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Claire Gaudichon : Les isotopes stables pour traquer les protéines alimentaires dans l’organisme

Portrait de chercheur ou chercheuse Article publié le 16 avril 2021 , mis à jour le 16 avril 2021

Claire Gaudichon est professeur en nutrition humaine, responsable de la spécialité « Nutrition et santé » du master Nutrition et science des aliments de l’Université Paris-Saclay et directrice du laboratoire Physiologie de la nutrition et du comportement alimentaire (PNCA – Université Paris-Saclay, AgroParisTech, INRAE). Depuis près de trente ans, elle consacre ses recherches aux problématiques de digestion des protéines, de métabolisme protéino-énergétique et de qualité de l’apport protéique chez l’être humain, notamment en utilisant les méthodes de marquage par isotopes stables.

C’est en 2018, après avoir assumé pendant plus de quinze ans des fonctions managériales (chef d’équipe, directrice adjointe d’unité), que Claire Gaudichon devient directrice du laboratoire PNCA dont les travaux portent sur les conséquences des variations des apports protéiques sur la santé. « Au sein de cette unité, j’ai eu la chance de pouvoir accompagner, dans le cadre de mes recherches, certaines des grandes questions d’alimentation. Après avoir travaillé pendant près de dix ans sur les régimes hyperprotéiques, je me consacre aujourd’hui, dans un contexte d’alimentation durable, à l’exploration de la qualité des protéines, notamment végétales, ainsi qu’à la recherche méthodologique inhérente à cette thématique. » 

 

La manipulation des isotopes stables comme fil rouge

Alors qu’en 1990 elle décroche son diplôme d’ingénieur agronome avec une spécialité en sciences animale à l’Institut national agronomique de Paris-Grignon, Claire Gaudichon décide de s’engager dans une thèse CIFRE sur la digestibilité des protéines de lait et de yaourt chez l’être humain. « C’est à cette époque que je découvre les méthodes de marquage des protéines alimentaires par isotopes stables, que je devais développer et qui allait constituer le fil rouge de mes recherches tout au long de ma carrière », se souvient la chercheuse. Une carrière qui aurait pu prendre une toute autre trajectoire lorsque, à l’issue de sa thèse, elle rejoint le groupe Danone. « J’ai accepté ce poste chez Danone, à défaut de partir en post-doc en Angleterre comme initialement prévu. Je souhaitais revenir vers le monde académique, mais cette expérience dans le secteur privé m’a beaucoup enrichie. » Un an plus tard, une opportunité se présente sous la forme d’un poste d’enseignant contractuel au sein de la chaire de Nutrition humaine d’AgroParisTech, que Claire Gaudichon accepte immédiatement. « C’est ainsi que, après avoir obtenu le concours qui me permettait de pérenniser mon poste d’enseignant, j’ai pu rejoindre le laboratoire qui allait devenir en 2002 le laboratoire PNCA que je dirige aujourd’hui. » 

 

La question des régimes hyperprotéiques

Au sein de cette unité, dont les recherches ont pour objectif d’évaluer comment les variations de l’apport protéique influent sur la physiologie, le métabolisme et le comportement alimentaire, et quelles en sont les répercussions sur la santé, Claire Gaudichon se consacre dès 1997 à la question des régimes hyperprotéiques qui font alors l’objet d’un intérêt grandissant. Elle s’intéresse notamment au lien entre apport protéique, adaptations métaboliques et satiété chez l’être humain. C’est sur des modèles animaux qu’elle réalise alors une part importante de sa recherche. « Grâce à l’animalerie de rongeurs dont s’était dotée le laboratoire en s’installant à AgroParisTech, nous avons pu étudier les effets à long terme des régimes hyperprotéiques sur les rats – ce que nous aurions difficilement pu faire sur l’être humain », explique-t-elle. Des recherches qui permettent à son équipe de mettre en évidence certains effets bénéfiques de ces régimes sur la prise alimentaire et sur le plan métabolique, sans effets délétères sur les grandes fonctions de l’organisme. « Nous nous sommes toutefois aperçus que, transposés à l’être humain, ces effets bénéfiques n’étaient au final pas si importants et que, dans un contexte où la protéine était une ressource à préserver, il n’était pas utile d’en faire une surconsommation. » 

 

Le virage de l’alimentation durable

Cette problématique de préservation des ressources appliquée à l’alimentation commence à faire son apparition à la fin des années 2000 à travers des appels d’offre orientés vers   l’alimentation durable. « Je me souviens qu’à l’époque on se demandait comment faire entrer nos objets de recherche dans ces thématiques d’alimentation durable, alors qu’aujourd’hui elles sont prépondérantes dans le laboratoire. » Progressivement, c’est donc à la question de l’exploration de la qualité des différentes sources de protéines chez l’être humain que Claire Gaudichon consacre ses efforts. « J’ai repris mes traceurs isotopiques et mes sondes intestinales chez l’être humain et c’est ainsi que j’ai ré-intensifié mes activités sur la qualité des protéines animales/végétales. » Par exemple entre 2012 et 2015, elle travaille sur la digestibilité des protéines de la viande selon les procédés de cuisson dans le cadre d’un projet sur l’alimentation durable financé par l’Agence nationale de la recherche (ANR).  

 

Accompagner la transition protéique

La question des protéines végétales en substitution des sources animales est devenue une préoccupation sociétale majeure, à la fois pour des enjeux environnementaux mais aussi éthiques. « Après 2015, la tendance était de plus en plus au changement d’alimentation, aux régimes d’exclusion de tel ou tel aliment, et surtout à la transition vers une alimentation davantage tournée sur les sources végétales. Il nous fallait donc acquérir beaucoup de données sur ces sujets. » Depuis 2016, Claire Gaudichon coordonne un projet de recherche, à nouveau financé par l’ANR, sur le potentiel des oléo-protéagineux – tournesol, colza, lin – en alimentation humaine. « Le laboratoire cherche à évaluer jusqu’où l’on peut aller dans cette transition. À titre personnel, je ne milite pas pour l’éviction de la viande ni des produits animaux. Je me méfie de toutes les formes d’injonctions sur ces sujets éminemment complexes, pour lesquels il est important d’avoir des données objectives sur les répercussions sur la santé des individus et des populations. » 

 

La nécessité d’innover méthodologiquement

« À mesure que les recherches avancent, les méthodes d’évaluation de la qualité des protéines doivent elles aussi évoluer », plaide enfin Claire Gaudichon. Et pour cause, alors qu’il y a quelques années les chercheurs se contentaient de mesurer la digestion globale de la protéine, aujourd’hui c’est la digestibilité de chaque acide aminé qu’ils cherchent à quantifier, ce qui est méthodologiquement plus complexe et impose d’aller récupérer de la matière dans l’intestin grêle directement. Sur recommandation de l’Organisation pour l'alimentation et l'agriculture (FAO), des méthodes consistant à mesurer, à partir d’une prise de sang, les isotopes stables dans les acides aminés sanguins ont été développées. L’unité s’est investie dans ces développements analytiques et est actuellement une des rares à maîtriser les analyses isotopiques sur le carbone 13, le deutérium et l’azote 15 dans les acides aminés. « Dans la mesure où, au sein du laboratoire, nous sommes les seuls à maîtriser à la fois les prélèvements par sonde iléale et cette méthode isotopique moins invasive, nous travaillons à sa validation. Ceci est d’autant plus important que les méthodes traditionnelles, trop invasives, sont inenvisageables pour les populations vulnérables, les personnes souffrant de pathologies digestives ou les patients de chirurgie bariatrique auxquels je m’intéresse actuellement. Je ne peux donc que mesurer la nécessité d’avancer aussi sur cette dimension méthodologique », conclut-elle.