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DIONYSOS : vers une solution de biocontrôle efficace contre le mildiou

Innovation Article publié le 24 mars 2023 , mis à jour le 24 mars 2023

Issu du laboratoire Nanosciences et innovation pour les matériaux, la biomédecine et l'énergie (NIMBE – Univ. Paris-Saclay, CEA, CNRS), le projet DIONYSOS cherche à mettre au point une solution alternative à l’emploi de produits phytosanitaires avec un profil environnemental plus favorable, pour lutter contre les maladies fongiques qui affectent les cultures, comme le mildiou de la vigne.

Tapis dans le sol en hiver, ils attendent leur heure. Avec le retour des températures douces et une pluviométrie parfois bien marquée au printemps et au début de l’automne, ils deviennent le cauchemar des vigneronnes et vignerons, maraîchères et maraîchers, jardinières et jardiniers amateurs. Leur nom ? Plasmopara viticola et Phytophtora infestans, des champignons microscopiques responsables d’une des maladies fongiques (ou cryptogamiques) les plus répandues dans les vignes et les potagers : le mildiou. Ces champignons manifestent leur présence par l’apparition de tâches – translucides, jaunes ou brunes selon le champignon et la plante touchée – en face extérieure et d’un duvet blanc en face intérieure des feuilles de la plante contaminée. Les inflorescences se dessèchent et les fruits se parent d’un feutrage blanc ou brunissent et deviennent impropres à la consommation. Si rien est fait, le champignon détruit toute la récolte. 

 

Les produits phytosanitaires : des alliés dont on souhaite se passer

Pour lutter contre ces parasites, les agriculteurs et agricultrices utilisent des produits phytosanitaires, dont ceux, largement éprouvés, composés de cuivre, seule parade autorisée en agriculture biologique. Le cuivre vient perturber les activités respiratoires, enzymatiques et membranaires du champignon, qui en meurt. Le fongicide le plus connu est la bouillie bordelaise – un mélange d’eau, de chaux et de sulfate de cuivre – inventée à la fin du 19e siècle.

Toutefois, l’emploi du cuivre fait de plus en plus l’objet de débats : au-delà d’une certaine dose, il serait toxique pour les plantes, la faune aquatique, les mammifères, la vie des sols et les utilisateurs et utilisatrices eux-mêmes et elles-mêmes en cas d’exposition chronique. En 2015, la Commission européenne l’a inscrit sur la liste des substances actives candidates à la substitution et la dose maximale autorisée a progressivement été réduite. Depuis novembre 2018, elle est de quatre kilogrammes par hectare et par an. Dans le même temps, le plan Écophyto II+ du Gouvernement vise à réduire de moitié les usages de produits phytopharmaceutiques d’ici 2025.

 

Des substances naturelles pour lutter contre les maladies cryptogamiques

Dès lors, développer des solutions alternatives efficaces et plus respectueuses de l’environnement est plus que jamais nécessaire. Une des pistes envisagées repose sur le biocontrôle, c’est-à-dire le recours à des substances ou agents capables de lutter contre les pathogènes par l’utilisation de mécanismes naturels. C’est tout l’objet du projet DIONYSOS, démarré en 2021 et porté par Pierre Picot, du Laboratoire interdisciplinaire sur l'organisation nanométrique et supramoléculaire (LIONS) du NIMBE. Le projet vise à mettre au point une solution de biocontrôle pour lutter de façon préventive contre le mildiou de la vigne et qui soit également utilisable en agriculture biologique. L’idée initiale repose sur l’utilisation d’eau oxygénée ou peroxyde d’hydrogène (H2O2) stabilisée. Connue pour son efficacité antifongique et stimulatrice des défenses naturelles, l’eau oxygénée est toutefois inutilisable telle quelle sur une parcelle cultivée car la molécule est instable : sous l’effet des rayons ultraviolets de la lumière du soleil, la molécule H2O2 se décompose rapidement en molécules d’eau (H2O) et de dioxygène (O2).

Durant la phase de test, l’équipe découvre que l’eau oxygénée n’est pas indispensable et que la substance utilisée pour la stabiliser possède des qualités fongicides intrinsèques. Le projet DIONYSOS s’engage alors dans le développement de cette substance naturellement présente dans l’environnement. Le spectre d’action potentiel étant large, l’application à d’autres cultures et types de champignons est également envisagée. Accompagné et soutenu financièrement par la SATT Paris-Saclay, DIONYSOS est actuellement en phase de maturation. 

 

Un démarrage favorable

C’est par un concours de circonstances que Pierre Picot, spécialiste des nanotubes et de leur réactivité, vient à s’intéresser aux maladies cryptogamiques. Une coopérative de vignerons bordelaise contacte, en 2018, plusieurs start-up et organismes de recherche. Elle est à la recherche de solutions alternatives à l’emploi du cuivre contre le mildiou de la vigne et contacte le CEA. « On était très loin d’imaginer que notre technologie pouvait avoir une application dans le phytosanitaire », se souvient Pierre Picot, qui garde le silence sur les détails de cette technologie. DIONYSOS démarre avec le programme jeunes docteurs de la SATT Paris-Saclay, qui en finance la pré-maturation.

Rapidement, Pierre Picot collabore avec des équipes de recherche et de développement pour la réalisation d’essais d’efficacité de la substance face au mildiou de la vigne en laboratoire et en conditions contrôlées. Se révélant positifs, ces tests débouchent dans la foulée sur des essais en serre, qui obtiennent le même résultat.

 

Revenir aux fondamentaux agronomiques

Les premiers essais aux champs réalisés avec des acteurs de terrain scientifiques et techniques ne permettent pas de reproduire ces résultats initiaux. Dès lors, il s’agit de valider les hypothèses sur les modes d’actions et d’identifier les conditions d’utilisation de la substance. « On a décidé de revenir un peu en amont, de comprendre comment fonctionne la substance active et d’où vient son efficacité », signale Pierre Picot. C’est pourquoi, fin 2022, des échanges démarrent avec une équipe scientifique, dans le but de construire un partenariat qui consolide l’expertise du projet. Une opportunité s’ouvre en particulier : celle d’explorer d’autres patho-systèmes et d’observer de plus près comment cette substance agit sur les champignons et les plantes.

Pierre Picot compte s’appuyer sur ces nouvelles connaissances pour déterminer quels types de cultures ou de maladies sont les plus intéressantes et quels couples culture/maladie seront à tester. « Le mildiou de la vigne n’est peut-être pas la maladie la plus simple à tester, car elle parasite les feuilles. D’autres maladies cryptogamiques le sont davantage, comme le botrytis ou pourriture grise, causée par le champignon Botrytis cinerea. Par ailleurs, la vigne est une culture pérenne : les pieds, une fois plantés, se maintiennent plusieurs dizaines d’années. D’autres cultures, renouvelées chaque année, comme le blé, la tomate ou la pomme de terre, sont, par opposition, plus simples à tester », signale Pierre Picot.

 

Optimiser la formulation du produit

Pour cette année, l’équipe prévoit de consolider le fonctionnement de sa substance active. Les efforts porteront sur la formulation du produit, « c’est-à-dire l’identification et l’ajout de composants complémentaires maintenant le plein potentiel du produit lors de son utilisation en plein champ », explicite Pierre Picot. Pour l’y aider, il prévoit de nouer des partenariats avec des entreprises spécialisées dans le domaine. Il privilégiera les essais en serre pour tester les différentes options, car réalisables toute l’année, avant de revenir au champ d’ici 2024. « Un autre avantage est qu’il est possible d’y tester des conditions extrêmes, dont on sait qu’elles sont susceptibles de faire émerger des maladies à fortes pressions, pour voir si elles mettent en défaut ou non le produit. »

 

Anticiper les dernières étapes

Une fois la bonne formulation trouvée, il faudra s’intéresser à la partie réglementaire. « Cela implique de suivre un chemin réglementaire et de réaliser un certain nombre de tests, dont l’évaluation de la toxicité et de l’écotoxicité. Pour réussir cette étape, nous nous appuyons sur l’expertise d’un cabinet de conseil en affaires règlementaires phytosanitaires. »

Viendra enfin le moment de penser à la forme que prendra la suite du projet. « Si l’on choisit de se diriger vers la création d’une start-up, cela nécessitera de financer les phases suivantes, dont la production en volume de la substance. Une autre possibilité sera d’envisager un transfert technologique à un industriel déjà établi, capable de produire la substance active », avance Pierre Picot. Au stade actuel du projet, les alternatives sont toujours ouvertes.