimie industrielle de la Ville de Paris. En 2001, elle effectue un DEA en sciences du climat à l'université Pierre-et-Marie-Curie (aujourd’hui Sorbonne Université). Elle soutient sa thèse en 2004, au Laboratoire des sciences du climat et de l’environnement (LSCE), où elle travaille encore aujourd’hui. Son sujet porte sur l’étude de la variabilité climatique au Groenland pendant le dernier cycle climatique, via l’étude de plusieurs carottes de glace issues des forages du North greenland ice core project (GRIP et NorthGRIP).

 

L’interprétation des carottes de glace

Le domaine de recherche d’Amaelle Landais vise à connaître le paléoclimat en reconstruisant, notamment, les climats des périodes glaciaires, entre 115 000 et 20 000 ans avant notre ère (lorsque de grandes calottes de glace couvraient le Canada et la Scandinavie), et des périodes interglaciaires, entre 128 000 et 120 000 ans avant notre ère (lorsque la calotte polaire glaciaire de l’hémisphère Nord couvrait uniquement le Groenland, comme c’est à nouveau le cas aujourd’hui). Pour y parvenir, elle développe des méthodes de mesures des isotopes (variants d'un même élément) de l’eau présents dans la glace, mais aussi du diazote (N2), du dioxygène (O2) ou de l’argon encore piégés dans les bulles d’air de cette glace. Et ce, afin de dater et d’interpréter les signaux climatiques des carottes glaciaires. « Les carottes constituent des archives climatiques qui fournissent des datations précises de variations, même sur une année. »

 

De l’expérimentation à l’encadrement d’étudiantes et étudiants

 Suite à sa thèse, Amaelle Landais réalise un post-doctorat à l’Université hébraïque de Jérusalem, où elle développe la mesure de la composition des trois isotopes de l’oxygène dans les molécules d'eau et l’applique à des mesures dans des végétaux et dans la glace des carottes de glace. À son retour en France, en 2007, la chercheuse développe au LSCE un laboratoire analytique dédié à l’étude de différents traceurs de géochimie isotopique dans les carottes de glace, et crée son équipe de recherche, notamment en formant plusieurs étudiantes et étudiants en thèse. Elle obtient son habilitation à diriger des recherches en 2011. « Mon domaine de recherche est proche des préoccupations actuelles et je rencontre de plus en plus d’étudiantes et étudiants qui, au-delà de l’aventure polaire, souhaitent agir et comprendre le climat. Je suis ravie de leur implication dans les sujets qui concernent les enjeux environnementaux et climatiques. »

 

Le développement de nouveaux instruments de mesure

En 2012, Amaelle Landais obtient un financement du Conseil européen de la recherche (ERC Starting Grant) pour le projet COMBINISO grâce auquel son équipe, en partenariat avec d’autres laboratoires, développe des instruments de mesure innovants. Elle les déploie sur les deux stations françaises Dumont d'Urville et Concordia en Antarctique, afin d’étudier des carottes de glace obtenues sur des forages courts (destinés à l’étude du climat des derniers siècles), et longs (mesurant plus de trois km et couvrant jusqu’à 800 000 ans avant aujourd’hui).

 

Interpréter une carotte d’un million et demi d’années

La chercheuse est nommée directrice de recherche en 2016. Elle participe à de nombreux projets à l’échelle nationale et européenne, tels que, depuis 2019, le projet Beyond EPICA Oldest Ice, dans lequel elle est en charge de l’interprétation scientifique de la carotte de glace avec une activité plus particulière dans l’étude des isotopes de l’eau, des gaz piégés dans la glace et de la datation. Ce projet, qui fédère dix laboratoires de recherche européens, vise à forer une carotte de glace en Antarctique couvrant un million et demi d’années, afin d’élucider le rôle de la concentration atmosphérique en dioxyde de carbone (CO2) dans le changement climatique entre 1,2 et 0,9 millions d’années avant notre ère.

En 2020, grâce au programme Marie Skłodowska-Curie, Amaelle Landais pilote le projet ITN DEEPICE qui vise à former quinze étudiantes et étudiants en thèse dans dix pays différents au développement des méthodes d’analyse et d’interprétation de la carotte de glace forée dans le cadre du projet Beyond EPICA, via la mise au point de nouvelles méthodes d’interprétation et de mesure. « Cette dynamique est très enthousiasmante car elle forme une nouvelle génération de chercheuses et chercheurs européens en glaciologie et climatologie. »

 

Expérimentations en milieu terrestre et marin : des recherches interdisciplinaires

En 2019, dans le cadre du projet ICORDA, financé par une ERC Consolidator Grant, Amaelle Landais développe des outils de datation innovants pour les carottes de glace, et initie une étude interdisciplinaire (aujourd’hui financée par la mission interdisciplinaire du CNRS), en collaboration avec la division technique de l'Institut national des sciences de l'Univers (INSU), le Laboratoire interdisciplinaire de physique de Grenoble (LiPhy), l’entreprise Ap2e, et les deux infrastructures nationales Ecotrons du CNRS. « Nous avons développé des chambres biologiques instrumentées, contrôlées, automatisées et multiplexées pour l’étude du fractionnement du dioxygène lors des processus biologiques de respiration et de photosynthèse pour les écosystèmes marins et terrestres. Nous avons aussi développé un nouvel instrument de mesure en continu, par spectroscopie optique, de la composition isotopique du dioxygène de l’air. » Les résultats de ces recherches sont ensuite intégrés dans les modèles climatiques pour, à terme, améliorer l’interprétation des carottes de glaces. « Ce type de projet interdisciplinaire ouvre des perspectives scientifiques intéressantes dans divers domaines tels que la biologie, le climat et l’instrumentation. »

Pour ces travaux, Amaelle Landais reçoit de nombreuses récompenses, comme le prix Etienne Roth de l'Académie des Sciences en 2011, la Médaille Shackleton de l'INQUA en 2017, le prix du mentorat scientifique APECS et le prix sur la recherche scientifique en zone polaire et subpolaire de l’Académie des sciences en 2022.

 

Lier archives et modèles

Depuis 2020, au sein de son laboratoire, Amaelle Landais est responsable de l’animation du département Archives et traceurs, qui regroupe cinq équipes : Glaccios, où elle effectue ses travaux ; Paleocéan, qui étudie la dynamique climatique passée à partir de mesures géochimiques dans les sédiments marins ; Climag, qui développe des techniques de mesures magnétiques à des fins d’archéométrie ou de reconstruction de la circulation océanique du passé; Geotrac, qui travaille sur de nombreuses techniques de datations et sur la géochimie des impacts; et Oceanis, qui étudie le cycle du carbone dans les zones littorales.

La chercheuse gère aussi de nombreux projets expérimentaux ayant pour objet l’observation de terrain, l’étude de processus, et les programmes analytiques sur les carottes de glace. Elle fait le lien avec les modélisateurs et modélisatrices du climat de son laboratoire, en confrontant les données obtenues dans les archives glaciaires avec celles issues de modèles du climat. Enfin, Amelle Landais s’investit dans l’animation de la communauté Carottes de glace France, qui regroupe une centaine de scientifiques dont les activités nécessitent des forages glaciaires pour des applications variées, comme l’étude du climat passé, la glaciologie, la sismographie, etc.