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Claire de March : la découverte de la structure expérimentale d’un récepteur olfactif

Portrait de chercheur ou chercheuse Article publié le 15 mars 2024 , mis à jour le 28 mars 2024

Claire de March est chercheuse CNRS à l’Institut de chimie des substances naturelles (ICSN – Univ. Paris-Saclay/ CNRS), au sein du département chimie et biologie structurales et analytiques et de l’équipe RMN, biologie et chimie structurales. Passionnée de chimie, elle a découvert la structure expérimentale d’un récepteur olfactif.

Dès le lycée, Claire de March excelle en chimie. Résistant aux conseils d'orientation vers un CAP esthétique, elle opte pour un bac technique en chimie, qu'elle réussit brillamment en 2005 au lycée d’Arsonval à Saint-Maur-des-Fossés. Avec pour objectif l'ISIPCA, une école prestigieuse en parfumerie et aromatique, elle enrichit son bagage par un BTS, puis une licence en chimie à l'Université de Versailles - Saint-Quentin-en-Yvelines. Elle y est admise en master professionnel en 2008 et effectue son alternance chez le groupe Bel, travaillant sur l'arôme complexe du fromage Boursin®. Son mémoire de recherche porte sur la mesure précise de cet arôme, c’est-à-dire de ses particularités trigéminales (piquantes) et de son évolution temporelle. En vue de poursuivre sa carrière académique, Claire de March s'inscrit en 2011 à un second master en chimie moléculaire à l'Université Pierre et Marie Curie, (aujourd’hui Sorbonne Université). Elle réalise à cette occasion un stage à l'Université de Nice, où elle se consacre à la caractérisation aromatique des olives de table, dans le but de distinguer les appellations d'origine contrôlée par des profils aromatiques distincts.
 

L’exploration computationnelle des mécanismes olfactifs

Durant sa thèse, effectuée de 2012 à 2015 à l'Université de Nice, Claire de March, formée en chimie analytique et organique, se tourne vers la chimie computationnelle. « Je n’ai touché à aucune paillasse pendant trois ans ! » Elle cherche à modéliser le processus olfactif, de la capture des molécules odorantes à leur traitement cérébral, pour décrypter l'interaction entre les molécules et les protéines du mucus nasal, essentielle à la génération des signaux électriques olfactifs.

Elle s'intéresse particulièrement à la manière dont le système olfactif, doté de jusqu'à 400 types de récepteurs, interprète les odeurs. Claire de March compare cette capacité à un « très grand piano avec 400 touches », où chaque molécule odorante active une combinaison unique de touches pour créer une mélodie olfactive distincte, illustrant le code combinatoire de la perception des odeurs. « On estime que l'être humain peut percevoir entre 10 000 et un milliard d'odeurs différentes, ce qui souligne l'étendue et la complexité de notre capacité olfactive. »

Pour dépasser les limites des observations directes, impossibles en raison de la petite taille et de la complexité des récepteurs olfactifs, elle se consacre à la simulation sur ordinateur. Cette méthode lui permet d'examiner de près la structure spatiale et l'organisation atomique des récepteurs, aboutissant à des modèles d'une précision inédite. Grâce à des simulations de dynamique moléculaire, qui calculent l'état le plus probable de la protéine à chaque femtoseconde (fs ou 10-15 s), elle produit une séquence qui révèle la vie dynamique de la protéine sur une échelle de temps allant jusqu'à la microseconde (µs ou 10-9 s). « Ce procédé a apporté une compréhension nouvelle du comportement dynamique de ces protéines essentielles à la perception des odeurs. »


Collaboration postdoctorale aux États-Unis

En janvier 2016, Claire de March rejoint le laboratoire de Hiroaki Matsunami à l'Université Duke, en Caroline du Nord, dans le département de génétique moléculaire et microbiologie, et entame un post-doctorat. « J’avais sollicité son aide pour valider les hypothèses développées durant ma thèse, et j’étais ravie de travailler à ses côtés, car il a développé plusieurs méthodes inédites permettant de mesurer l'activation des récepteurs olfactifs par les molécules odorantes. » Ce passage marque un enrichissement mutuel : la chercheuse se familiarise avec les techniques de biologie cellulaire, apprend à cultiver des cellules et à manipuler l'ADN, tandis qu'elle apporte au laboratoire son expertise en chimie computationnelle.
 

OR51E2 : la première structure expérimentale de l’histoire

En 2020, grâce à la bourse NIH Pathway to Independence Award (K99/R00) et en collaboration avec l'Institut de recherche City of Hope National Medical en Californie, Claire de March se concentre sur un problème essentiel : l'expression insuffisante des récepteurs olfactifs dans les modèles. « Cette limitation entrave considérablement les expériences de biochimie nécessaires pour mesurer précisément les interactions entre les molécules odorantes et les récepteurs olfactifs, ainsi que pour obtenir une compréhension structurale de ces protéines. » À cela s’ajoute un autre défi, celui du manque de stabilité du récepteur olfactif dans la membrane des modèles cellulaires.

Pour dépasser ces limitations, la théorie du consensus attire l’attention des deux chercheurs. Claire de March propose que l'acide aminé le plus fréquemment présent dans une famille de protéines est probablement celui qui optimise leur fonction, contrairement à un acide aminé sélectionné au hasard. Ils entreprennent ainsi de créer des récepteurs olfactifs consensus, intégrant tous les acides aminés les plus couramment observés chez les récepteurs olfactifs. « Ces récepteurs n'existent pas dans le nez humain, mais ils peuvent être comparés à des récepteurs ancestraux, à partir desquels tous les autres récepteurs ont évolué. Ce sont des récepteurs "ingéniérés". »

Grâce à cette exploration approfondie, ils identifient également le récepteur olfactif humain OR51E2. La chercheuse collabore ensuite avec des chercheurs de l'université de Californie, à San Francisco, pour réaliser la microscopie cryo-électronique de ce récepteur olfactif consensus, et réalise ainsi la première structure expérimentale de l’histoire. « C'était une expérience incroyable ! Comme de nombreux chercheurs et chercheuses, j'ai cherché pendant des années à deviner à quoi ressemblaient ces récepteurs olfactifs, découverts seulement en 1991. Jamais je n'aurais imaginé le réaliser de mon vivant de chercheuse ! » Cette découverte est publiée en 2023.


Son arrivée à l’ICSN

De retour en France, Claire de March réussit le concours du CNRS et intègre l'Institut de chimie des substances naturelles (ICSN) comme chargée de recherche en décembre 2022. « Grâce à la connaissance expérimentale de la structure statique du récepteur olfactif, j'ai l'opportunité d'ouvrir de nouvelles voies sur la compréhension de son fonctionnement, de ses interactions avec les molécules odorantes, de ses affinités, ainsi que de l'impact du consensus, de sa conservation et de sa stabilité. » Tout en se focalisant sur ces aspects, Claire de March n'écarte pas la perspective d'explorer, à l'avenir, les implications sociologiques des odeurs et leur influence sur les comportements humains.
 

Lauréate du prix Irène Joliot-curie « Jeune femme scientifique » 2023

Cette récompense, obtenue en novembre 2023, consacre non seulement l’excellence scientifique des travaux de la chercheuse mais aussi son rôle de modèle pour les futures générations de chercheuses. « Les modèles féminins en science sont précieux mais rares. Bien que Marie Curie soit une source d'inspiration indéniable, son génie semble inatteignable. Mon ambition est de prouver qu'il est possible de s'épanouir dans la recherche par des voies diverses et accessibles. »


 

Claire de March