Aller au contenu principal

CoCaBio : synthétiser des polymères biosourcés par organocatalyse

Recherche Article publié le 22 septembre 2023 , mis à jour le 22 septembre 2023

Le projet CoCaBio (Co-polymérisation par ouverture de cycles de dérivés de l’anhydride succinique et d’époxydes biosourcés via l’organocatalyse) vise à synthétiser des polyesters issus de ressources renouvelables, à l'aide de catalyseurs organiques. Cette approche débouchera potentiellement à l'avenir sur la découverte de nouveaux matériaux possédant des microstructures aux propriétés modulables. Ce travail se partage entre l'équipe de Franck Le Bideau au laboratoire Biomolécules : conception, isolement, synthèse (BIOCIS – Univ. Paris-Saclay, CNRS, Univ. Cergy Pontoise), et celle de Samuel Dagorne à l'Institut de chimie de Strasbourg.

L’omniprésence des matières plastiques au quotidien et notre dépendance à ces matériaux pour tous nos usages posent d’inénarrables problèmes. Outre la pollution environnementale qu’engendrent ces matières, c’est le recours aux énergies fossiles pour leur fabrication qui nécessite aujourd’hui de trouver de nouvelles voies de synthèse, plus en accord avec le développement durable. En effet, les plastiques sont des polymères, c’est-à-dire des assemblages de grande taille de petites molécules issues en majorité du pétrole, et sont obtenus artificiellement par synthèse chimique. Pour s’affranchir du pétrole, une nouvelle piste explore l’utilisation de polymères d’origine renouvelable. C’est là l’objectif du projet CoCaBio (Co-polymérisation par ouverture de cycles de dérivés de l’anhydride succinique et d’époxydes biosourcés via l’organocatalyse). Porté par les équipes de Franck Le Bideau, expert dans l'organocatalyse appliquée à la réaction de Michael, et Samuel Dagorne, spécialiste de la polymérisation par ouverture de cycles, le projet a démarré en 2019 et est financé par l'Agence nationale de la recherche (ANR).

 

Apports et limites de la pétrochimie

Au début du XXe siècle, la productivité humaine commence à augmenter de façon exponentielle. La demande en biens de consommation, issus de ressources non renouvelables, explose et les thermoplastiques à base de pétrole ont le vent en poupe. Les polyesters figurent parmi les polymères les plus plébiscités. Ces macromolécules contiennent la fonction ester -(C=O)-O- dans leur chaîne principale. « Ils sont connus pour leurs nombreuses applications, comme avec le PET par exemple », indique Franck Le Bideau.

Le polytéréphtalate d’éthylène (PET), breveté en 1941 par les chimistes britanniques John Rex Whinfield et James Tennant Dickson et dont le brevet est racheté en 1945 par le groupe américain Du Pont de Nemours, est un thermoplastique très recherché car il présente de bonnes propriétés de protection contre les gaz ainsi qu'une résistance chimique importante. On le trouve ainsi sous forme de fibres synthétiques dans les vêtements (60 % de la production actuelle en matières plastiques), mais également dans les bouteilles en plastique et autres emballages alimentaires (30 %).

Alors que 8 % de la production de pétrole est aujourd'hui consacrée à la production de plastiques (4 % pour les matières premières et 4 % pour l'énergie nécessaire à leur fabrication), l'utilisation de produits fabriqués à base de ressources fossiles se confronte à deux problèmes mondiaux majeurs : la pollution de l'environnement et la pénurie de ces mêmes ressources. Leur épuisement, renforcé par la demande mondiale croissante, impose la recherche de nouveaux gisements moins rentables en raison de leur nature ou de leur inaccessibilité.

Par ailleurs, un inconvénient majeur de la production actuelle de polymères réside dans l'utilisation de catalyseurs métalliques rares et/ou coûteux et/ou toxiques, ce qui limite considérablement leurs applications, en particulier dans les domaines de l'emballage alimentaire ou de la médecine.

 

L'essor de l'organocatalyse et les visées du projet CoCaBio

Dans ce contexte, les besoins en polymères d'origine renouvelable, qui représentent aujourd'hui moins de 1% de la production mondiale totale de polymères, sont appelés à augmenter fortement dans les années à venir. Ces développements futurs s'appuieront sur la production de molécules biosourcées, des composés chimiques entièrement issus de la biomasse (c'est-à-dire d'origine biologique excluant les sources de carbone fossile). Les catalyseurs organiques connaissent d'ailleurs un regain d'intérêt depuis le début des années 2000. En 2021, l'allemand Benjamin List, professeur à l’Institut Max-Planck, et le britannique David MacMillan, professeur à l'Université de Princeton, ont obtenu le prix Nobel de chimie pour leur travail sur l'organocatalyse dite asymétrique.

« Malheureusement, l'approche organocatalytique a été peu explorée à ce jour pour la synthèse de polyesters, déplore Franck Le Bideau. Pourtant, elle sera complémentaire à court terme, puis remplacera à long terme les méthodes de catalyse actuelles de manière éco-compatible. » Tel est le pari fait par le projet CoCaBio, démarré en septembre 2019 pour une durée de 48 mois et financé par l'ANR à hauteur de 348 000 €. « De notre côté, cette somme a servi à financer le fonctionnement du laboratoire et le recrutement en post-doctorat de Dmytro Ryzhakov. Du côté de Strasbourg, Gaël Printz vient de soutenir sa thèse sur le sujet », précise Franck Le Bideau. Quant au projet en lui-même, il sera maintenu jusqu'à mars 2024 en raison du retard pris à cause des crises sanitaires.

Le projet CoCaBio avait pour objectif initial la formation de polymères à partir de deux monomères renouvelables. D'un côté, un dérivé de l'anhydride succinique – (CH2CO)2O – issu de la déshydratation de l'acide succinique, lui-même extrait du succin (ou ambre de la Baltique). De l'autre, un époxyde, c'est-à-dire une substance chimique formée d'un oxygène surmontant une liaison C-C unique. L'ensemble de la procédure devait se décomposer en plusieurs étapes. Dans un premier temps, il s'agissait pour les scientifiques d'obtenir les organocatalyseurs censés éviter l'usage de catalyseurs métalliques. Dans un second temps, les équipes devaient synthétiser des époxydes en oxydant diverses molécules d'origine renouvelable - sucres, acides gras polyinsaturés, géraniol (un alcool à l'odeur de rose que l'on retrouve dans les huiles essentielles). Ensuite, la réaction de Michael, qui consiste à additionner un carbanion (ion chargé négativement) avec un aldéhyde ou une cétone, devait mener à des dérivés d'anhydride succinique. Enfin, l'expérience devait se concrétiser avec la co-polymérisation d'un dérivé et d'un époxyde par l'ouverture de leurs cycles, et l'obtention de nouveaux matériaux à caractériser.

 

Une catalyse à l'efficacité moindre et de nouvelles pistes à explorer

Après quatre années de recherche, Franck Le Bideau fait le point sur les résultats finalement tirés du projet CoCaBio. « La réaction de Michael, que nous avions en tête pour obtenir les dérivés d'anhydide succinique, n'a pas fonctionné », se souvient-il. Son équipe et lui ont donc changé leur fusil d'épaule et ont synthétisé des dérivés à partir d'acide aspartique, obtenu à partir de l'asparagine, elle-même isolée du jus d'asperge. « Du côté des époxydes, nous en avons formé à partir de molécules biosourcées comme l'eugénol, qui est extrait des clous de girofle », résume le chercheur. Finalement, quelques polyesters ont été obtenus par co-polymérisation à l'aide d'organocatalyseurs connus comme les thiourées, qui sont des dérivés soufrés de l'urée. Mais malheureusement, leur efficacité s'est révélée inférieure à celle des catalyseurs métalliques classiques.

« Ce n'est jamais simple de se lancer dans un domaine encore si peu exploré. Lors de nos travaux, nous avons quand même obtenu des résultats préliminaires encourageants avec un nouveau type d’organocatalyseur. Nous avons également synthétisé des polyéthers, autrement dit des polymères synthétisés à partir des époxydes seuls, et qui présentent des propriétés intéressantes, annonce Franck Le Bideau. Maintenant que nous avons débroussaillé le terrain, nous avons plusieurs pistes à suivre dans les mois qui viennent. »

 

Publication :