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Carembouche : des probiotiques appétissants pour lutter contre la dénutrition

Innovation Article publié le 01 décembre 2022 , mis à jour le 08 mars 2023

Créée en 2021, la start-up Carembouche utilise un probiotique développé lors du projet LactoInside au sein du laboratoire Microbiologie de l'alimentation au service de la santé humaine (MICALIS – Univ. Paris-Saclay, INRAE, AgroParisTech). Il s’agit de favoriser l’apport énergétique pour des personnes qui ne mangent pas suffisamment et couvrir leurs besoins.

En France, deux millions de personnes, principalement des adultes hospitalisés et personnes âgées, sont dénutries. Ces adultes perdent l’appétit en raison de difficultés à se mouvoir, à manger, à mâcher ou à cause de traitements lourds. La perte de poids qui en découle engendre une spirale pernicieuse : elle entraine une grande fatigue, une sarcopénie (c’est-à-dire la fonte de la masse et de la force musculaire), un appauvrissement du microbiote intestinal et la fragilisation des défenses immunitaires. Les personnes concernées subissent une dégradation de leur qualité de vie, une perte d’autonomie et deviennent plus sensibles aux maladies. Muriel Thomas, directrice de recherche au sein de l’Institut MICALIS rappelle que « la dénutrition augmente la mortalité d’un facteur quatre, ce qui en fait un problème majeur de santé publique ».

 

Une souche bactérienne à l’effet probiotique protecteur

Dans le cadre d’un projet financé par Carnot Qualiment (2019-2021), la chercheuse, qui effectue des recherches sur le microbiote et leurs effets sur la santé digestive depuis vingt ans, parvient, en 2019, à isoler une souche bactérienne de Lactobacillus. Cette souche comporte un effet probiotique qui protège la masse musculaire chez des modèles animaux âgés et dénutris. Grâce au projet LactoInside, financé par la SATT Paris-Saclay, la chercheuse valide ensuite l’innocuité de ce probiotique. Forte de cette découverte, Muriel Thomas signe une licence exclusive avec l’INRAE pour l'exploitation de ce probiotique et souhaite aller plus loin : « après avoir déposé plusieurs brevets, je voulais que mes recherches trouvent un débouché dans la vie pratique, alors pour passer à l’action, j’ai décidé de suivre une formation à la création d’entreprise ». Dès 2020, elle s’initie ainsi à l’entrepreneuriat, grâce à l’incubateur mutualisé du cluster Paris-Saclay Incuballiance. Elle y suit les programmes Genesis Light et Genesis Lab, dédiés à la facilitation des transferts technologiques des laboratoires de recherche vers le monde industriel.

 

Un trio à l’attaque de la dénutrition

Suite à cette formation, Muriel Thomas décide de créer une start-up. Comme elle souhaite poursuivre ses travaux de recherche en parallèle de ce projet, elle s’y investit à hauteur de 40 % de son temps en tant que conseillère scientifique, et en propose la direction à Odile de Christen, alors cheffe de projet informatique à l’international. Cette dernière, qui envisage de changer de carrière pour s’investir dans un projet à impact sociétal, accueille la proposition avec enthousiasme : « Muriel connaissait mes compétences entrepreneuriales et ma motivation à m’engager dans une aventure humaniste. Car, comme elle, je suis convaincue que la malnutrition ne devrait plus être admise dans notre société. » La chercheuse se rapproche aussi de Francisca Joly, professeure en nutrition à l'Université Paris VII Denis Diderot, gastroentérologue et nutritionniste au CHU Paris Nord-Val de Seine - Hôpital Beaujon. Elle lui confie la responsabilité de conseil en nutrition clinique, car Francisca Joly souhaite proposer de nouvelles solutions à ses patients, et voit dans le projet une piste très prometteuse.

 

Carembouche : des gourmandises-santé qui donnent envie de manger

En 2021, les trois entrepreneuses cofondent la start-up Carembouche. Le choix de ce nom reflète leur ambition : care signifie prendre soin (et fait aussi référence à la forme carrée du produit), et bouche fait référence à son caractère facile à ingérer. Sa mission est de développer des aliments suscitant l’envie de manger sous forme de petites bouchées appétentes enrichies en nutriments, en prébiotiques et en probiotiques identifiés par Muriel Thomas : « les probiotiques existent principalement sous forme de gélules ou de poudres. Or, les personnes âgées ou malades ont déjà beaucoup de médicaments et ne se nourrissent pas suffisamment pour couvrir leurs besoins. Intégrer des probiotiques à des gourmandises-santé facilite l’augmentation des apports alimentaires (notamment en protéines) et des probiotiques ». Odile de Christen ajoute : « notre solution répond parfaitement aux recommandations de la Haute Autorité de santé qui préconise le fractionnement alimentaire pour les personnes qui rencontrent des difficultés à se nourrir ». En collaboration avec des cuisiniers, l’équipe mise sur le format, mais aussi les goûts, la texture et la facilité de prise en main sans salissure des bouchées, critères essentiels pour susciter l’envie de manger.

Actuellement Carembouche est la seule sur le marché à offrir un aliment enrichi en probiotiques dédié aux personnes à risque de dénutrition. Elle est rapidement reconnue par Bpifrance comme étant un projet d’innovation de rupture à un fort potentiel commercial. Bpifrance lui attribue d’ailleurs une subvention via son dispositif French Tech Emergence.

 

Un test réussi avant une possible commercialisation

La start-up travaille en partenariat avec l’EHPAD Notre-Dame de Puyraveau situé dans le département des Deux Sèvres. « Cet établissement est l’un des premiers à avoir identifié dans le manger-main (ou finger food en anglais), une solution pour leurs résidentes et résidents dénutris qui peinent à se nourrir », note Odile de Christen. L’équipe y a déjà réalisé un test de sensorialité en proposant 18 000 bouchées produites à partir de 15 recettes sucrées différentes. Grâce à cette expérimentation, 60 résidentes et résidents en ont mangé 20 par jour pendant 15 jours. « Les retours sont très positifs, le format, la texture et les saveurs de nos produits ont été très appréciés » s’enthousiasme Odile de Christen.

La start-up, qui recherche actuellement des financements, travaille à transformer le prototype en produit commercialisable. Cela nécessite d’améliorer sa durée de conservation, de créer de nouvelles recettes sucrées et salées, de concevoir un emballage adapté ou encore de développer la visibilité du produit et un réseau de ventes. « Nous prévoyons de lancer sur le marché, début 2023, des bouchées enrichies en protéines et d’y ajouter les probiotiques à la fin de cette même année », annonce la CEO de Carembouche.

Les projets de la start-up ne s’arrêtent pas là, car l’équipe pourrait envisager, à la demande de cliniciennes et cliniciens, d’intégrer de nouveaux nutriments à ses collations.