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Fairbrics recycle le CO2 en fibre synthétique

Innovation Article publié le 06 juillet 2023 , mis à jour le 06 juillet 2023

Le sujet n’est plus à débattre : l’industrie doit réduire ses émissions de gaz à effet de serre pour limiter le réchauffement climatique. Pour faciliter cette transition, la start-up Fairbrics utilise le CO2 pour le transformer en un produit du quotidien : le PET qui peut être utilisé sous forme de fibre, le polyester. Focus sur cette entreprise prometteuse. 

Tout débute en 2019, quand deux ingénieurs chimistes se rencontrent dans l’incubateur Entrepreneur First, hébergé à Station F, à Paris. Tawfiq Nasr Allah travaille déjà depuis une dizaine d'années sur la valorisation du CO2 et a soutenu fin 2018 sa thèse sur le même thème au CEA Paris-Saclay, sous la direction de Thibault Cantat du laboratoire Nanosciences et innovation pour les matériaux, la biomédecine et l'énergie (NIMBE – Univ. Paris-Salcay, CEA, CNRS). Benoît Illy, titulaire d’un doctorat en science des matériaux, souhaite quant à lui se lancer dans la création d’entreprise. Les partenaires veulent contribuer à la réduction des émissions de gaz à effet de serre, dont 5 % sont émis par l’industrie de la mode. Aujourd'hui, le polyester représente 60 % du marché, mais sa fabrication nécessite 100 millions de tonnes de produits pétroliers chaque année. De leurs réflexions naît Fairbrics, située à Villebon-sur-Yvette (Essonne), qui valorise le CO2 en fibre de polyester. « Il y a un très fort intérêt pour ce genre de technologie, il existe des preuves de concepts, mais avec une très faible maturité et le besoin est énorme », explique Benoît Illy. 

 

De nombreux soutiens 

En 2020, la start-up lance sa première levée de fonds et récolte un million d’euros grâce à des business angels. Elle s’installe ensuite sur le plateau de Saclay, dans l’accélérateur du chimiste Air Liquide. « C’est dans ce premier laboratoire que nous avons développé notre preuve de concept et fabriqué notre premier T-shirt. Il a beaucoup plu aux investisseurs », ajoute le co-fondateur. Les marques H&M, On-Running et Aigle signent alors des accords d’achat pour le matériau produit par la start-up. Poussée par ces résultats concluants, Fairbrics récolte cinq millions d’euros supplémentaires en janvier 2022. Selon Benoît Illy, « aujourd’hui la phase de laboratoire est finie. Nous industrialisons maintenant notre procédé ». Pour financer cette montée en échelle, la jeune entreprise recueille 22 millions d’euros en janvier 2023, 17 millions d'euros issus du programme de recherche et d'innovation Horizon 2020 de l'Union européenne et 5 millions d'euros provenant de ses partenaires. La start-up lancera un nouveau tour de table d’ici à la fin de l’année 2023 pour consolider ses finances et sécuriser ses projets en cours. Dix-sept personnes travaillent actuellement pour l’entreprise. 

 

Valoriser le CO2 industriel 

Quand la solution sera industrialisée, tout commencera au cœur des industries lourdes, telles que la sidérurgie ou la pétrochimie, qui rejettent beaucoup de CO2. Celui-ci sera récupéré, embouteillé et racheté à bas coût par la start-up. Une solution gagnant-gagnant puisque les industriels sont exonérés de taxe carbone et peuvent communiquer sur la réduction de leurs émissions. « Il y a encore très peu de valorisation du CO2. Notre but est de réaliser des partenariats avec des industriels qui émettent du dioxyde de carbone. On les débarrasse tout en réduisant leurs émissions, développe le co-fondateur. Lorsqu’on achète un T-shirt, il est fabriqué à partir de fibres de polyester qui sont elles-mêmes fabriquées à partir de copeaux de polyester, synthétisé grâce à un acide et un alcool. Notre procédé change la façon de produire ses molécules. Nous nous servons du CO2 comme brique élémentaire. » La suite appartient à l’histoire de la chimie catalytique. Une électrolyse permet de convertir le dioxyde de carbone en monoxyde de carbone (CO). S’ensuivent deux étapes de carbonylation oxydante et d’hydrogénation de l'oxalate. Le produit obtenu est l’éthylène glycol, qui, associé à l’acide téréphtalique, sert à fabriquer du PET, les fameuses fibres de polyester. Ce procédé complexe fait l’objet de sept brevets. En analysant le cycle de vie de ses molécules, la start-up affirme que son polyester réduit l’empreinte carbone de la fibre de 70 %. 

 

Les prochaines étapes 

« Pour l’instant, nous arrivons à produire la totalité de l’éthylène glycol grâce au CO2. Nous travaillons encore sur la synthèse de l’acide téréphtalate, qui est toujours synthétisé à partir de matière vierge ou recyclée. Notre objectif, à terme, est de concevoir un PET issu à 100 % du carbone industriel », explique Benoît Illy. Ce qui devrait être possible d’ici trois ans, estime le cofondateur. En attendant, Fairbrics ambitionne d'installer un démonstrateur pilote à Anvers, en Belgique, d'ici mi-2024. Le CO2 sera directement récupéré sur la plateforme chimique du port. Ce pilote sera en mesure de produire 100 kg par jour de polyester, de quoi fabriquer près de 1 000 T-shirts. La première usine pilote verra le jour en 2026 et sera capable de produire une tonne par jour de polyester. 

Si actuellement la jeune pousse est dans l’optique de construire son démonstrateur et son usine pilote, l’objectif final est différent. Elle souhaite, en effet, faire de la licence de technologie pour des fabricants, en se limitant à la production de billes de polyester, afin de restreindre les investissements en matériel. 

« Pour le moment, nous sommes concentrés sur des applications qui concernent les habits. Mais nous envisageons de travailler sur les emballages en plastique ou même de faire des partenariats avec des constructeurs automobiles pour concevoir leurs sièges », précise Benoît Illy. Et de conclure : « Si des chimistes du plateau de Saclay sont intéressés par notre projet, qu’ils nous contactent, nous recrutons beaucoup de personnel en ce moment ! » 

 

Les partenaires de Fairbrics 

Les industriels l’ont montré lors des nombreuses levées de fonds de la start-up : le projet de recycler le CO2 en polyester fait des adeptes. D’autant plus que l’entreprise ne réalise que la synthèse de l’éthylène glycol et de l’acide téréphtalate et doit, par conséquent, compter sur ses partenaires pour la transformation de ces substances en fibre polyester. Les participants au projet d’accélération industrielle de la technologie de Fairbrics sont l’Université d’Anvers (Belgique), Tecnalia (Espagne), Lappeenrannan Lahden teknillinen yliopisto (Finlande), Aimplas (Espagne), CiaoTech (Italie), Deutsche institute fur textil- und faserforschung denkendorf (Allemagne), la ville de Lappeenranta Villmanstrand (Finlande), Digiotouch Ou (Estonie), Faurecia (France), Naldeo (France), SurePure (Belgique) et Les Tissages de Charlieu (France). Ces industriels, issus de sept pays européens, sont présents sur l’ensemble de la chaîne de valeur, de l’aval avec des experts en conception technique, en captation de CO2, en recyclage chimique ou encore électrolyse; à l’amont avec, par exemple, Faurecia, équipementier pour l’automobile, et les Tissages de Charlieu, spécialistes du textile.

Les cofondateurs Tawfiq Nasr Allah et Benoît Illy sont les actionnaires majoritaires de Fairbrics, le reste des actions étant possédé par des investisseurs corporate.

 

Brevets :

  • Nouveau catalyseur hétérogène à base de palladium, son procédé de préparation et son utilisation N°FR3126973
  • Procédé de synthèse d'éthylène glycol N°WO2021198782
  • Cellule d'électrolyse sans membrane et son utilisation dans des réactions d'électrolyse N°WO2023037009
  • Nouveau procédé de préparation de composés oxalates et oxamides par voie catalytique N°WO2023036955