Aller au contenu principal

Elias Fattal : amener le médicament au plus près de sa cible

Portrait de chercheur ou chercheuse Article publié le 07 décembre 2023 , mis à jour le 17 janvier 2024

Elias Fattal est enseignant-chercheur à l’Institut Galien Paris-Saclay (IGPS – Univ. Paris-Saclay, CNRS), qu’il a dirigé de 2010 à 2019. Il est spécialiste de nanomédecine, à laquelle il a consacré 40 ans de recherche. Ses travaux récents touchent la conception de nanoparticules pour le traitement des maladies inflammatoires et la nanotoxicologie pulmonaire.

Après un baccalauréat scientifique, Elias Fattal s’engage dans des études de pharmacie à l’Université Paris-Sud (aujourd’hui Université Paris-Saclay). Pourquoi le choix de cette discipline ? Sans doute à cause de l’influence d’un grand-père pharmacien et d’un père photographe, en compagnie duquel il passe de longues heures dans la chambre noire, ce qui lui donne le goût de la chimie, très présente en pharmacie. Il obtient son diplôme d’État de docteur en pharmacie en 1983 et s’oriente d’abord vers la pharmacie hospitalière. Il effectue pendant trois ans son internat dans des hôpitaux du nord de la France et décide de consacrer sa quatrième année à la recherche. En 1986, Il intègre l’unité Physico-chimie, pharmacotechnie, biopharmacie, l’ancêtre de l’Institut Galien, pour effectuer un master 2 recherche. Il travaille sous la responsabilité de Patrick Couvreur, pionnier du nanomédicament et alors jeune professeur, et devient un de ses premiers doctorants. Il soutient sa thèse en 1990 sur le traitement des infections intracellulaires par des nanoparticules polymériques d’antibiotiques. Puis il part deux ans en post-doctorat à l'Université de Californie, à San Francisco, dont il reviendra complètement transformé.

Les prémices de la recherche galénique

« Lors de mon séjour là-bas, j’ai réalisé des expériences qui ont contribué à expliquer le mécanisme d’action des nanoparticules lipidiques chargées en acides nucléiques, se souvient Elias Fattal. Publiés dans Biochemistry en 1994, ces travaux continuent d’être fortement cités 30 ans après. » À San Francisco, il collabore avec Francis Szoka, un des pionniers dans la conception de nanoparticules lipidiques. De retour en France en 1992, il obtient un poste de maître de conférences en pharmacie galénique à l’Université Paris-Sud, passe son habilitation à diriger des recherches en 1996 et devient professeur quatre ans plus tard. Il poursuit des travaux sur les nanoparticules d’acides nucléiques. « Contrairement aux virus, les vecteurs que nous avons conçus sont constitués de molécules chimiques. Les acides nucléiques, oligonucléotides antisens et ARN interférents, qui contrôlent la régulation des gènes, nécessitent d'être administrés par ces nanoparticules de la même manière qu’on administre aujourd'hui les vaccins à ARN messager. »

Cibler les maladies inflammatoires

Les travaux récents d’Elias Fattal se concentrent sur le traitement des maladies inflammatoires. Avec Xavier Mariette, professeur de rhumatologie à la Faculté de médecine de l’Université Paris-Saclay, il découvre que la vectorisation d’un court fragment d’acide nucléique, dénommé antagomir, corrige certains processus biologiques impliqués dans l'arthrite rhumatoïde. « Les nanoparticules sont captées par certaines cellules immunitaires impliquées dans la pathologie et les antagomirs libérés modifient le comportement de ces cellules en leur procurant des fonctions anti-inflammatoires. »
 
L’enseignant-chercheur s’intéresse également à la possibilité d’amener directement des médicaments dans un organe tel que les poumons. « Aujourd’hui nous développons des nanoparticules lipidiques d’ARN interférents par inhalation pour traiter des maladies inflammatoires pulmonaires. Nous recouvrons ces nanoparticules d’éléments de reconnaissance de cellules particulières du tissu pulmonaire impliquées dans ces maladies. » Il bénéficie aussi des collaborations nées de la constitution de l’Institut hospitalo-universitaire (IHU) PROMETHEUS pour tenter de développer des approches de vectorisation pulmonaire de petites molécules telles que la dexaméthasone. Cette molécule s’est montrée efficace pour le traitement de l’inflammation aigue lors de la maladie à coronavirus. « Notre objectif est de faciliter son administration par inhalation en l’amenant au plus près de la cible. »

Vers la nanotoxicologie

Cependant, dans certains cas, les nanoparticules manufacturées, comme celles à partir d’oxyde de titane, génèrent une toxicité pulmonaire. « Pour éviter cette toxicité, nous cherchons à développer des systèmes soit produits à partir de composés naturels comme les lipides, soit composés de polymères biodégradables que l'organisme assimile ou élimine parfaitement et qui ont montré une excellente innocuité dans nos travaux. » Ces travaux de nanotoxicologie pulmonaire sont d’ailleurs une des spécificités de l’équipe d’Elias Fattal qui explique sa participation aux rapports de la Commission européenne appelée à se prononcer sur ces questions.

Transmettre le goût de la recherche

Si les recherches d’Elias Fattal bénéficient de différentes sources de financement - publiques ou privées -, l’enseignant-chercheur ne perd jamais de vue son objectif ultime : tenter de sauver des vies. « La valorisation industrielle est un moyen de faire évoluer ces recherches vers des applications réelles destinées à la médecine. » Il est d’ailleurs déposant de 14 familles de brevets internationaux, dont un dans le domaine de la décontamination nucléaire pour lequel il a mis au point, en collaboration avec l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) et la société CEVIDRA, une crème destinée au traitement des personnes contaminées par blessure dans les centrales nucléaires.

Le récent déménagement de l’Institut Galien Paris-Saclay de Châtenay-Malabry au plateau de Saclay favorisera de nouvelles collaborations, selon Elias Fattal. Devenu vice-doyen Recherche de la Faculté de pharmacie il y a quelques années et désireux de s’investir dans l’animation scientifique, il met à profit cette position privilégiée pour encourager les jeunes générations à s’engager dans la recherche. « En dépit de l’évolution des responsabilités qui pèsent de plus en plus sur les carrières des enseignants-chercheurs, je suis très fier d’avoir pris le temps de communiquer ma passion de la recherche aux étudiantes et étudiants. Dès leur troisième année de pharmacie, je les invite à passer un mois dans mon laboratoire pendant l'été. Nombreux sont ceux qui sont revenus y faire une thèse. » Cette mission de sensibilisation à la recherche s’est depuis officialisée au sein de la Faculté de pharmacie.

Faire progresser les connaissances

Bénéficiant d’une reconnaissance internationale très précoce, Elias Fattal compte de nombreuses collaborations à l’étranger, comme au Brésil ou en Italie. Sa carrière est jalonnée de nombreux prix, comme celui du Dr et de Mme Henri Labbé, décerné par l'Académie des sciences en 2016 en récompense de ses travaux à l’interface de la chimie et de la biologie et qui tient une place particulière. En 2018, il reçoit le prix international Maurice-Marie Janot, de l’Association de pharmacie galénique industrielle. « La reconnaissance de ses pairs vient combler le doute de tout chercheur. » Elias Fattal est également membre de l'Académie européenne des sciences (EURASC) et de l’Académie nationale de pharmacie, et siège depuis 2022 à l’Académie nationale de médecine. Il est par ailleurs lauréat de deux prix internationaux dans le domaine des sciences pharmaceutiques, le Pharmaceutical Sciences World Congress Research Achievement, reçu en 2007, et le Controlled Released Society Fellow Award, en 2016.

Aux yeux d’Elias Fattal, c’est l’acquisition quotidienne de connaissances nouvelles qui compte, plus que l’évolution de sa carrière. Il se souvient avec émotion de ses premiers travaux sur les ARN interférents, un des moments-clés de sa vie de chercheur où il découvre « directement, sur du matériau biologique, qu’on est capable d’éteindre un gène impliqué dans une pathologie. Je me suis dit : tu vois, tu peux aller encore plus loin. »