Aller au contenu principal

Emmanuelle Deleporte : La révolution photovoltaïque

Portrait de chercheur ou chercheuse Article publié le 21 mai 2021 , mis à jour le 04 novembre 2021

Emmanuelle Deleporte est professeure des universités à l’ENS Paris-Saclay et effectue ses recherches au laboratoire Lumière, matière et interfaces (LuMIn - Université Paris-Saclay, ENS Paris-Saclay, CentraleSupélec, CNRS). Elle étudie les pérovskites hybrides halogénées, des cristaux moléculaires aux propriétés semi-conductrices et optiques remarquables. Ces matériaux font leur entrée en coup de tonnerre dans la communauté du photovoltaïque en 2012. Pourtant, le parcours d’Emmanuelle Deleporte ne la destinait pas à ce domaine et a connu un tournant décisif… 

Les pérovskites hybrides sont des cristaux formés par des molécules composées d’une partie organique et d’une autre inorganique. Elles possèdent des propriétés optiques riches et une grande flexibilité en termes de synthèse et de structure. Emmanuelle Deleporte, du laboratoire Lumière, matière et interfaces (LuMIn - Université Paris-Saclay, ENS Paris-Saclay, CentraleSupélec, CNRS), les étudie depuis maintenant près de vingt ans. 

 

Un parcours original

Élève de la toute première promotion de l’ENS Paris après la fusion des établissements de la rue d’Ulm et de Sèvres en 1986, Emmanuelle Deleporte se spécialise dans les propriétés optiques des semi-conducteurs inorganiques. « J'étudie les effets de confinement dans des hétérostructures de semi-conducteurs inorganiques, c’est-à-dire les puits quantiques ou les boîtes quantiques, et plus précisément les effets excitoniques, c'est-à-dire les interactions entre les électrons et les trous (l’absence d’électron) et leurs conséquences sur les propriétés émissives de ces structures. » Après une thèse de doctorat et un poste de maître de conférences au Laboratoire de physique de la matière condensée à l’ENS Paris, elle rejoint, en 2002, l’ENS Cachan – devenue en 2020 l’ENS Paris-Saclay – et le Laboratoire de photonique quantique et moléculaire (LPQM – Université Paris-Saclay, CentraleSupélec, CNRS, ENS Paris-Saclay). Elle devient directrice du département de physique de l’ENS Cachan de 2006 à 2016.

À son arrivée au LPQM, son parcours centré sur les semi-conducteurs inorganiques, en rupture avec la culture de physique moléculaire du LPQM, la pousse à négocier un virage serré dans sa carrière.

 

Une transition vers l’organique

Pour l’opérer, Emmanuelle Deleporte se souvient d’une anecdote passée qui va guider ses choix scientifiques futurs : « lors de mon arrivée en thèse, mon directeur de thèse m’a donné trois échantillons pour démarrer. Le laboratoire américain qui les produisait a cependant soudainement stoppé ses activités quelques mois après mon arrivée. C'est un enseignement que j'ai toujours eu en tête et qui a guidé mes choix professionnels : ne dépendre de personne pour ses échantillons », rapporte la physicienne. 

Elle souhaite se tourner vers un sujet alors en émergence : les cavités photoniques. Par le biais d’une cavité résonante contenant un matériau, il est possible de coupler l’état quantique de la matière, l’exciton, à la lumière, les photons. « Dans le cas d’un couplage fort, les états propres de la cavité photonique et de la matière ne sont plus les excitons ni les modes photoniques, mais une combinaison linéaire cohérente d'un mode de photon et d'un état excitonique que l’on appelle un polariton », explique Emmanuelle Deleporte. Du fait de leur statistique singulière, ces polaritons ouvrent la voie à de nouvelles propriétés, utiles par exemple aux lasers. À la recherche d’un matériau moléculaire, présentant de bonnes propriétés d’émission, Emmanuelle Deleporte remarque une famille de matériaux, étudiée à cette époque par quelques groupes dans le monde seulement : les pérovskites hybrides halogénées.

Les premières études de ce matériau suggèrent une structure électronique de puits quantiques, semblable à celle des semiconducteurs inorganiques. Sa synthèse ne nécessite cependant pas de technologie complexe. Elle repose sur une technique de spin-coating, ou enduction par centrifugation, d’une solution de précurseurs qui s’autoassemblent en formant des films minces, pouvant être introduits dans des cavités résonantes verticales.  

Emmanuelle Deleporte confirme son nouveau choix. « À cette époque, les pérovskites étaient peu étudiées et n’étaient pas reconnues comme des matériaux semi-conducteurs. Se tourner vers elles était un pari risqué que j'ai pu faire parce que j'avais un poste permanent. Démarrer un nouveau sujet est difficile mais après quatre ans d’efforts j’ai pu sortir un premier article dédié à mes recherches en 2006. » Forte de ce premier résultat, Emmanuelle Deleporte a pu développer ses projets puis fonder une équipe interdisciplinaire, comprenant des physiciens et des chimistes, qui produit ses propres matériaux à l’état de l’art et qui collabore avec de nombreux collègues à l’Université Paris-Saclay, en France et à l’étranger. 

 

La révolution du photovoltaïque

Il est aujourd’hui avéré que les pérovskites constituent une nouvelle classe de semi-conducteurs. Ils sont hybrides à plusieurs titres, car constitués de matériaux organiques et inorganiques, et nécessitant de combiner des concepts provenant des semiconducteurs inorganiques et des modèles de physique moléculaire pour appréhender leurs propriétés physiques. 

En 2012, les chercheurs suisse et coréen Michaël Grätzel et Nam Gyu Park produisent une cellule photovoltaïque à base de pérovskite hybride et obtiennent un rendement de production d’électricité de 9,7 % sans optimisation particulière du matériau. C’est un véritable coup de tonnerre dans la communauté du photovoltaïque. Les rendements des cellules photovoltaïques passent de 14 % en 2013, à 20 % en 2016, puis à 25,5 % en 2020. Une révolution dans le domaine du photovoltaïque. La prochaine étape est désormais d’atteindre un rendement de 30 % avec des cellules solaires dites tandem, combinant les technologies des pérovskites à celles du silicium. Le potentiel de ces matériaux s’accroît également dans le domaine de l’émission de lumière ou de la photodétection.

 

À la tête de la communauté

Ces avancées font appel aux connaissances de plusieurs communautés, notamment celles issues des semi-conducteurs inorganiques d’une part, et organiques d’autre part. Depuis 2017, Emmanuelle Deleporte fédère cette nouvelle entente pluridisciplinaire en tant que co-fondatrice et directrice du groupement de recherche HPero. Elle s’implique aussi, jusqu’en juin 2020, dans l’initiative de recherche stratégique MOMENTOM (Molecules and materials for the energy of tomorrow) de l’Université Paris-Saclay qui regroupe près de 26 laboratoires et promeut des activités de recherche en lien avec les défis énergétiques actuels. Ce projet donnera prochainement naissance à l’Institut de l’énergie soutenable, s’élargissant notamment à l’aspect économique et social de ces technologies. 

Aujourd’hui, l’équipe interdisciplinaire d’Emmanuelle Deleporte travaille sur la synthèse des pérovskites sous plusieurs formes (cristaux, films minces, nano-objets), l’étude de leurs propriétés optiques jusqu’à leur utilisation dans des composants photovoltaïques ou émetteurs de lumière. « Dans le domaine du photovoltaïque, le silicium fonctionne très bien mais le coefficient d'absorption des pérovskites est 100 fois plus grand, c’est-à-dire que là où il nous faut 10 micromètres de silicium dans une cellule solaire, plus que 100 nanomètres de pérovskite sont nécessaires. Cela rend envisageable des cellules solaires sous forme de films fins et légers dont on peut imaginer recouvrir les avions, les voitures, ou que l’on intégrera dans les vitrages. Malgré quelques problèmes de stabilité qui restent à résoudre, les pérovskites hybrides trouveront leur créneau commercial. En attendant, il y a des choses formidables devant nous, notamment en termes de découvertes de propriétés fondamentales nouvelles et originales », déclare avec enthousiasme Emmanuelle Deleporte.