Aller au contenu principal

Des éponges fluorescentes pour détecter les gaz radioactifs

Recherche Article publié le 24 janvier 2024 , mis à jour le 31 janvier 2024

Du fait de leur nature volatile et de leurs émissions ionisantes de faible énergie, les gaz radioactifs, et leur détection en particulier, représentent aujourd’hui un enjeu majeur de santé publique et un défi pour les industries qui les produisent dans diverses situations.  Améliorer cette détection passe par la mise au point de nouveaux systèmes aux propriétés optimisées. Au sein du Laboratoire d’intégration des systèmes et des technologies (List – Univ. Paris-Saclay, CEA), des scientifiques utilisent des matériaux ultra-poreux et fluorescents - les Metal Organic Frameworks (MOFs) - pour développer un système de détection de gaz radioactifs plus sensible et pratique.

Naturellement présents sur Terre, les gaz radioactifs, comme le radon, le tritium ou le krypton, sont des éléments chimiques volatils dont les noyaux atomiques, instables, émettent un rayonnement alpha ou bêta - c’est-à-dire un noyau d'hélium ou un électron – en se désintégrant. Présents originellement à l’état de traces, certains affichent une concentration plus importante du fait d’activités humaines ou de phénomènes particuliers, et finissent par susciter des problèmes de santé publique ou de gestion des déchets. Quoique relativement faible, la charge électrique de leur rayonnement est en effet suffisante pour leur conférer un pouvoir pénétrant d’un à deux centimètres dans les tissus vivants. Le radon (222Rn), produit par la désintégration des atomes d’uranium et de radium présents dans les sols granitiques, est ainsi considéré en France comme la deuxième cause de cancer du poumon, après le tabac. Bien que moins dangereux et issu, à l’origine, de l’action des rayonnements cosmiques sur des atomes de l’air, le tritium (3H) est par ailleurs produit en grande quantité par l’industrie et les réacteurs nucléaires. Généré au cœur des étoiles, le krypton (85Kr) est, lui, issu sur Terre du traitement des déchets radioactifs et représente 99 % des émissions anthropiques de gaz radioactifs.

Bien que des systèmes de détection de ces gaz existent déjà sur le marché, certains scientifiques orientent leurs recherches vers des matériaux aux propriétés inédites afin de développer de nouveaux systèmes dont les performances revisitent les standards actuels. C’est le cas des travaux de l’équipe du Laboratoire capteurs et instrumentation pour les mesures (LCIM) du CEA-List, qui étudie les Metal Organic Frameworks ou MOFs, des réseaux cristallins constitués d’atomes de métal reliés par des molécules organiques.


Les MOFs, des scintillateurs ultra-poreux

En théorie, un matériau de détection de gaz radioactifs parfait doit présenter deux propriétés. D’une part, il lui faut être poreux, car la porosité augmente la surface de contact entre le gaz et le détecteur, et améliore la sensibilité du système. D’autre part, il doit être capable de scintiller. Semblable à la fluorescence, la scintillation est un phénomène au cours duquel un matériau émet des photons suite à une excitation créée par une particule donnée. Dans le cas d’un matériau scintillant, ce n’est pas un photon, comme pour la fluorescence, qui induit cette excitation mais une particule ionisante : le scintillateur produit de la lumière en présence de radioactivité.
Au regard de leurs propriétés, les MOFs sont de bons candidats pour détecter un gaz radioactif. Selon la nature des molécules organiques et métalliques utilisées, ils sont capables de scintiller ou non. Mais c’est surtout leur porosité qui les rend particulièrement intéressants, comme le souligne Guillaume Bertrand, chercheur au LCIM : « Ces matériaux ont la plus grande surface de contact connue au monde : 2 000 m2 par gramme, c’est-à-dire deux terrains de foot pliés dans une cuillère à café ! »

La synthèse de ces matériaux est relativement simple, comme le décrit Sharvanee Mauree, doctorante dans la même équipe : « Il s’agit d’une synthèse solvothermale. On part de briques élémentaires, organiques et métalliques. On dissout ces produits initiaux dans des solvants, sous des conditions de pression et de température bien définies, ce qui induit un assemblage spontané des molécules sous la forme d’un MOF. » En jouant sur la nature des briques organiques et/ou métalliques utilisées au départ, les scientifiques modifient les propriétés de porosité et de scintillation du matériau obtenu. En changeant légèrement la composition du constituant organique, les membres de l’équipe du CEA-List ont notamment réussi à produire des MOFs à la scintillation renforcée. Et sur les quelque 100 000 MOFs existant dans le monde, ils en ont créé seize au laboratoire et se sont concentrés, après une caractérisation rigoureuse de leurs propriétés, sur les quatre plus prometteurs.


Un système de détection à haute sensibilité

Afin de tester la capacité de ces MOFs à déceler les gaz radioactifs, l’équipe du LCIM, en collaboration avec Benoît Sabot du Laboratoire national Henri Becquerel (LNHB) du CEA-List, a mis au point un outil particulier : le système RCTD ou ratio de coïncidence double ou triple. « Il s’agit d’un système de détection de photons extrêmement sensible qui élimine toute sorte de bruit externe, pour avoir des mesures très précises », ajoute Guillaume Bertrand. Le MOF à tester et le détecteur sont placés dans une boite noire, dans laquelle les scientifiques laissent entrer, par le biais d’une pompe, une quantité contrôlée de gaz radioactif. La concentration du gaz, qui pénètre dans tous les pores du MOF, augmente dans le matériau et les photons émis par le MOFs sont alors détectés par le système RCTD.

L’équipe a procédé à une première série de d’expériences sur les quatre MOFs présélectionnés. Pour ses tests, elle a choisi d’utiliser le krypton car ce gaz radioactif émet des particules bêta dont l’énergie est relativement élevée et qui sont plus faciles à repérer. L’autre avantage de ce gaz est son absence de contamination induite, ce qui laisse la possibilité de réutiliser le MOF testé. Les tests réalisés ont révélé les qualités particulières de deux MOFs, MOF-5 ADC et MOF-205, qui affichent des taux de détection du gaz respectivement de 188 % et 264 %. Obtenir de tels taux de détection, supérieurs à 100 %, n’a rien d’anormal car, comme explique Guillaume Bertrand : « Certains MOFs fonctionnent comme une éponge pour les gaz radioactifs. On obtient alors des taux d’activité bien supérieurs à ceux attendus ».

Dans une seconde série d’expériences, les scientifiques ont montré que MOF-5 ADC et MOF-205 sont également capables de déceler le radon avec de bons pourcentages, et même le tritium, pourtant bien plus difficile à repérer. C’est d’ailleurs la capacité de ces MOFs à concentrer le dihydrogène tritié à l’intérieur de ces réseaux qui rend possible la détection du gaz radioactif.


Des détecteurs petits, rapides et pratiques

Capable de révéler de faibles concentrations de gaz radioactifs, le nouveau détecteur du LCIM présente bien des avantages par rapport aux systèmes déjà existants, notamment au regard de sa praticité. Bien qu’il existe déjà des méthodes sensibles de détection du krypton et du tritium, elles sont souvent longues à délivrer un résultat (24 heures) et nécessitent des appareils lourds, volumineux, non réutilisables et un retour en laboratoire. Le système proposé par l’équipe du LCIM est, à l’inverse, petit, facilement transportable et garantit des mesures, sur place, en moins de 20 minutes. En outre, il est possible de « laver » le MOF à l’issue de l’expérience et de le réutiliser à l’infini.

Alors que les détecteurs du radon existant sur le marché sont déjà très efficaces, l’équipe du LCIM imagine une autre utilisation pour son nouveau système de détection : piéger ce gaz radioactif dans les pores du MOF, pour ensuite, après hydratation, le faire s’effondrer sur lui-même et réussir à l’extraire de l’atmosphère d’une pièce. Cette application, encore à l’état de réflexion mais d’ores et déjà prometteuse, trouverait sa place au sein des logements à forte exposition au radon ou de certains laboratoires où la moindre présence d’une activité radioactive serait susceptible de fausser les mesures.

 

  • Référence :

Sharvanee Mauree, Vincent Villemot, Matthieu Hamel, Benoit Sabot, Sylvie Pierre, Christophe Dujardin, Francesca Belloni, Angiolina Comotti, Silvia Bracco, Jacopo Perego, Guillaume H. V. Bertrand. Detection of Radioactive Gas with Scintillating MOFs. Advanced Functional Materials, 33 (2023).