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En direct de l'astéroïde Ryugu : l'analyse d'échantillons extraterrestres par la microscopie à force atomique couplée à la spectroscopie infrarouge

Recherche Article publié le 07 février 2024 , mis à jour le 07 février 2024

À l'Institut de chimie-physique (ICP – Univ. Paris-Saclay, CNRS), l'équipe en charge des instruments de nanospectroscopie infrarouge fait partie d'un consortium international dont l’objectif est l'analyse des échantillons de l'astéroïde Ryugu, ramenés sur Terre par la mission spatiale japonaise Hayabusa 2. Obtenus en partenariat avec des collègues du Laboratoire de physique des deux infinis – Irène Joliot-Curie (IJCLab – Univ. Paris-Saclay, CNRS, Univ. Paris Cité), de l'Institut des sciences de la matière d'Orsay (ISMO – Univ. Paris-Saclay, CNRS) et du Muséum national d'histoire naturelle (MNHN), les premiers résultats sur la matière organique retrouvée dans les échantillons de Ryugu promettent déjà d'autres découvertes.

Échantillons de l'astéroide Ryugu
Échantillons de l'astéroïde Ryugu

Les astéroïdes et les comètes, à travers leurs composés organiques, fournissent aux scientifiques des informations cruciales sur la genèse du système solaire, voire même sur la Terre primordiale. Plusieurs missions spatiales ont, par le passé, été consacrées à l’exploration de ces petits corps célestes solides. Choisi comme cible de la mission spatiale Hayabusa 2, lancée le 13 décembre 2014 par l'agence spatiale japonaise (JAXA pour Japan Aerospace Exploration Agency), l'astéroïde Ryugu orbite dans la ceinture rocheuse qui s'étend entre Mars et Jupiter. D'un diamètre moyen de 900 mètres, cet astéroïde prend la forme d'une toupie ou d'un diamant. Il s'agit d'une chondrite carbonée, dont le faible pourcentage en atomes de carbone suffit à la rendre sombre dans l'objectif des astrophysiciens et astrophysiciennes. Rejoint par la sonde Hayabusa 2 en juin 2018, l’astéroïde a été étudié sur place jusqu'en novembre 2019. Une capsule contenant plus de 5 grammes d'échantillons de surface a ensuite pris le chemin du retour et atterri en décembre 2020 dans le désert australien. Les échantillons sont alors partis à l’analyse auprès de différents laboratoires.

Microlevier de microscope à force atomique. (c)Alexandre Dazzi

La participation de l'Institut de chimie-physique (ICP) à cette analyse - et plus particulièrement de l'équipe en charge des instruments de nanospectroscopie infrarouge, dirigée par Alexandre Dazzi et composée d’Ariane Deniset-Besseau et de Jérémie Mathurin -, doit beaucoup à son responsable. En 2004, Alexandre Dazzi a l'idée d'associer un microscope à force atomique (AFM) à un laser infrarouge pulsé. Son but : réaliser de la spectroscopie infrarouge (IR) à une échelle nanométrique. La spectroscopie IR détecte les vibrations moléculaires afin d'identifier des fonctions chimiques caractéristiques de la matière. Souvent couplée à la microscopie optique, elle obtient des mesures localisées avec une grande précision. Mais sa résolution se borne à quelques micromètres (µm), une limite imposée par les phénomènes de diffraction de la lumière. L'AFM, quant à lui, sonde la morphologie de la surface d'un échantillon à l'aide d'une pointe extrêmement fine, avec une précision de l'ordre de la dizaine de nanomètres (nm). Le couplage de ces deux techniques fournit des images chimiques avec une résolution spatiale fine. Pour sa découverte de l’AFM-IR, le professeur à l’Université Paris-Saclay obtient en 2023 le grand prix Raymond Castaing, qui récompense des chercheurs et chercheuses ayant contribué de manière remarquable à la microscopie au sens large.
 

Des micrométéorites de l'Antarctique à l'astéroïde Ryugu

L'implication de l’équipe de l’ICP dans l’aventure Ryugu part d'un concours de circonstances. Quand Cécile Engrand, chercheuse à l’IJCLab, et Jean Duprat, du MNHN, reviennent de l'Antarctique avec des micrométéorites ultra-carbonées (UCAMMs), les scientifiques spécialisés dans l’AFM-IR topographient la matière organique contenue dans des coupes d’échantillons savamment préparées. Ils montrent la capacité de l'AFM-IR à mesurer les associations entre matière organique et minéraux dans des inclusions de seulement quelques dizaines de nanomètres. Une prouesse que relatent Cécile Engrand et Jean Duprat devant les membres de Hayabusa 2. Les scientifiques de l’ICP sont ensuite contactés par l'équipe japonaise, très intéressée par leur méthode d'analyse, et finissent par recevoir les fameux échantillons de l'astéroïde Ryugu.
 

Une préparation cruciale des échantillons en amont

Le microscope AFM-IR. (c) Alexandre Dazzi.

Avant même de songer à analyser ces échantillons, une première étape, cruciale, concerne la mise au point du bon protocole de préparation de la surface des échantillons. « Si le matériau est trop mou, la découpe s'avérera impossible. S'il est trop dur, l'écrasement ne sera pas à plébisciter », illustre Jérémie Mathurin. Ce travail, Jérémie Mathurin et ses deux collègues l'ont maintes fois réalisé au gré des années passées à étudier divers matériaux et y ont développé une certaine expertise. Alors que l’équipe obtient de la JAXA des grains intacts (de 200 à 900 μm) ainsi que des résidus carbonés insolubles (isolés par traitement acide), elle privilégie une cellule à enclumes de diamant pour préparer la surface des échantillons. En effet, la pression écrase purement et simplement le matériau et ouvre la voie à de multiples analyses.

Une seconde étape se montre ensuite nécessaire. Elle consiste à déterminer les principales zones d'intérêt. Pour ce faire, l’équipe réalise une analyse en micro-spectroscopie infrarouge à l'aide du synchrotron SOLEIL. Cet instrument électromagnétique accélère des particules élémentaires à très haute énergie. Le rayonnement induit sert ensuite à analyser des spectres chimiques dans une multitude de longueurs d'onde, avec une résolution toutefois moindre que celle de l'AFM-IR. « En ciblant les zones mises en avant par le synchrotron, nous avons observé des hétérogénéités et de nouveaux points d'intérêt, restés invisibles autrement », ajoute Alexandre Dazzi.
 

La technique de la résonance photothermique induite

Munie d'un modèle d'IconIR de chez Bruker, l’équipe part alors en quête de matière organique. Elle utilise le phénomène physique à la base de l'AFM-IR : la résonance photothermique induite. Lorsque l’échantillon analysé absorbe les pulsations du laser infrarouge, il se dilate. Plus il absorbe de rayonnement, plus il se dilate. Ce déplacement est si minime que même la pointe nanométrique se montre incapable de le détecter directement. Toutefois, elle transmet la vibration induite au levier qui la soutient, à la façon d'un diapason. Les scientifiques obtiennent ainsi une mesure de la quantité de lumière infrarouge absorbée par la matière présente sous la pointe. Cette information est ensuite reliée à une liaison chimique par le biais de la longueur d'onde. En procédant de même pour chaque longueur d'onde d'intérêt, il devient possible de reconstruire la composition de la zone étudiée.
 

La composition de Ryugu raconte son histoire

Par leur analyse, Alexandre Dazzi, Ariane Deniset-Besseau et Jérémie Mathurin mettent en évidence différents types de matière organique présents sur l’astéroïde Ryugu. La majorité appartient aux carbones dits aromatiques et à leurs liaisons carbone-carbone. Sont également visibles des carbones aliphatiques, typiques de longues chaînes linéaires carbonées. L'équipe met également à jour la distribution particulière de cette matière organique vis-à-vis des minéraux alentours. « Les carbones aromatiques se trouvent insérés dans les feuillets de silicates, tandis que les carbones aliphatiques apparaissent dans des systèmes concentrés », indique Jérémie Mathurin. Les compositions relevées sur Ryugu sont en accord avec celles attendues pour des chondrites carbonées. Ces météorites sont connues pour avoir subi une altération aqueuse, c'est-à-dire en réaction avec de l'eau liquide. Ryugu, par ailleurs, ne présente pas ou peu de matériau de type graphite, ce qui réduit les possibilités d'un échauffement de son corps parent.

Mises bout-à-bout, ces informations suggèrent une formation de la matière organique de l'astéroïde durant (voire avant) les débuts de l’agencement du système solaire, dans le milieu interstellaire ou dans la région externe du disque protoplanétaire (d'où émergeront les planètes). L'astéroïde parent aurait ensuite connu une étape d'altération aqueuse avant de subir un impact éjectant du matériau qui, en se réassemblant, aurait donné naissance à Ryugu.
 

Après les astéroïdes, pourquoi pas Mars ?

Les membres de l'ICP n'en ont pas encore fini avec Ryugu et les échantillons extraterrestres. Actuellement, une doctorante de l’équipe poursuit les analyses sur de nouveaux échantillons fournis par la JAXA. L'équipe a, en parallèle, candidaté en 2022 au Programme et équipements prioritaires de recherche (PEPR) Origins avec son projet ASTRO-AFMIR (ASTROmaterials revealed by Atomic Force Micoscopy-InfraRed), et obtenu un financement à hauteur de 1,6 millions d'euros en septembre 2023. Ce projet vise principalement à acquérir un nouvel AFM-IR spécifiquement dédié à la cartographie des variations chimiques de la matière organique, comme inorganique, au sein de matériaux extraterrestres, à l'échelle du nanomètre. Alexandre Dazzi ne s'en cache pas, l'idée est « d'être prêts pour les futures missions spatiales avec retour d'échantillons, et notamment celles à destination de Mars ». C'est pourquoi la nouvelle installation prendra place dans une chambre environnementale propre, neutre et contrôlée afin d'éviter tout risque de contamination, martienne comme terrienne. Dans le cadre d'ASTRO-AFMIR, les trois membres de l'ICP s'engagent également à former entre cinq et dix doctorants, post-doctorants et ingénieurs de recherche.

Alexandre Dazzi, Ariane Deniset-Besseau et Jérémie Mathurin organisent aussi la première édition d'un congrès européen centré sur la nanospectroscopie infrarouge : le European meeting on InfraRed Nanospectro-Imaging, qui se déroulera du 12 au 15 mars 2024 à l'Université Paris-Saclay. Ateliers et conférences sont au programme, et une centaine de personnes attendues pour cet événement qui marquera les vingt ans de l'invention de la technique AFM-IR.
 

Références :