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Delphine Joseph : L’alchimie du collectif

Portrait de chercheur ou chercheuse Article publié le 08 juillet 2021 , mis à jour le 15 juillet 2021

Delphine Joseph est chercheuse en pharmaco-chimie à la Faculté de pharmacie de l’Université Paris-Saclay et directrice de la Graduate School Health & Drug Sciences de l’Université. Au sein du laboratoire Biomolécules : conception, isolement, synthèse (BioCIS - Université Paris-Saclay, CNRS, Univ. Cergy-Pontoise), dont elle est la directrice-adjointe, Delphine Joseph co-dirige l’équipe Chimie des substances naturelles. Entre ses activités de recherches liées à l’addiction au tabac ou aux allergies aux médicaments, son implication dans les instances de l’Université Paris-Saclay et son investissement institutionnel, portrait d’une chercheuse engagée au service de la communauté.

 

Passionnée très tôt par les sciences, Delphine Joseph s’engage dès ses premières années d’études à l’Université de Metz dans un cursus à l’interface entre la chimie et la biologie, puis se spécialise à l’aide d’un master en physico-chimie moléculaire. Durant sa thèse sur les anti-cancéreux, la chercheuse effectue deux séjours longs à l’étranger en milieu industriel, le premier dans le groupe pharmaceutique italien Menarini à Barcelone, sur la conception d’agonistes des récepteurs β2 adrénergiques, aux propriétés bronchodilatatrices utilisés en traitement de l’asthme ; le second à Bâle, au sein du groupe suisse Novartis, sur la synthèse d’herbicides d’origine naturelle. Delphine Joseph obtient son doctorat en 1995, puis part en post-doc à l’Université catholique de Louvain (Belgique) auprès du professeur Léon Ghosez qui devient son mentor en recherche. « Il m’a tout de suite fait confiance et m’a beaucoup appris sur la gestion humaine », se souvient la chercheuse qui travaille alors durant deux ans sur la mise au point d’une nouvelle méthode de synthèse d’antihistaminiques en collaboration avec les laboratoires UCB Pharma. 

Delphine Joseph conserve de cette période un excellent souvenir et de « solides amitiés de recherche », retrouvées à l’Université Paris-Saclay. « Tout au long de mes études et de ma carrière, j’ai fait de très belles rencontres qui m’ont offert de magnifiques opportunités. » En septembre 1998, elle obtient un poste de maîtresse de conférences en chimie organique à la Faculté de pharmacie de l’Université Paris-Saclay, à Châtenay-Malabry.

 

L’addiction à la nicotine

Les recherches de Delphine Joseph au sein du laboratoire BioCIS sont à l’interface de la chimie et de la biologie. Depuis dix ans, elle étudie les récepteurs nicotiniques en collaboration avec l’Institut Pasteur dans le cadre de deux projets financés par l’Agence nationale de la recherche (ANR). L’enjeu est de taille : il s’agit de traiter l’addiction au tabac, le premier facteur de risque évitable des cancers. « Nous étudions le fonctionnement d’une famille de récepteurs impliqués dans les addictions au tabac pour concevoir, à terme, des molécules à visée thérapeutique. L’objectif est de comprendre à l’échelle moléculaire les facteurs qui gouvernent les mouvements globaux de ces récepteurs, pour développer ensuite des molécules capables de les contrôler, et d’induire des effets pharmacologiques ciblés. » Après l’étude d’un récepteur bactérien, la seconde phase du projet vise directement une interface particulière d’un récepteur humain. « Nous tentons de concevoir des ligands de cette interface orpheline grâce à une approche de chimie médicinale appelée "de novo" », explique la chercheuse, dont l’équipe obtient aujourd’hui des résultats très encourageants avec les premières molécules-actives.

 

Le génie de plusieurs expertises

« C’est grâce à l’alliance de compétences en biologie, bio-informatique et chimie que l’histoire a été possible, précise Delphine Joseph. Toutes nos hypothèses de départ ont finalement convergé grâce à l’expertise de chacun. À partir de substances naturelles issues d’un criblage à l’aveugle et d’une série de molécules d’activité nicotinique avérée, les chimistes ont élaboré une librairie de fragments par le découpage de celles-ci en petits composés prêts à être reconnectés entre eux. Cette banque a ensuite été criblée in silico sur des modèles moléculaires du récepteur élaborés par les bio-informaticiens, et in vitro par différentes méthodes biophysiques complémentaires grâce à une protéine modèle développée par les neuropharmacologues. À partir des fragments se liant le plus efficacement à la protéine, les chimistes ont pu concevoir les premières molécules "hit", ou molécules actives. » Prochaines étapes : leur co-cristallisation avant une valorisation potentielle, « d’ici un an », espère Delphine Joseph. 

 

L’allergie au médicament

L’autre volet des recherches de Delphine Joseph concerne l’allergie aux curares myorelaxants utilisés dans de nombreuses opérations chirurgicales, y compris dans le cadre de la thérapie à la Covid-19. Avec son équipe pluridisciplinaire, la chercheuse tente de comprendre les mécanismes moléculaires de cette allergie dans le cadre d’un projet financé par l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses). Cette étude est réalisée en lien avec des cohortes de professionnels régulièrement confrontés aux ammoniums quaternaires dans l’exercice de leur métier (coiffeurs, agents de désinfection ou d’entretien), et donc plus enclins à développer des réactions allergiques. « Nous avons plusieurs hypothèses avec des résultats très intéressants, décrit la chercheuse. En particulier, nous avons montré qu’un médicament et certains composants cosmétiques étaient capables d’activer des lymphocytes. Nous nous plaçons dans des conditions biomimétiques pour comprendre leur métabolisation et leur mode de fixation à des protéines in vivo. » Delphine Joseph se réjouit des résultats prometteurs obtenus. À terme, l’objectif est de développer une stratégie de diagnostic permettant de prévenir le choc anaphylactique ou d’orienter le choix de l’agent curarisant.

 

Travailler pour les générations futures

Dès son arrivée à la Faculté de pharmacie, Delphine Joseph s’investit dans la réforme des enseignements en chimie organique et intègre le comité national du CNRS. Un investissement au service de la communauté de l’Université qui ne s’est jamais démenti depuis, jusqu’à l’arrivée de la chercheuse en juillet 2020 à la tête de la Graduate School Health & Drug Sciences. Cette Graduate School réunit des équipes pédagogiques et de recherche des composantes universitaires (Facultés de médecine et de pharmacie de l’Université Paris-Saclay), des universités membres-associés (UVSQ et Université d'Évry) et d’organismes de recherche partenaires (CNRS, Inserm, CEA et INRAE), autour des thématiques centrées sur le médicament, les produits de santé et l’innovation thérapeutique. « Notre objectif est de proposer une formation de pointe grâce à une recherche d’excellence pour répondre aux défis sociétaux et aux besoins de l’industrie. »  Les projets ne manquent pas : un événement de rentrée mixant les promotions entrantes et sortantes, des journées de recherche pour croiser les expertises et faire naître des projets interdisciplinaires …

Delphine Joseph adhère totalement au projet de l’Université Paris-Saclay. « Recherche fondamentale, translationnelle et clinique, entreprises : tous les ingrédients sont réunis pour favoriser l’innovation, constate-t-elle. Certes, ce projet requiert un énorme investissement, mais je n’oublie pas qu’il est réalisé au bénéfice des générations futures. Nous avons l’immense responsabilité de former, par la recherche, des esprits critiques, ouverts et constructifs. » Ce n’est pas un hasard si Delphine Joseph tire une grande fierté du Prix PEPS (Passion enseignement et pédagogie dans le supérieur) de son équipe pédagogique. Très inspirée par sa propre famille, son soutien inconditionnel, la chercheuse estime qu’il est essentiel de s’adapter aux nouvelles générations.

 

Delphine Joseph