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Araceli Lopez-Martens : des noyaux superdéformés aux noyaux superlourds

Portrait de chercheur ou chercheuse Article publié le 28 avril 2023 , mis à jour le 12 mai 2023

Araceli Lopez-Martens est directrice de recherche au CNRS et chercheuse en physique nucléaire expérimentale au Laboratoire de physique des deux infinis - Irène Joliot-Curie (IJCLab – Université Paris-Saclay, CNRS, Université Paris Cité). Spécialiste de l’étude de la cohésion interne des noyaux atomiques, elle s’intéresse aux phénomènes de déformation extrême des noyaux et aux noyaux superlourds, et a contribué tout au long de sa carrière au développement d’instruments de détection. Des travaux qui lui valent de recevoir en 2023 la médaille d’argent du CNRS.

Après son baccalauréat, comme beaucoup de ses camarades, Araceli Lopez-Martens ne sait pas encore sur quelle voie engager ses études. « C’est donc sur les conseils de mon père, chimiste de formation, que je décide de m’orienter vers la physique qui, selon lui, menait à tout », se souvient la chercheuse. Commence alors pour elle un parcours qui la conduit aux quatre coins de l’Europe. Après une double licence de physique et de russe à l’Université du Sussex (Royaume-Uni), elle effectue une première année d’études doctorales en préparant le diplômes d’études approfondies (DEA) Champs, particules, matières à l’Université Paris-Sud (aujourd’hui Université Paris-Saclay), puis un doctorat en physique nucléaire au Centre de spectrométrie nucléaire et de spectrométrie de masse (CSNSM, un des cinq laboratoires aujourd’hui fusionnés pour créer IJCLab) sur l’étude des phénomènes nucléaires à haut moment angulaire, et plus particulièrement sur la superdéformation nucléaire. Ces recherches l’amènent à effectuer des expériences sur les multidétecteurs de rayonnements gamma EUROGAM à Strasbourg et GAMMASPHERE à Berkeley. 

C’est ensuite à l’Institut Niels Bohr de Copenhague (Danemark) qu’elle effectue son contrat post-doctoral sur l’étude des propriétés du rayonnement électromagnétique émis par les noyaux superdéformés. « J’ai alors eu la chance d’intégrer un groupe bouillonnant de physiciennes et physiciens théoriciens et d’expérimentateurs et expérimentatrices au sein duquel j’ai pu toucher du doigt l’intérêt de confronter les données expérimentales aux prédictions théoriques. Ce qui allait profondément marquer ma manière de travailler par la suite », explique la chercheuse. En 1997, elle intègre, en tant que chargée de recherche, le CNRS au sein de l’Institut de recherche subatomiques (IReS), devenu l’Institut pluridisciplinaire Hubert Curien (IPHC) en 2006.

L’études des noyaux superdéformés : d’EUROBALL à AGATA

Depuis sa thèse, Araceli Lopez-Martens s’intéresse à l’étude des formes extrêmes du noyau avec notamment, comme elle le précise, « un accent particulier sur la désexcitation des noyaux superdéformés ». Lorsqu’en 1997, elle rejoint l’IReS, elle se retrouve chargée de la mise en service du multidétecteur Européen de photons gamma EUROBALL, qui succède à EUROGAM. « Cet instrument, le plus performant de sa génération, permettait notamment d’étudier les noyaux en très forte rotation pour mieux comprendre les forces en jeu dans la cohésion de leur nucléons », explique la chercheuse.

Après le démantèlement d’EUROBALL en 2003, elle s’implique dans le projet de construction d’une nouvelle génération de multidétecteur de photons, l’Advanced Gamma-ray Tracking Array (AGATA). Fruit d’une collaboration internationale de 40 instituts dans 12 pays européens, AGATA a pour objectif d’étudier la transition des noyaux atomiques exotiques quand ils passent d’un état excité à un état plus stable. « Ces basculements très brefs s’accompagnent de l’émission de rayons gamma qui viennent interagir avec les cristaux de germanium du détecteur. L’analyse des traces de leur passage nous aide à approfondir notre compréhension du noyau », explique la chercheuse. Dans le cadre de la réalisation du démonstrateur d’AGATA, entre 2003 et 2009, Araceli Lopez-Martens se consacre au développement d’un algorithme de tracking gamma, dont l’objectif est de favoriser la reconstitution de la trajectoire des rayonnements ayant interagi avec le détecteur AGATA. Elle participe ensuite à de nombreuses expériences réalisées avec AGATA et en devient la coordinatrice au niveau français de 2016 à 2022.

L’étude des noyaux superlourds

En parallèle de ses recherches sur les noyaux superdéformés, pour lesquelles son expertise est largement reconnue, elle commence en 2004 à s’intéresser aux noyaux superlourds. « Pour avancer sur cette thématique, il m’a fallu approfondir ma connaissance des techniques expérimentales et des méthodes d’analyse », explique la chercheuse. Un approfondissement qui la mène notamment à lancer, avec l’IReS, un programme de recherche expérimentale au Cyclotron U400 du JINR-Dubna en Russie, appelé Gamma Alpha Beta Recoil Investigations with the ELectromagnetic Analyser (GABRIELA). « Grâce à deux projet financés par l’Agence nationale de la recherche (ANR) dont j’ai été la porteuse en 2006 et 2012, nous avons construit un nouveau séparateur et un système de détection performants, avec lesquels nous avons validé des techniques d’analyses innovantes et obtenus de beaux résultats », indique Araceli Lopez-Martens.

Au premier rang de ces résultats : la découverte en 2020 d’un nouvel isotope du nobelium, le 249No, qui lui vaut, entre autres contributions, une reconnaissance internationale et l’obtention en 2023 de la médaille d’argent du CNRS. « Sur cette thématique des noyaux superlourds, j’ai aussi eu la chance de partir, deux ans, dans le cadre d’une mise à disposition, au sein de l’Université de Jÿvaskÿla en Finlande, où j’ai participé à la mise en service et aux premières expériences du dispositif SAGE, qui sert à la détection simultanée des photons et des électrons de conversion interne émis par les noyaux superlourds au moment de leur formation dans des réactions nucléaires », ajoute-t-elle.

À partir de 2009, Araceli Lopez-Martens s’investit également dans les développements en lien avec le système de détection SIRIUS (Spectroscopie et identification des isotopes rares à l'aide de S3), qui sera bientôt installé au plan focal du spectromètre S3 (Super Separator Spectrometer) au Grand accélérateur national d’ions lourds (GANIL) à Caen.

Démystifier la physique nucléaire

À côté de son activité de recherche, Araceli Lopez-Martens a toujours eu à cœur de contribuer à la diffusion des savoirs, que ce soit dans le cadre de cours, de conférences grand public ou de publications. Ainsi, depuis son recrutement au CNRS, elle a encadré plusieurs stagiaires et doctorantes et doctorants, réalisé un MOOC sur les noyaux superlourds pour l’École doctorale Particules, hadrons, énergie et noyau : instrumentation, image, cosmos et simulation (PHENIICS), donné plusieurs cours à des étudiantes et étudiants (niveau licence, master et doctorat) ainsi que des conférences dans les lycées, dans le cadre du programme NEPAL. « Suite à mon intervention au Congrès général de la Société française de physique, en 2011, pour célébrer le centenaire de la découverte du noyau par E. Rutherford, j’ai donné de nombreux colloques et conférences grand public sur le même sujet, et en 2019, pour les 150 ans du tableau périodique des éléments », indique-t-elle. Ces prises de parole publiques, Araceli Lopez-Martens les affectionnent particulièrement. « J’adore l’histoire des avancées scientifiques et techniques. On y trouve nombre d’anecdotes passionnantes qui, parce qu’elles viennent démystifier le processus d’acquisition des connaissances, contribuent à rendre notre discipline plus accessible à toutes et à tous. Approfondir cette histoire a clairement fait de moi une meilleure physicienne. C’est pourquoi, il me semble important de donner un visage humain à la recherche, pour donner envie au plus grand nombre de s’y engager », explique-t-elle. Rien d’étonnant donc à ce que, cette même année 2019, CNRS Éditions vienne la chercher pour contribuer, avec d’autres chercheurs, chercheuses, ingénieures et ingénieurs, à un ouvrage de vulgarisation intitulé Étonnants infinis. Elle en écrit le chapitre « Ce numéro n’est pas encore attribué ».