
De nouvelles molécules organiques détectées par Curiosity : un pas de plus vers la découverte de vie passée sur Mars ?
Des chercheuses et chercheurs du Laboratoire atmosphères et observations spatiales (LATMOS - Univ. Paris-Saclay/CNRS/UVSQ/Sorbonne Univ.) révèlent avoir découvert la présence de molécules organiques à chaînes longues sur Mars. Si les scientifiques ne sont pour l’instant pas capables de trancher quant à l’origine chimique ou biologique de ces molécules, ce résultat inédit apporte une preuve de plus sur la faculté de ces scientifiques à détecter les traces d’une possible vie passée sur la planète rouge.
Depuis 2012, le rover Curiosity de la mission Mars Science Laboratory, portée par la NASA, arpente le sol martien. Le but de ce laboratoire miniaturisé, automatisé et monté sur roues : déterminer l’habitabilité passée et présente de la planète voisine de la Terre.
Un des instruments qu’il transporte, SAM (Sample Analysis at Mars), en partie développé et utilisé par les scientifiques du LATMOS et du Laboratoire de génie des procédés et matériaux (LGPM – Univ. Paris-Saclay/CentraleSupélec), vient de faire une découverte inédite. SAM a pour la première fois détecté des hydrocarbures linéaires à chaînes longues dans un échantillon de sol martien. Il s’agit de molécules organiques, c’est-à-dire composées d’une succession d’atomes de carbone, ici 10, 11 et 12 atomes, liés à des atomes d’hydrogène.
Cumberland, un échantillon prometteur
L’échantillon en question provient du fond du cratère Gale où le rover a atterri il y a plus de dix ans. Obtenu par forage, il a été étudié par les différents instruments de Curiosity, qui ont révélé que le sol de cette région, nommée Cumberland, se compose à 20 % d’argiles. Or les argiles sont connues pour bien préserver les molécules organiques. « Ce sont des feuillets qui laissent entre eux un espace où peut circuler l’eau, quand il y en a, ce qui était le cas sur Mars lors de la formation de cette roche. L’eau, en circulant, accumule des molécules qui sont captées par les feuillets d’argile et y restent piégées lorsque l’eau s’évapore », explique Caroline Freissinet, chercheuse au LATMOS. Ainsi, les argiles préservent à long terme les molécules organiques.
Outre sa nature argileuse, la roche de Cumberland présente également une histoire prometteuse pour des découvertes. La roche s’est en effet formée il y a 3,7 milliards d’années. À cette époque, les conditions sur Mars sont similaires à celles sur Terre, où la vie apparait. Elle est ensuite enfouie, ce qui la protège des rayonnements solaires et galactiques qui, en l’absence d’une atmosphère dense, détruisent toute molécule organique se trouvant jusqu’à deux mètres sous la surface martienne. La roche Cumberland ne remonte à la surface qu’il y a 80 millions d’années, ce qui est court à l’échelle des temps géologiques et garantit une bonne préservation de potentielles molécules organiques.
SAM, un laboratoire de chimie miniaturisé
Pour autant, comment vérifier la présence de molécules organiques dans un échantillon de sol martien, sans le faire quitter la planète rouge ? C’est ce que fait SAM, un laboratoire de chimie miniaturisé et automatisé transporté par Curiosity. L’échantillon y est, dans un premier temps, chauffé à 850°C dans un four afin de volatiliser les molécules qui s’y trouvent, c’est-à-dire les faire passer à un état gazeux.
Une fois sous forme de gaz, elles transitent à travers une colonne de chromatographie en phase gazeuse, un tube très fin du diamètre d’un cheveu, le long duquel les différentes molécules sont plus ou moins retenues en fonction de leurs propriétés (masse, charge, polarité …). L’instrument sépare ainsi les différentes molécules présentes avant de les analyser par spectrométrie de masse, une technique qui identifie les molécules grâce à leur rapport masse sur charge.
C’est de cette façon que les scientifiques du LATMOS détectent la présence de petites molécules organiques dans un premier échantillon de Cumberland. Si, à ce moment-là, aucune molécule plus grosse n’est détectée, c’est à cause des fortes conditions d’oxydation qui règnent sur Mars. En effet, le chauffage de l’échantillon libère l’oxygène piégé dans la roche sous forme de perchlorates, qui oxyde les molécules organiques potentiellement présentes.
Afin de contourner ce problème, les scientifiques décident de changer le protocole d’analyse, pour désoxygéner l’échantillon en amont. Caroline Freissinet détaille : « On a fait cette expérience en deux étapes : un préchauffage à 475°C pour décomposer les perchlorates et éliminer l’oxygène qui est relâché sur Mars, puis le même échantillon est chauffé à 850°C. Cette fois, comme il n’y avait plus d’oxygène, on a vu les molécules qu’on cherchait : des alcanes linéaires de 10 à 12 carbones. » La chercheuse précise que cette expérience doit son succès à la versatilité de SAM. En effet, lors de la conception du module il y a plus de vingt ans, les scientifiques ne prévoient pas la présence de perchlorates sur Mars. Finalement, cette omission révèle l’importance de concevoir un système facilement adaptable pour répondre à tout imprévu.
Confirmation des hypothèses en laboratoire
La découverte des alcanes linéaires à chaîne longue grâce au protocole modifié de SAM pose néanmoins question aux chercheurs et chercheuses de l’équipe du LATMOS : ces alcanes étaient-ils présents dans la roche en tant que tels ou proviennent-ils de la dégradation d’acides carboxyliques lors de l’étape de chauffage de l’échantillon ? Si la seconde option paraît plus probable aux scientifiques, car les acides carboxyliques sont plus stables, notamment dans les conditions d’oxydation du sol martien, il leur est nécessaire de vérifier cette hypothèse.
Pour cela, ils reproduisent, dans leur laboratoire sur Terre, à Guyancourt, l’expérience réalisée par SAM, sur Mars. Ils utilisent une argile terrestre dans laquelle ils injectent une solution d’acides carboxyliques et la soumettent au même traitement que l’argile martienne (double chauffage, chromatographie, spectrométrie de masse). À l’issue de l’expérience, ils détectent bien les mêmes alcanes, confirmant que les molécules trouvées sur la planète rouge existeraient bien sous forme d’acides carboxyliques. Par extrapolation, ils postulent que ces acides carboxyliques proviendraient eux-mêmes de molécules organiques plus grosses car, comme le précise Caroline Freissinet, « le sol de Mars, qui est très oxydant, va avoir tendance à décomposer les grosses molécules en formant des acides carboxyliques ».
Un pas de plus vers la détection de la vie sur Mars ?
Aujourd’hui, il n’est pas possible pour les scientifiques de trancher quant à l’origine chimique ou biologique des alcanes, et par extension des acides carboxyliques, découverts dans l’échantillon de roche de Cumberland. Car si de tels acides carboxyliques existent sur Terre, surtout dans les membranes des bactéries, d’autre réactions chimiques, connues des scientifiques, sont aussi susceptibles d’expliquer leur présence.
Pourtant, cette découverte n’en demeure pas moins une avancée majeure dans la recherche de vie passée sur Mars. En effet, les molécules trouvées dans l’échantillon sont longues et linéaires, donc très peu stables. Malgré cela, elles ont été préservées pendant 3,7 milliards d’années. « Ça veut dire que s’il y a eu de la vie sur Mars à cette même époque, quand il y avait de l’eau liquide et une atmosphère sur la planète, les molécules d’origine biologique auraient pu avoir été préservées jusqu’à aujourd’hui et nous serions capables de les détecter », s’enthousiasme la chercheuse. Pour elle, les prochaines missions d’exploration de Mars aideront à trancher quant à l’origine biologique ou chimique de ces molécules.
Parmi ces missions, ExoMars, portée par l’agence spatiale européenne (ESA) et dont le rover Rosalind Franklin est prévu pour un lancement en 2028, procèdera à des forages à deux mètres de profondeur et accèdera ainsi à des roches protégées des rayonnements ionisants destructeurs. Enfin, les scientifiques espèrent, d’ici quelques années, un retour sur Terre des échantillons récoltés par le rover Perseverance, de la mission Mars 2020 de la NASA, sur place depuis 2021. Caroline Freissinet confirme : « Si on disposait de la roche de Cumberland sur Terre, on l’analyserait avec nos instruments de pointe en laboratoire, plus performants que les instruments miniaturisés que transporte Curiosity. S’il y a eu de la vie sur Mars, nous pourrions alors le savoir. » L’exploration se poursuit, mais la réponse n’a jamais été aussi proche.
Référence :
C. Freissinet et al., Long-chain alkanes preserved in a martian mudstone, PNAS, 2025.