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Anne-Claude Ambroise-Rendu : une historienne engagée de la médiatisation, la pédo-criminalité et l’écologie

Portrait de chercheur ou chercheuse Article publié le 23 novembre 2023 , mis à jour le 17 janvier 2024

Anne-Claude Ambroise-Rendu est professeure d'histoire contemporaine à l'Université de Versailles - Saint-Quentin-en-Yvelines, directrice-adjointe de l'Institut d'études culturelles et internationales, et directrice du Centre d’histoire culturelle des sociétés contemporaines (CHCSC – Univ. Paris-Saclay, UVSQ). L’enseignante-chercheuse étudie l'évolution des représentations des faits divers, de la pédo-criminalité et de l’écologie dans l'opinion publique via la manière dont ils ont été relayés et interprétés par les médias.

Après avoir envisagé une vie au plus près de la nature et décroché un brevet de technicienne agricole en 1979, Anne-Claude Ambroise-Rendu bifurque vers l'histoire. Elle obtient une maîtrise sur les sociétés rurales à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne en 1985. Après avoir passé son agrégation et la décennie suivante dans l'enseignement secondaire, elle renoue avec sa passion pour la recherche. Elle entame une thèse centrée sur les faits divers dans la presse française de la fin du XIXe siècle, qu’elle soutient en 1997. « Malgré le plaisir de la pédagogie, j'aspirais à davantage et ai eu très envie de me replonger dans le plaisir intellectuel intense que procure la recherche. » À travers l'étude des sociabilités dans un arrondissement de la Dordogne entre 1870 et 1929, elle explore comment les médias ont façonné les représentations sociales de l'époque. « Personne ne s’était encore intéressé aux imaginaires véhiculés par les faits divers dans la presse locale, remplaçant alors les réseaux traditionnels de sociabilité. » Pour y parvenir, elle s'attarde sur le pouvoir du langage dans la transmission d'informations, s'appuyant sur les théories de figures comme Roland Barthes et Michel Foucault.

Décrypter l'évolution des perceptions sur la pédo-criminalité

Entre 1998 et 2013, Anne-Claude Ambroise-Rendu occupe le poste de maîtresse de conférences à l’Université de Nanterre. Elle explore l’histoire des sensibilités, notant particulièrement l'importance des faits divers comme vecteurs d'émotions. En intégrant le Centre d’histoire culturelle des sociétés contemporaines (CHCSC) en 2004, elle approfondit son travail sur les médias et se spécialise sur la pédo-criminalité. Elle obtient son habilitation à diriger des recherches sur ce thème en 2010. Puisant dans les archives judiciaires, les discours sociaux et médicaux, ainsi que dans le cinéma et la littérature, elle étudie comment et pourquoi le rythme des dénonciations influence les opinions publiques et modifie la tolérance sociétale. Et la presse, qui réverbère cette opinion, participe de cette évolution.

Ces travaux attirent l’attention du corps médical, du champ judiciaire et des associations pour la protection de l’enfance. Mais aussi des radios, comme Europe1 ou France Culture, qui invitent Anne-Claude Ambroise-Rendu lors de reportages sur d'importantes affaires de pédo-criminalité. « J’ai à cœur de faire prendre conscience que la pédo-criminalité n’est pas un phénomène récent, car elle est aussi ancienne que le patriarcat. Il est par ailleurs essentiel de comprendre que la simple répression ne résout pas le problème. En revanche, définir les valeurs de la société dans laquelle nous voulons évoluer est une démarche bien plus constructive. »

Anne-Claude Ambroise-Rendu enrichit également le débat public grâce à ses ouvrages (Crimes et délits : histoire de la violence de la Belle Époque à nos jours, 2006 ; Histoire de la pédophilie, XIXe-XXIe siècle, 2014…).

Un virage du social à l’écologie

En 2012, elle opère une réorientation radicale de son champ d’expertise vers l’histoire environnementale. Fidèle à son ADN d’historienne, elle se plonge dans les archives pour comprendre pourquoi et comment naissent les luttes environnementales et à quel moment elles débutent. Elle identifie un discours dominant, celui du récit positiviste - notamment tenus par les historiennes et historiens - sur les bienfaits de la croissance, du productivisme, de la technique, ou encore de l’exploitation des énergies. L'envers du décor, à savoir la crise environnementale qui en découle, est identifiée dès le XIXe siècle par des penseurs qui dénoncent et préviennent des effets de cette industrialisation à outrance. Ils suggèrent de formaliser un autre projet pour l’humanité. « La pensée technocritique est bien plus précoce qu’on ne le pense, mais elle fut très peu relayée par les médias. Je pense que ces derniers jouent un rôle prépondérant dans la construction ou l’invisibilisation des problèmes publics. »

Suite à la publication en 2019 de l’ouvrage Une histoire des conflits environnementaux - Luttes locales, enjeu global (XIXe - XXIe siècles), qu’elle co-dirige avec Anna Trespeuch-Berthelot et Alexis Vrignon, et de l’ouvrage Une histoire des luttes pour l’environnement, XVIIIe-XXe siècles, trois siècles de débats et de combats, co-écrit avec Steve Hagimont, Charles-François Mathis et Alexis Vrignon en 2021, Anne-Claude Ambroise-Rendu est à nouveau sollicitée par les médias. « Comprendre l’histoire est primordial pour mieux habiter le présent, car de nombreuses idées existent déjà et ne demandent qu’à être réutilisées. Je suis ravie d’avoir eu l’occasion de l’exprimer grâce à cette médiatisation. »

Interdisciplinarité et rayonnement au CHCSC

En 2020, elle prend la direction du CHCSC, l’un des plus grands laboratoires d’histoire culturelle en France. Il est une composante de l'Institut d'étude culturelle et internationale (IECI), dont elle assure la direction-adjointe depuis cette même année. Il s’intéresse à l’histoire des objets, des représentions, des médias, du patrimoine culturel et naturel, et à leur circulation internationale. On y trouve des historiennes et historiens mais aussi des littéraires ou encore des civilisationnistes. « L’un des piliers de ma vision pour le laboratoire est de favoriser cette interdisciplinarité car le dialogue est indispensable pour nourrir la réflexion et la créativité. » Souhaitant rayonner au-delà du milieu scientifique et enrichir le tissu social, l’enseignante-chercheuse s'engage aussi auprès du grand public. Elle le fait notamment par le biais de partenariats, comme ceux noués avec le centre de recherche du château de Versailles, le musée de la ville de Saint-Quentin en Yvelines et les archives départementales.

Dans le cadre de l’évaluation du Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (Hcéres) prévue en juin 2024, Anne-Claude Ambroise-Rendu fédère ses équipes pour dégager des perspectives stimulantes pour l’avenir. Parmi elles, la participation active aux travaux de la Graduate School Humanités - sciences du patrimoine de l’Université Paris-Saclay, au développement du laboratoire réflexif sur des programmes de recherche dédiés à l'avenir du patrimoine, et au projet de recherche Science(s) et culture(s) : sociétés de la connaissance et médiation des savoirs.

La passion de l’enseignement

Au fil de sa carrière, Anne-Claude Ambroise-Rendu s'est dévouée à la transmission du savoir. Du secondaire à l'université, elle a enseigné à tous les niveaux. « L'enseignement a toujours été une source de plaisir pour moi. J'adopte une approche pédagogique combinant bienveillance et exigence, favorisant ainsi l'autonomie des étudiantes et étudiants. » Elle enseigne l’histoire de la médiatisation, de la justice et du crime, mais aussi des préoccupations environnementales. Outre ses cours, elle apprécie grandement la supervision de doctorantes et doctorants, une responsabilité qui lui offre un enrichissement intellectuel continu. « Je les encourage vivement à s'engager dans la recherche par passion et désir sincère de contribuer à la science. Étant donné que les opportunités de carrière y sont limitées, il est essentiel de les préparer à faire face aux éventuelles désillusions par rapport à leurs ambitions. »

Anne-Claude Ambroise-Rendu (c)UVSQ