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Aurélie Gentils : Optimiser les matériaux d’intérêt nucléaire

Portrait de chercheur ou chercheuse Article publié le 23 juin 2023 , mis à jour le 07 juillet 2023

Aurélie Gentils est physico-chimiste, chargée de recherche CNRS au Laboratoire de physique des deux infinis – Irène Joliot-Curie (IJCLab – Univ. Paris-Saclay, CNRS, Univ. Paris Cité). Spécialisée en sciences des matériaux, elle mène des recherches sur les mécanismes de résistance à l’irradiation de matériaux d’intérêt nucléaire. Avec son équipe, elle a réussi, pour la première fois, à fabriquer un acier renforcé par dispersion d’oxydes en utilisant des ions.

Aurélie Gentils est responsable d’une des deux équipes du pôle Énergie et environnement d’IJCLab. Composée d’une dizaine de membres, l’équipe regroupe sous l’acronyme CHIMENE (Chimie, irradiation, matériaux, modélisation, électrochimie pour le nucléaire et l’environnement) les mots-clefs qui caractérisent ses recherches. « Leur point commun est l’étude de matériaux soumis à des effets tels que la corrosion ou l’irradiation, avec beaucoup d’expérimental et un peu de modélisation », complète la chercheuse.

 

Irradier pour comprendre

Avec ses collègues du thème « Matériaux et irradiation » d’IJCLab, Aurélie Gentils utilise des faisceaux d’ions délivrés par les accélérateurs de particules pour modifier, caractériser ou synthétiser des matériaux d’intérêt nucléaire. Le but ? Étudier de futurs combustibles et les matériaux des structures dédiées aux systèmes nucléaires, actuels et futurs : réacteurs de fission nucléaire de 3e et 4e générations, ou de fusion nucléaire (ITER), petits réacteurs modulaires (SMR), ou matrices de conditionnement des déchets nucléaires. « Nous soumettons ces matériaux à des rayonnements et des températures différentes pour simuler expérimentalement leurs conditions d’usage », explique la chercheuse. Pour cela, elle utilise des matériaux modèles, dépourvus d’impuretés. « Nous formons des hypothèses par rapport au matériau réel, qui nous permettent de comprendre les mécanismes fondamentaux de l’interaction de ces rayonnements de particules avec les constituants du matériau. » Les faisceaux d’ions sont également exploités pour caractériser le matériau, c’est-à-dire repérer des traces de son évolution chimique et son endommagement en fonction de la profondeur. Ces deux axes de recherche sont soutenus par plusieurs programmes, tels que le programme Nucléaire : énergie, environnement, déchets, société (NEEDS) de l’Institut national de physique nucléaire et de physique des particules (IN2P3) du CNRS et de la Fédération de fusion par confinement magnétique – ITER.

 

Une synthèse unique au monde

« Pour améliorer les propriétés mécaniques des aciers, on utilise une dispersion de nano-précipités », détaille Aurélie Gentils. Lors d’échanges avec d’autres scientifiques venus tester les propriétés d’irradiation d’aciers renforcés par dispersion d’oxydes, la chercheuse a l’idée d’utiliser les faisceaux d’ions pour incorporer volontairement dans l’acier des éléments (yttrium, titane, oxygène) s’agglomérant après traitement thermique. « Nous sommes les premiers à avoir utilisé des faisceaux d’ions pour synthétiser des nano-oxydes métalliques dans une matrice ferritique, et ainsi dé-corréler différents paramètres influençant leur formation. » Cette synthèse ouvre de nouvelles perspectives de recherches, menées en collaboration avec le Centre de nanosciences et de nanotechnologies (C2N – Univ. Paris-Saclay, CNRS, Univ. Paris Cité) et l’Institut matériaux microélectronique nanosciences de Provence (IM2NP) à Marseille. « Nous devons parcourir encore beaucoup de chemin avant de réaliser le matériau idéal, mais les premières études ont démontré les mêmes propriétés que lors d’une fabrication conventionnelle. » À terme, l’objectif serait d’optimiser la fabrication industrielle de ces matériaux, pas seulement ceux d’intérêt nucléaire. « Nos études sur les matériaux irradiés (taille et densité des défauts, évolution de la composition élémentaire, etc.) peuvent s’appliquer à tout domaine où le matériau est soumis à des rayonnements (géologie, spatial...). »

 

La plateforme Mosaic

Ces recherches n’auraient pu se réaliser sans l’équipe de la plateforme de recherche Mosaic du laboratoire. Celle-ci regroupe de nombreux équipements, dont les deux accélérateurs ARAMIS et IRMA couplés dans le hall expérimental JANNuS-Orsay et reliés à un microscope électronique en transmission. La diversité des ions accélérés en fait d’ailleurs un dispositif unique au monde. La plateforme comprend également le séparateur d’isotopes SIDONIE, l’accélérateur Andromède et bientôt un implanteur (un accélérateur de plus basse énergie) en provenance de l’Institut de physique des 2 Infinis (IP2I) de Lyon. « Nous avons obtenu récemment un financement pour construire une nouvelle ligne de faisceau pour notre accélérateur d’ions, à laquelle nous couplerons un diffractomètre de rayons X, une autre technique de caractérisation, afin d’obtenir des informations complémentaires sur nos matériaux. »

Ces spécificités confèrent à la plateforme une expertise unique en Europe, mobilisable pour des projets scientifiques dans de nombreux domaines. « En fonction de l’objectif recherché, on peut guider nos ions accélérés dans les différentes lignes, et directement dans le microscope, explique Aurélie Gentils, également responsable scientifique de la plateforme. Nous accueillons des scientifiques du monde entier selon la feuille de route transmise par le comité international d’EMIR&A, une infrastructure de recherche nationale qui regroupe des accélérateurs d’ions et électrons. » 40 % du temps de faisceau sont utilisés par les équipes du laboratoire et le reste est réparti entre des travaux pratiques, des académiques et des industriels.

 

Partager la science

Au lycée, la jeune Aurélie Gentils s’intéresse d’abord à la biologie, avant de bifurquer vers la physique et la chimie lors d’un premier semestre général d’orientation à l’Université Paris-Sud (aujourd’hui Univ. Paris-Saclay). Le déclic pour la recherche se fait lors d’un stage de maîtrise (master 1) effectué dans un laboratoire de l’Université spécialisé dans la fragilisation des matériaux par l’hydrogène, en particulier ceux des réacteurs nucléaires. « À chacune de mes questions, un responsable d’EDF me répondait : on ne sait pas, il faut chercher ! C’est ce que j’ai fini par faire ! » Après son DEA (master 2) en 2000, elle soutient une thèse en 2003 sur la simulation expérimentale des effets des produits de fission au Centre de sciences nucléaires et de sciences de la matière (CSNSM, un des cinq laboratoires fusionnés dans IJCLab). Elle part ensuite effectuer un post-doctorat à l’Université de Glasgow, en Écosse, où elle acquiert des compétences complémentaires en microscopie électronique. De retour en France en 2005, elle est recrutée en tant que chargée de recherche CNRS au Centre d’études et de recherches par ionisation (CERI, aujourd’hui le laboratoire Conditions extrêmes des matériaux : haute température et irradiation, CEMHTI) à Orléans, où elle reste trois ans. Elle revient au CSNSM fin 2008.

L’engagement d’Aurélie Gentils auprès de la jeune génération est évident, que ce soit en encadrant des stagiaires, doctorantes et doctorants (elle obtient son Habilitation à diriger des recherches, HDR, en 2017), en participant aux journées métiers de son ancien lycée à Montereau Fault-Yonne, ou en ouvrant aux scolaires les portes de son laboratoire lors de la Fête de la Science. « Donner envie aux jeunes de faire des sciences, en particulier aux filles, fait partie intégrante de notre métier. » Le message est clair : « Ayez confiance en vous et foncez ! » À l’Université Paris-Saclay ? « Bien sûr ! Le rapprochement des écoles d’ingénieurs et des universités est unique. Plus des profils différents travaillent ensemble, mieux c’est pour la science ! »

 

Aurélie Gentils (c)Univ. Paris-Saclay