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Fermeture des écoles, Covid-19 et santé mentale des enfants

Recherche Article publié le 19 janvier 2022 , mis à jour le 27 janvier 2022

Fermer ou laisser les écoles ouvertes ? Cette question est l’une des plus posées depuis le début de la pandémie de Covid-19. Tous les avis ont été émis à ce sujet, à la fois dans la littérature scientifique et dans les médias, souvent de façon à déterminer les risques de propagation du virus. Mais qu’en est-il de l’impact de telles mesures sur la santé mentale et comportementale des enfants ? Dans le cadre du projet SAPRIS, une équipe pluridisciplinaire de chercheurs et de chercheuses s’est intéressée aux troubles émotionnels et comportementaux des enfants au moment de la fermeture des écoles de mars à juin 2020.

De nombreuses mesures, plus ou moins restrictives, sont mises en place à travers le monde pour lutter contre la pandémie de Covid-19. Mesure phare, la fermeture des établissements scolaires pour limiter la propagation du virus occasionne encore de vifs débats quant à ses bénéfices et ses coûts. Car fermer une école n’est pas anodin : pour un enfant, c’est tout un monde social qui s’endort, toute la trajectoire de sa vie qui est influencée. Comment évaluer les effets indirects qu’a une telle mesure sur la santé mentale des enfants ?

Dans le cadre du projet SAPRIS (Santé, pratiques, relations et inégalités sociales en population générale pendant la crise Covid-19), une équipe pluridisciplinaire de chercheurs et de chercheuses, comprenant notamment des membres du Centre de recherche en épidémiologie et santé des populations (CESP – Univ. Paris-Saclay, UVSQ, Inserm), s’est intéressée à la santé mentale des enfants lors du premier confinement et aux facteurs associés. L’étude, coordonnée par Cédric Galera du Centre de recherche « Bordeaux population health », pointe d’importants taux de troubles émotionnels et d’hyperactivité-inattention observés chez les enfants au moment des fermetures scolaires, et détaille les différents facteurs socioéconomiques associés à ces troubles. 

 

L’enquête SAPRIS : une étude inédite pour une crise sans précédent

SAPRIS porte sur les différentes dimensions liées au choc occasionné par la crise sanitaire du Covid-19, qu’elles soient somatiques, psychologiques ou socioéconomiques. L’approche implique des épidémiologistes, des sociologues, des démographes ou encore des économistes de la santé, tous mobilisés pour analyser les effets divers de cette crise sur la population. Les moyens réunis sont inédits : le projet SAPRIS fait appel à cinq grandes cohortes nationales rassemblant au total plus de 300 000 sujets, suivis pour certains depuis plus de dix ans. Le but est d’élaborer et de proposer un questionnaire commun, destiné à évaluer spécifiquement les effets de la crise sanitaire, et de l’envoyer aux participants des cinq cohortes.

Pour étudier la santé mentale et le comportement des enfants au moment de la fermeture des écoles, l’équipe pluridisciplinaire de scientifiques sollicite plus particulièrement les cohortes ELFE et EPIPAGE 2, composées d’enfants suivis depuis leur naissance en 2011. Ces ressources sont décisives car elles permettent d’explorer l’effet de facteurs de risque originaux sur un grand nombre d’enfants. Et le grand questionnaire mis au point par le groupe SAPRIS doit collecter suffisamment d’informations afin de donner de la matière à un maximum de disciplines. « Chaque discipline peut travailler sur une même sphère, mais son approche sera différente. Ensemble, nous avons formulé un questionnaire élargi au plus grand nombre de disciplines », résume Alexandra Rouquette, chercheuse au CESP, médecin de santé publique et membre du projet SAPRIS.  

 

Santé mentale des enfants et fermeture des écoles

Alors que les avantages ou les inconvénients de la fermeture des écoles sont encore débattus, les travaux réalisés montrent des taux importants d’hyperactivité, d’inattention et d’émotions anormales chez les enfants âgés entre 8 et 9 ans entre avril et mai 2020. Ils déterminent par ailleurs les facteurs socioéconomiques associés à ces comportements. Appartenir au genre masculin, afficher antérieurement à la crise sanitaire quelques troubles et être d’une famille peu aisée sont par exemple des critères plus fréquents chez un enfant avec trouble d’hyperactivité et d’inattention. Faire partie d’une famille modeste, connaître une situation parentale instable ou encore rencontrer un cas de covid-19 au sein de son foyer sont également des éléments en lien avec la présence de symptômes émotionnels anormaux chez l’enfant. 

Alors que le projet SAPRIS prend aujourd’hui fin dans les cohortes ELFE et EPIPAGE, les chercheurs et les chercheuses émettent plusieurs limites à leur étude, en particulier l’absence de certains facteurs dans l’analyse. « Comme celui d’évaluer l’impact du temps passé devant les écrans, pour l’école, sur la santé mentale de l’enfant, ce qui nous semble aussi essentiel », rapporte Alexandra Rouquette. La qualité du sommeil d’un enfant, son tempérament sont aussi des éléments très difficiles à quantifier. Et pour mieux appréhender l’effet de la fermeture des écoles, il est essentiel de comparer la santé mentale des enfants entre les périodes de fermeture et celles de maintien de l’ouverture des écoles grâce aux données disponibles en France.

 

Des enjeux scientifiques et politiques importants

L’originalité des travaux réalisés reste indéniable. Peu d’autres études se sont intéressées aux effets indirects sur l’enfant des mesures prises contre la Covid-19, et à l’impact sur lui des inégalités socioéconomiques. Il en découle une véritable implication politique. Pour les chercheurs et les chercheuses, fermer les écoles favorise certaines conditions liées à l’émergence de problèmes de santé mentale chez les enfants et, par là-même, les inégalités de santé. Alors que la pandémie est toujours très active et que le spectre de mesures plus restrictives plane encore, les résultats de cette étude font naître d’importants enjeux. Ils fournissent un premier outil à destination des décideurs et des décideuses pour les accompagner dans la mise en place de mesures. « Les enfants issus de familles aux revenus modestes sont les plus affectés. Si jamais la crise sanitaire nous conduisait à refermer les écoles, il faudrait penser à adapter les mesures pour ces enfants-là. Un accompagnement psychologique, par exemple, serait envisageable pour limiter l’impact sur leur santé mentale », propose Alexandra Rouquette. 

 

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