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Delphine Neff : préserver le passé patrimonial et sécuriser l'avenir nucléaire par l'étude de la corrosion des métaux

Portrait de chercheur ou chercheuse Article publié le 19 octobre 2023 , mis à jour le 09 novembre 2023

Delphine Neff est directrice de recherche au laboratoire Nanosciences et innovation pour les matériaux, la biomédecine et l'énergie (NIMBE – Univ. Paris-Saclay, CEA, CNRS), au sein du Laboratoire archéomatériaux et prévision de l’altération (LAPA). Elle est spécialiste de l’étude de la corrosion sur le long terme de métaux archéologiques, dans le double contexte de l’industrie nucléaire et du patrimoine.

Après l’obtention d’un diplôme d’ingénieur en matériaux à l’école Polytech Orléans en 1999, Delphine Neff développe une passion pour l’étude des matériaux dans un contexte historique. En 2000, elle approfondit cette voie en réalisant un DEA (Diplôme d'études approfondies, équivalent aujourd’hui d’un master 2) de mesures physiques appliquées à l’archéologie à l’Université de Bordeaux Montaigne. « Les matériaux anciens sont des objets en prise avec l’histoire, j’aime l’idée d’établir une forme de lien avec eux lorsque je les étudie. » Son intérêt pour l'interaction des matériaux avec leur environnement la conduit naturellement vers l'étude de la corrosion, un phénomène qui affecte les métaux. Dans le cadre de ce cursus, elle réalise un stage au sein du laboratoire NIMBE (à l’époque laboratoire Pierre Süe), où elle travaille à la compréhension des procédés de production de la sidérurgie ancienne.

 

Sécuriser le stockage des déchets radioactifs

En 2003, Delphine Neff soutient sa thèse réalisée au sein du NIMBE grâce au financement de l’Agence nationale de la gestion des déchets radioactif (Andra). Elle porte sur la compréhension de la manière dont la corrosion affecte les matériaux ferreux utilisés comme conteneurs des colis de déchets radioactifs, car leur tenue doit être dimensionnée pour une durée de 2 000 ans. « Le recueil de données relatives à l’altération des matériaux sur des objets archéologiques ferreux est important pour dimensionner et prévoir la durée de vie des conteneurs afin de garantir la sûreté du stockage des déchets sur cette période. » Dans ce cadre, Delphine Neff étudie une cinquantaine d'objets archéologiques, comme des clous, issus de six sites archéologiques. Elle découpe ces objets, les met en résine et analyse la structure des phases minéralogiques qui constituent les couches de produits de corrosion. Le but est de retracer des scénarios d’évolution des mécanismes physicochimiques de corrosion sur le long terme. « Grâce aux données obtenues sur les objets archéologiques, il est possible d’utiliser ces objets anciens comme analogues, c’est-à-dire de transposer la compréhension des mécanismes de corrosion sur le long terme à des dispositifs techniques actuels, afin de prévoir leur comportement. »

 

La maîtrise de nombreuses techniques

Pour acquérir une expérience internationale et poursuivre sa production scientifique, Delphine Neff s’expatrie en Inde durant dix mois, au sein de l’Indian Institute of Technology de Kanpur. « J’y ai beaucoup appris en matière de relations humaines et d’intégration des différences culturelles, à un niveau professionnel et personnel. » À son retour en France, en 2004, la chercheuse effectue deux années de post-doctorat au laboratoire De la molécule aux nano-objets : réactivité, interactions et spectroscopies (MONARIS - CNRS, Sorbonne Univ.), à l’époque nommé laboratoire de dynamique, interactions et réactivité (LADIR). Elle y perfectionne sa pratique de la spectroscopie Raman. « C'est une technique d'identification des phases en corrosion que j’utilise encore beaucoup aujourd’hui. » Cette approche repose sur l’interaction d’un laser avec l’échantillon pour obtenir un spectre caractéristique des phases cristallines présentes dans le matériau, signature des minéraux qui constituent une couche de produits de corrosion. La zone sondée est micrométrique, ce qui rend possible d’effectuer des acquisitions en mode cartographique dans l’épaisseur des produits de corrosion observés en coupe transversale. « Par exemple, dans la corrosion des matériaux ferreux, on observe que les phases formées varient en fonction des différents milieux dans lesquels ils se sont corrodés. » La chercheuse utilise par ailleurs une combinaison de techniques complémentaires pour effectuer des analyses multiéchelles de la composition chimique ou encore de la structure cristalline des échantillons. Chaque technique offre des informations complémentaires des propriétés des matériaux, pour une compréhension plus approfondie de leurs comportements.

 

Vers de nouveaux horizons de recherche

En 2006, Delphine Neff revient au NIMBE pour y effectuer une dernière année de post-doctorat, au cours de laquelle elle poursuit ses travaux sur les analogues archéologiques, mais cette fois pour un nouveau matériau : le verre. « J’ai étudié les laitiers, ces déchets vitreux de la production sidérurgique issue des hauts fourneaux. »  À la fin de cette même année, elle obtient un poste d’ingénieure-chercheuse au sein de ce laboratoire et en profite pour diversifier les environnements de corrosion et les matériaux qu’elle étudie. Que ce soient les ferreux ou les cuivreux, en milieu terrestre, sous-marin ou atmosphérique, la chercheuse diversifie ses domaines d’expertise. « J’ai également élargi le cadre de mes études, passant du contexte nucléaire à des projets de conservation des objets du patrimoine, dans l’objectif de préserver leur intégrité. » Pour cela, elle établit des collaborations avec différents acteurs du patrimoine, notamment des laboratoires de recherche du ministère de la Culture. « J’ai étudié, par exemple, la corrosion des métaux des cathédrales d’Amiens, Bourges et Metz pour examiner la tenue sur le long terme des chainages en place. J’ai également examiné ceux de barre de fer provenant d’épaves romaines sous-marines pour contribuer à optimiser les traitements de stabilisation qui préservent leur surface d’origine lors de leur restauration. »

 

Du laboratoire à l’industrie

Il y a près de dix ans, Delphine Neff et son équipe entament un partenariat fructueux avec la PME A-Corros, spécialisée dans le diagnostic de la corrosion et dans la restauration d'objets historiques de diverses dimensions. « Cette collaboration est très stimulante car elle me fournit un horizon d’application et une opportunité de tester nos solutions en conditions réelles. Car ce qui fonctionne en laboratoire ne fonctionne pas toujours de la même manière sur le terrain, ni à la même échelle. » Et en matière de travail sur le terrain, grâce à son savoir-faire développé depuis des années dans le domaine nucléaire, la chercheuse est désormais à même de caractériser des échantillons issus de carottages effectués en contexte industriel (celui du stockage des déchets dans le laboratoire souterrain de l’Andra). « Ce sont des faciès de corrosion similaires aux systèmes archéologiques, qui possèdent le même type de complexité. »

 

De futurs projets de recherche prometteurs

En 2012, la chercheuse obtient son habilitation à diriger des recherches et devient directrice de recherche au sein du laboratoire où elle travaille encore aujourd’hui. Et comme elle n’est jamais à court d’idées, Delphine Neff a de nombreux projets pour les années à venir afin de repousser davantage les frontières de la compréhension de la corrosion des matériaux. Comme celui de lancer un programme portant sur les analogues archéologiques cuivreux. « En France, les conteneurs de stockage sont en acier, mais à l’international, en Suède, Finlande, Canada et Suisse, le cuivre est privilégié. Je suis donc en train de mettre en place un programme de recherche pour ce matériau. » Dans le cadre de la sauvegarde du patrimoine, Delphine Neff développe actuellement un programme de protection des objets cuivreux via l’inhibition de leur corrosion grâce à des produits organiques éco-compatibles.

 

Delphine Neff