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Bertrand Poumellec : utiliser la lumière pour sculpter la matière en profondeur

Portrait de chercheur ou chercheuse Article publié le 09 février 2024 , mis à jour le 16 février 2024

Bertrand Poumellec est chimiste, directeur de recherche à l’Institut de chimie moléculaire et des matériaux d’Orsay (ICMMO – Univ. Paris-Saclay, CNRS) et co-fondateur de l’Objet interdisciplinaire Institut intégratif des matériaux (2IM) de l’Université Paris-Saclay. Spécialiste des propriétés optiques des matériaux transparents, à l’interface entre la chimie des solides et les propriétés physiques, il s’intéresse depuis plus de 30 ans à la création ou aux transformations de ces propriétés par la lumière.

Entré en 1976 à l’École normale supérieure de Saint-Cloud en sciences physiques avec le projet de travailler sur le recyclage des déchets, Bertrand Poumellec se réoriente assez vite vers la chimie et obtient son agrégation en 1979. Il consacre son stage de DEA à la déformation plastique de l’olivine, un cristal de silicate de magnésium et de fer et un des principaux constituants du manteau supérieur terrestre, et soutient en 1981 une première thèse de géophysique en lien avec la déformation des matériaux. La même année, il entre au CNRS au sein du Laboratoire thermodynamique et physico-chimie des matériaux (LPTCM), où il consacre une thèse d’État aux propriétés physiques du rutile, une espèce minérale composée de dioxyde de titane dans la nature et pour cette étude, aussi de tantale, de nobium et de vanadium. « Je m’intéressais aux propriétés structurales, thermodynamiques, magnétiques et de conductivité de ces matériaux, ce qui m’a amené à étudier leurs défauts ponctuels », précise le chercheur.
 

Avec Alcatel, à la découverte des fibres optiques

Curieux de découvrir le monde de l’industrie, Bertrand Poumellec décide, une fois sa thèse achevée en 1986, de donner un nouveau tournant à sa carrière. Il demande en 1987 une année de mise à disposition et rejoint le laboratoire d’Alcatel à Marcoussis (91), en plein développement. « J’y ai découvert un autre domaine de recherche - celui des propriétés optiques des fibres optiques – plein de potentialités d’innovation et de développement. Cette mise à disposition s’est transformée en une collaboration de près de treize ans au cours de laquelle je me suis intéressé à l’élaboration des fibres optiques et à l’optimisation de leur fabrication. » À cette occasion, il développe et approfondit une nouvelle approche qui nourrit progressivement l’ensemble de ses travaux et expériences jusqu’à devenir son thème central de recherche : l’utilisation de la lumière pour transformer les propriétés optiques du verre.
 

Infrarouge et génération de seconde harmonique

« En arrivant chez Alcatel, je me suis intéressé à la génération spontanée de seconde harmonique dans les fibres, autrement dit au pouvoir de la fibre optique de doubler la fréquence de la lumière, ce qui est normalement impossible pour un matériau ayant un centre de symétrie. Il nous a fallu comprendre ce qui peut briser cette symétrie et transformer la fibre », indique Bertrand Poumellec. Ces travaux donnent lieu à des collaborations internationales avec des chercheurs et chercheuses de Moscou, de Riga, de Southampton et mettent en évidence le fait que l’interaction non-linéaire de la lumière infrarouge avec le matériau vitreux qu’est la fibre produit une distribution asymétrique de défauts ponctuels fournissant un doublement de la fréquence. « Cela a été une avancée importante, qui a marqué le début d’une nouvelle ère pour les fibres dans la mesure où ces nouvelles propriétés induites peuvent être utilisées pour acheminer et traiter l’information portée par la lumière. »
 

Ultraviolet et changement de l’indice de réfraction

« Après ces premiers travaux réalisés à partir de lumière infrarouge, les scientifiques se sont rendus compte que la lumière en ultraviolet permet elle aussi des transformations de la matière », poursuit Bertrand Poumellec. Parmi ces transformations structurales induites par l’absorption de la lumière UV, c’est à la densification locale du matériau entrainant une modification de l’indice de réfraction que s’intéresse le chercheur. Et pour cause, lorsque l’on envoie un faisceau lumineux sur un matériau, s’il n’est pas orthogonal à la surface, la lumière est déviée vers les indices de réfraction les plus élevés. « En accroissant localement l’indice de réfraction, on décrit le chemin suivi par la lumière dans le matériau et on crée ainsi des structures comme des guides d’onde, non plus dans les fibres mais dans des plaques de verre servant à faire des circuits optiques. »
 

Vers la constitution de modèles

En utilisant la lumière pour transformer les propriétés optiques des matériaux, Bertrand Poumellec contribue à créer des dispositifs potentiellement utiles pour l’industrie. « Mais pour que l’industrie s’en empare, il nous a fallu être en capacité d’assurer la durée de vie de ces dispositifs. Nous avons donc commencé à travailler sur la constitution d’un modèle de leur évolution temporelle à 25 ans en fonction notamment de la température de fonctionnement. » Pour que ce travail soit accessible en laboratoire, l’approche consiste à augmenter la température sur un laps de temps court et à projeter les données obtenues sur 25 ans. « En collaboration avec Pierre Niay de l’Université des sciences et technologies de Lille, nous avons modélisé le comportement de ces dispositifs et proposé une approche pour déterminer leurs conditions de stabilisation afin d’apporter aux industriels la garantie que ces dispositifs ne perdront pas plus de 3 % de leur efficacité sur 25 ans. »
 

Formation d’une nouvelle génération d’ingénieurs

Au début des années 2000, avec l’accélération des fibres optiques, les programmes de recherche sur les transformations des propriétés optiques des matériaux induites par la lumière se multiplient en Europe. « J’ai alors eu la chance de participer à plusieurs programmes européens et de coordonner un projet de 2000 à 2005 – le projet Optical Devices Using Photosensitivity in their elaboration (ODUPE) du programme Human Potential in Mobility Research Training Network (RTN) – dans lequel ont travaillé des chercheurs et chercheuses de onze universités européennes et de différentes disciplines : chimie des verres, structure des défauts ponctuels, maîtrise des propriétés physiques, réalisation de dispositifs, etc. Cette collaboration de formation avait pour but de former les futurs ingénieurs de ces domaines à ces problématiques pluridisciplinaires pour qu’ils en aient une vue large. »
 

Les transformations induites par le laser femtoseconde

À partir de 2007, c’est aux transformations induites par le laser femtoseconde, dont l’utilisation commence à se développer, que s’intéresse Bertrand Poumellec. « Avec mon collègue de Southampton, qui a mis en évidence la création d’une nanostructure orientable avec la polarisation de la lumière, nous avons montré qu’il est possible de donner une force à la lumière », explique le chercheur. Ces résultats le conduisent à initier un nouveau champ de recherche autour de l’idée selon laquelle, au-delà de son effet boule d’énergie, l’impulsion lumineuse porte en elle une propriété physique capable d’orienter certaines structures. « J’ai ainsi mis en évidence l’orientation de nano-cristaux, en particulier du niobate de lithium, avec la polarisation lumineuse. Je pense que l’avenir montrera que l’on peut façonner la lumière pour sculpter la matière sans contact physique. »
 

L’Institut intégratif des matériaux : un projet interdisciplinaire

En parallèle de ces activités de recherche, Bertrand Poumellec nourrit depuis toujours l’idée de créer un Institut des matériaux au sein duquel une communauté interdisciplinaire se focaliserait non pas seulement sur la création des matériaux, mais aussi sur le devenir et l’impact de ces derniers sur la société. C’est désormais chose faite avec la création de l’Objet interdisciplinaire Institut intégratif des matériaux (2IM) de l’Université Paris-Saclay qu’il co-dirige. « Il me semble plus que jamais urgent, lorsque nous travaillons à la création de plastique ou de batteries au lithium, d’avoir conscience des enjeux associés au développement de ces matériaux et de s’interroger collectivement sur leur devenir », insiste en conclusion le chercheur.

 

Bertrand Poumellec