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Forêts : comment l’éclaircie influence l’activité biologique du sol

Recherche Article publié le 16 février 2024 , mis à jour le 16 février 2024

Comme l’ensemble du vivant, les forêts sont menacées par le réchauffement climatique et leur exploitation par l’être humain dans un but commercial. Une étude récente, réalisée par des scientifiques du laboratoire Écologie, systématique, évolution (ESE - Univ. Paris-Saclay, CNRS, AgroParisTech) en collaboration avec le laboratoire Écosystèmes forestiers (EFNO) de l’INRAE, s’intéresse aux conséquences de l’éclaircie, une pratique sylvicole répandue. Grâce à une analyse du sol de différentes parcelles forestières, les équipes ont mesuré l’activité biologique présente, pour mieux en comprendre son fonctionnement.

Puits de carbone, sources de bois et refuges de la biodiversité, les forêts sont des espaces clefs du monde vivant et de ses interactions avec l’être humain. Pour la plupart d’entre nous, une forêt est uniquement un regroupement d’arbres. Mais pour Stéphane Bazot, professeur des universités et directeur-adjoint du laboratoire ESE, et son équipe, ce qui se joue aux pieds de cette végétation mérite tout leur intérêt : le sol forestier est le lieu, sensible, de la transition entre l’écorce terrestre et le vivant.
 

Un dispositif expérimental d’étude des pratiques sylvicoles

Les forêts sont soumises à bien des perturbations extérieures. Outre les sécheresses qui les frappent régulièrement ces dernières années en raison du réchauffement climatique, elles subissent, de longue date, une exploitation commerciale de leur bois. La sylviculture, l’activité qui vise à entretenir les forêts dans ce but économique, fait appel à différentes techniques de gestion de la forêt. Une des pratiques utilisées est par exemple l’éclaircie. Cette technique consiste à couper une partie des arbres d’une parcelle forestière. L’accès à la lumière, les ressources disponibles en eau et en nutriments sont alors mieux réparties entre les arbres restants, ce qui favorise leur croissance. Les arbres forment des troncs droits et épais qui ont une plus grande valeur marchande. La pratique des éclaircies est par ailleurs aujourd’hui très répandue. Elle se réalise même parfois sans but économique mais en vue de préserver une parcelle touchée par la sécheresse.

Ses conséquences sur la biodiversité doivent aussi être étudiées. En 2015, l’équipe de Nathalie Korboulewsky du laboratoire Écosystèmes forestiers (EFNO) de l’INRAE se saisit de la question en forêt d’Orléans, à proximité de Nogent-sur-Vernisson. Elle mène des éclaircies sur une partie des parcelles forestières tout en préservant la densité forestière des autres, à tel point que le site offre aujourd’hui un support de comparaison rigoureux entre parcelles éclaircies et parcelles plus denses.

Ces parcelles en forêt d’Orléans présentent également la particularité d’avoir été administrées par l’Office national des forêts (ONF) depuis plus de 70 ans et les espèces d’arbres présentes sur chacune d’entre elles sont très bien définies : on distingue ainsi des parcelles présentant uniquement des chênes, d’autres où l’on ne trouve que des pins, et enfin des parcelles où les deux essences d’arbres sont mélangées.
 

Le sol forestier : usine de recyclage de la matière organique

Récemment, l’équipe de Stéphane Bazot, experte en analyse du sol, s’est associée avec celle de Nathalie Korboulewsky pour évaluer l’impact de la pratique de l’éclaircie sur la composition et l’activité biologique du sol forestier. Quand il décrit ce dernier, Stéphane Bazot dessine des strates sur une feuille de papier : tout en haut, il place la végétation, tout en bas, la roche-mère - autrement dit la partie superficielle de la croûte terrestre -, et entre les deux, un ensemble de couches intermédiaires constituées de terre. Cette terre se compose à la fois d'éléments minéraux et de matière organique vivante et morte. En effet, le développement d’un sol à partir de la roche-mère se fait par une altération de la roche, combinée à l'activité des organismes vivant dans ce sol. Ces derniers apportent et décomposent la matière organique. À mesure que le processus avance, le sol se structure et la végétation se fait de plus en plus dense et se diversifie. À terme, le sol accueille les arbres qui forment la forêt.

Cependant, cette matière organique libérée par les plantes tout au long de leur vie ne demeure pas sous cette forme. Elle devient l'objet d’une activité biologique intense. D’abord fragmentée par de petits insectes ou des vers, elle est ensuite digérée par des êtres vivants de plus en plus petits. On parle de minéralisation de la matière organique. Les éléments chimiques qui la constituent se retrouvent dans des molécules les plus simples possibles : le carbone sous la forme de CO2, l’azote dans les ions ammonium, nitrite ou nitrate. Ce sont ces espèces chimiques que les plantes exploitent pour leur croissance. L’intensité de l’activité biologique du sol est donc directement liée à sa fertilité.

Ce processus de minéralisation fait apparaitre une structure en couches : ce sont les horizons du sol. Chaque horizon se caractérise par une proportion donnée entre matière organique et matière minérale, des processus d'altération, des phénomènes d'accumulation... La roche-mère, sous le sol, est purement minérale. En surface, au contact avec l'atmosphère, l’horizon O (pour organique), contient notamment la litière qui jonche le sol des forêts et l'humus. C’est sur cet horizon que l’équipe de Stéphane Bazot s’est concentrée car, étant totalement organique, il représente une voie d'entrée importante de matière organique au sol via les apports de litière aérienne.
 

Mesurer le vivant

L’horizon organique contient une telle diversité d’organismes vivants et de mécanismes à l’œuvre que l’étude en est complexe. L’équipe du laboratoire ESE a notamment dû procéder à un grand nombre de caractérisations. Des mesures du flux de CO2 qui se dégage du sol permettent d'évaluer l'intensité de l'activité biologique du sol. En outre, la quantité de microorganismes présents dans le sol est appréciée via des mesures de concentration en carbone et en azote dans un échantillon, avant et après avoir dégradé les microorganismes, qui libèrent alors leur contenu cellulaire dans le milieu.

L’équipe a également procédé à des mesures qualitatives, notamment concernant l’épaisseur et l’aspect du humus dont elle a noté des variations entre les différentes parcelles. Elle a par ailleurs utilisé la technique de la PCR quantitative (Polymerase Chain Reaction), qui sert à quantifier un fragment d’ADN spécifique des bactéries, des archées ou des champignons, afin d'évaluer la représentativité de ces groupes au sein de la population microbienne globale.
 

La biodiversité comme garantie du vivant

Une fois tous ces indicateurs réunis, l’équipe a utilisé une méthode statistique pour mettre en évidence ce qui, de la densité ou du type de peuplement des parcelles, explique l’essentiel des différences obtenues sur les paramètres étudiés. Sa conclusion est que le choix des essences joue un rôle prépondérant sur l’activité du sol. Les parcelles dont la couverture est mixte (chêne et pin) présentent un sol biologiquement bien plus actif que les parcelles de pin ou de chêne pures.

En revanche, en variant la densité des arbres, comme lors d’une éclaircie, « on ne voit pas d'effet très net sur le fonctionnement du sol », remarque Stéphane Bazot. Cette autre conclusion reste toutefois à nuancer car les coupes d’éclaircies n’ont été achevées qu’il y a cinq ans. « Pour une forêt, cinq ans, ce n'est pas grand-chose », confirme Stéphane Bazot. Si l’éclaircie ne semble pas affecter l’activité du sol forestier à court terme, les scientifiques confirment toutefois que c’est bien la diversité qui fait la force du vivant.
 

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