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Cancer : Quand les organoïdes de tumeurs orientent le traitement

Innovation Article publié le 25 mars 2022 , mis à jour le 25 mars 2022

Comment être sûr qu’un traitement anticancéreux donné à un patient sera bien le plus adapté pour combattre son cancer ? Alliant biologie cellulaire, statistique et médecine personnalisée, le projet ORGANOMIC vise à développer en laboratoire des avatars de la tumeur de chaque patient sur lesquels tester en amont différentes thérapies anticancéreuses. Celle qui se montrera la plus efficace in vitro sera alors prometteuse pour son application au patient. 

« Chaque tumeur est unique. Sa réponse aux traitements le sera donc aussi », signale en préambule Fanny Jaulin, chercheuse au laboratoire Dynamique des cellules tumorales (DCT - Univ. Paris-Saclay, Gustave Roussy, Inserm) et responsable scientifique et technique du projet ORGANOMIC. Dès lors, identifier quel traitement appliquer à un patient pour obtenir les meilleurs effets sur son cancer s’avère une vraie gageure pour les médecins. Avec le projet ORGANOMIC, lauréat de l’appel à projets de recherche hospitalo-universitaire en santé (RHU) 2021 qui encourage les partenariats entre académiques et industriels pour le développement de thérapies innovantes, Fanny Jaulin et ses collaborateurs et collaboratrices souhaitent aujourd’hui faciliter ce processus grâce aux organoïdes de tumeurs. Ces reproductions à petite échelle et en laboratoire de la tumeur d’un patient serviront à perfectionner les traitements anticancéreux.

En amont du projet, la chercheuse et son équipe ont d’abord optimisé la méthode à employer afin de créer ces avatars en laboratoire. La méthode consiste à mettre en culture une centaine de cellules cancéreuses prélevées par biopsie sur la tumeur d’un patient ou d’une patiente et à les déposer dans un hydrogel, où elles vont former des petites boules. Ces sphères, d’une centaine de micromètres (0,1 mm) de diamètre, sont ensuite soumises à une batterie de tests de chimiothérapie et d'immunothérapie, tout en étant scrutées au microscope et analysées par des techniques de biologie moléculaire afin d’évaluer leur réponse au traitement. Après avoir démontré que ces avatars constituent bien des copies fidèles de la tumeur du patient ou de la patiente, l’équipe a également réussi à prouver que leur réaction mime exactement celle du patient. 

Aujourd’hui, l’équipe souhaite savoir si les préconisations obtenues par leur biais peuvent réellement aider les médecins. « Sont-ils de bons outils pour orienter le traitement des patientes et patients ? C’est tout l’enjeu de notre essai clinique en cours. Nous savons que ces avatars de tumeurs sont valides, nous cherchons maintenant à prouver qu’ils sont utiles », explique Fanny Jaulin. L’avantage conféré serait indéniable : alors que médecins, pharmaciennes et pharmaciens n'ont qu'un seul essai pour définir une stratégie thérapeutique, les biologistes ont avec les organoïdes de tumeurs toute latitude pour tester toutes les combinaisons possibles de traitements.

 

L'oncologie se tourne vers la médecine personnalisée

Car depuis les années 60, les traitements anticancéreux ont gagné en précision et prennent désormais en compte la diversité tumorale. Au départ, les médecins choisissaient le traitement selon l'organe touché par la tumeur, comme par exemple des médicaments de la famille des taxanes dans le cas des cancers du sein. Puis les progrès de la génétique ont permis de caractériser chaque tumeur à l'échelle moléculaire. Fanny Jaulin explique : « Ces dernières années, la cancérologie s’est orientée vers la médecine personnalisée. L’approche la plus utilisée a d’abord été la génomique, afin de prédire les traitements en fonction des mutations. Or elle n’est pas toujours efficace, et seuls 7 % des patientes et patients en bénéficient. Nous souhaitons donc proposer une approche alternative basée sur des observations et non plus sur des prédictions. » Pour cela, l’équipe développe des tests rapides, fiables et standardisés, utilisables sur les cellules prélevées chez chaque patient ou patiente. Elle s’attèle à améliorer la miniaturisation de ces tests grâce à une approche microfluidique. Cela augmente le nombre d'examens réalisables avec une même quantité d’échantillon de tumeur.

« À terme, notre approche pourra être appliquée à tout type de cancer. Mais pour les besoins de notre étude, nous en avons réduit le champ d’observation et choisi de la tester sur des cancers digestifs. Dans le cas des cancers colorectaux, qui réagissent peu aux traitements (moins de 5 % dans le cas de l’immunothérapie) et sont la deuxième cause de mortalité due au cancer, cette approche pourrait être une révolution. D’autant plus que ce secteur affiche actuellement un manque d’innovation thérapeutique », commente Fanny Jaulin. C’est dans ce but que la biologiste travaille main dans la main avec des médecins du comité de pathologie digestive de l’Institut Gustave Roussy, et a lancé en janvier 2022 l'étude clinique Organotreat de phase I/II. Aujourd’hui, le protocole mis au point par l’équipe parvient en moins de deux mois à préconiser un traitement pour les cancers digestifs.

 

Un diagnostic en trois actes

L’essai clinique et les recherches réalisées se prolongent aujourd’hui au sein du projet ORGANOMIC, qui comprend trois axes de recherche. Le premier, CHEMOGRAM, dans la continuité directe de l’essai Organotreat, a pour objectif d’utiliser les organoïdes de tumeur afin de prédire la réponse du cancer aux traitements chimiothérapeutiques. « Pouvoir tester sur ces avatars une vingtaine de médicaments nous permet de sortir des traitements classiques pour les tumeurs digestives, et d’ouvrir l’analyse à des médicaments anticancéreux traditionnellement utilisés pour combattre d’autres types de tumeurs (cancer du sein, du pancréas…). Nous pouvons ainsi tester des médicaments efficaces qui possèdent déjà une autorisation de mise sur le marché mais ne seraient pas le premier choix du médecin », indique la chercheuse. Grâce à CHEMOGRAM, les médecins disposeront d’un aperçu des médicaments, même atypiques, qui ont le mieux détruit les cellules tumorales in vitro, et s'en serviront pour établir leur prescription.

Forts de leurs premiers succès, les chercheurs et chercheuses s’attèlent déjà à développer la nouvelle génération de tests. Le deuxième axe, IMMUNOGRAM, vise ainsi à prédire la réponse immunitaire du patient ou de la patiente à une immunothérapie. Cette stratégie thérapeutique stimule son système immunitaire pour l'aider à détruire la tumeur. L’étude sur organoïdes de tumeur représente un défi supplémentaire car elle nécessite de recréer tout l’environnement tumoral, y compris les cellules immunitaires, et pas seulement les cellules cancéreuses.

Les recherches réalisées dans ces axes CHEMOGRAM et IMMUNOGRAM du projet concernent des patientes et patients traités pour un cancer résistant et dont la maladie est dans la dernière ligne de traitement. Car elles ne doivent pas interférer avec les soins prodigués, qui requièrent souvent au début d'autres options comme la chirurgie.

Le dernier axe, INVAGRAM, s’attachera justement à suivre les patientes et patients dès le début de leur maladie. Il s’agira d’observer l’évolution de leur tumeur sur plusieurs années, et ce dès sa détection. En parallèle, l’équipe examinera celle des avatars placés dans un environnement mimant le stroma tumoral. Grâce aux techniques déjà développées par l’équipe, il sera possible de suivre la dynamique invasive in vitro, et de voir si certains comportements des sphères tumorales (invasion rapide ou lente, collective ou individuelle…) sont en lien avec la capacité invasive de la tumeur chez le patient ou la patiente. Si un lien est trouvé, il aidera à prédire la dangerosité d’une tumeur dès les premiers stades de la maladie.

 

Un projet au long cours

Financé pour cinq ans, ORGANOMIC regroupe plusieurs partenaires : l’Université Paris-Saclay, membre fondateur du projet, l'Inserm et l’Institut Gustave Roussy où se déroule l’essai clinique Organotreat. L’Institut Pasteur et la start-up Okomera apportent également leur contribution pour le développement des puces microfluidiques nécessaires à la culture des organoïdes de tumeur. De son côté, CentraleSupélec procèdera aux analyses d’imagerie, informatiques et statistiques. La start-up SEngine, spécialiste de la médecine de précision, est également présente et le groupe AstraZeneca est impliqué dans le développement des avatars de tumeur.

L'équipe espère obtenir très prochainement des premiers résultats, dès la fin de l'analyse de l'étude clinique de phase I/II Organotreat. Pour prouver l'utilité des avatars de tumeurs, les scientifiques ont besoin de récolter rapidement un maximum de données à partir d’un échantillon limité de cellules. Il leur faut démontrer la pertinence de ces tests in vitro systématiques pour orienter la décision du médecin. « Avec notre étude observationnelle, nous espérons développer une approche pragmatique et exhaustive, et améliorer le traitement des patientes et patients », conclut Fanny Jaulin.

 

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