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Hommage à Matthieu Roy-Barman : des traceurs isotopiques pour comprendre l’océan

Portrait de chercheur ou chercheuse Article publié le 23 mars 2022 , mis à jour le 23 mars 2022

Nous avions rencontré Matthieu Roy-Barman pour préparer ce portrait quelques semaines avant son décès brutal, samedi 19 mars 2022. Ce portrait se veut un hommage au scientifique qu’il était.

 

Matthieu Roy-Barman était professeur à l’Université de Versailles – Saint-Quentin-en-Yvelines (UVSQ), chercheur au Laboratoire des sciences du climat et de l’environnement (LSCE – Univ. Paris-Saclay, CNRS, CEA, UVSQ) et directeur de la Graduate School Géosciences, climat, environnement, planètes de l’Université Paris-Saclay. Spécialiste des traceurs géochimiques dans l’océan, il utilisait les isotopes du thorium, du protactinium et de l’actinium pour étudier les flux de particules marines. 

Alors qu’il se consacrait depuis plus de 20 ans à l’étude des flux de particules dans les océans, Matthieu Roy-Barman n’aimait pas se présenter comme un océanographe. « Je préfère me définir comme un géochimiste », expliquait-il. Et pour cause, loin d’être une coquetterie de sa part, cette précision lexicale donnée en préalable était de fait une clé pour entrer dans son histoire de chercheur. 

 

L’analyse isotopique : de la terre solide aux enveloppes fluides

Élève ingénieur à l’École nationale supérieure de géologie de Nancy, Matthieu Roy-Barman a choisi très tôt de s’orienter vers la recherche. Après une thèse de géochimie fondamentale à l’Institut de physique du globe de Paris où il s’est consacré aux isotopes de l’osmium (187Os / 186Os) et aux transferts de matière dans les enveloppes profondes de la Terre, c’est au California Institute of Technology, où il a poursuivi ses travaux en post-doc, qu’il a pris le premier grand virage de sa carrière. « N’entrevoyant que peu de perspectives nouvelles dans le domaine des enveloppes solides, j’ai décidé entre mes deux années de post-doc de réorienter mes recherches vers les enveloppes fluides, sans pour autant changer de méthodologie. J’ai donc abandonné l’osmium pour me consacrer à l’analyse d’un autre isotope présent dans l’eau de mer, le thorium, que l’on peut considérer comme un véritable chronomètre de la vitesse de chute des particules marines1. » Un virage vers la géochimie marine dont les premiers résultats lui ont permis d’être recruté comme maître de conférence à l’Université Paul Sabatier de Toulouse en 1995 où il a continué de développer ses méthodes d’analyses isotopiques. Puis, en 2001, il a rejoint le Laboratoire des sciences du climat et de l’environnement (LSCE- Univ. Paris-Saclay, CNRS, CEA, UVSQ) et est devenu maître de conférence à l’Université de Versailles-Saint Quentin-en-Yvelines en 2002, avant d’obtenir en 2005 un poste de professeur dans cette même université. 

 

Analyser des quantités d’isotopes toujours plus petites

Après quelques années consacrées à l’analyse du thorium, Matthieu Roy-Barman a décidé, à l’occasion du financement d’un projet franco-suédois, d’orienter ses recherches vers un autre isotope, le protactinium, plus sensible à la circulation des masses d’eau qu’il cherche à mieux comprendre. Pour ce faire, il s’est appuyé sur des échantillons obtenus lors de la campagne Arctique du programme international Geotraces. « Comme c’était déjà le cas dans le cadre de mes recherches sur le thorium, l’enjeu pour moi était alors de parvenir à analyser des quantités d’isotopes toujours plus petites pour pouvoir travailler à partir d’échantillons de taille raisonnable2 et ainsi de permettre à la recherche d’avancer plus vite dans la compréhension du comportement du cycle du carbone dans l’océan », expliquait le chercheur. Objectif atteint puisqu’à l’issue de ce projet, il est parvenu, avec ses doctorantes et doctorants, à mesurer des quantités de protactinium de l’ordre du femtogramme (10-15 gramme) par kilogramme. « Le protactinium précédant l’actinium dans la chaîne de désintégration de l’uranium, nous avons ensuite décidé de nous intéresser à cet autre traceur d’intérêt difficile à mesurer qu’est l’actinium. Notre objectif : parvenir à mesurer l’actinium par spectrométrie de masse à partir d’échantillons de dix litres au lieu d’échantillons de plusieurs dizaines de litres », ajoutait le chercheur. Un défi qu’il est parvenu une nouvelle fois à relever, grâce au travail de son doctorant Martin Levier qui vient de soutenir une thèse sur ce sujet. « À partir, cette fois-ci, d’échantillons de 10 litres d’eau de mer prélevés en 2008 dans le cadre de la campagne Bonus Goodhope dans l’Atlantique, nous avons réussi à mettre au point une méthode d’analyse de l’actinium par spectrométrie de masse et dilution isotopique », expliquait-il. Une très belle avancée dont Matthieu Roy-Barman espérait qu’elle contribuerait à démocratiser la mesure de l’actinium et sur laquelle il n’entendait pas s’arrêter. « Nous travaillons maintenant sur les échantillons prélevés lors de la campagne de mesures océanographiques SWINGS avec pour objectif de mesurer le maximum de traceurs sur des échantillons de dix litres », commentait-il. 

 

Utiliser des isotopes pour tracer le plomb autour de Notre-Dame

Si Matthieu Roy-Barman consacrait la majeure partie de son temps de recherche à la géochimie marine, il lui arrivait par ailleurs de collaborer aux travaux de ses collègues sur des thématiques plus orientées environnement et géosciences. « J’interviens par exemple ponctuellement dans le cadre de recherches sur le devenir du plomb autour de Notre-Dame de Paris suite à l’incendie qui a eu lieu en avril 2019 », indiquait le chercheur. Les rapports entre les isotopes du plomb étant différents en fonction de la mine dont le plomb a été extrait, il est en effet possible, à partir de la mesure de la composition isotopique du plomb, d’identifier précisément les traces de plomb retrouvé autour de Notre-Dame. « Paris étant une ville extrêmement plombée, ces analyses devraient permettre de savoir si la présence de plomb autour de la cathédrale est ou non une conséquence de l’incendie qu’a connu cette dernière », expliquait Matthieu Roy-Barman. 

 

À la frontière des communautés, un grand sens du collectif

« Solitaire » - comme il aimait à se qualifier - côté recherche, Matthieu Roy-Barman n’a toutefois pas hésité à multiplier les responsabilités côté enseignement. À l’origine, avec quelques collègues, de la création du master Interaction, climat, environnement dont il a été le responsable pendant treize ans, il a également été directeur-adjoint et responsable du Pôle Paris-Saclay, de l’École doctorale des sciences de l’environnement Île-de-France pendant 5 ans. « L’enseignement a toujours été un moteur pour moi. Enseigner en océanographie, moi qui, par formation, venait de la géologie, m’a vraiment permis d’avancer y compris dans mes recherches. C’est d’ailleurs pourquoi j’ai tenu en 2011 à publier, avec Catherine Jeandel du LEGOS à Toulouse, La géochimie marine, un ouvrage dans lequel j’ai pu faire la synthèse de tout ce que j’avais appris en enseignant », témoignait le chercheur.

Fort de sa double culture en « terre solide » et « enveloppe fluide », Matthieu Roy-Barman a par ailleurs toujours été capable de créer des ponts entre les communautés. Rien d’étonnant donc à ce que, après avoir contribué aux réunions de préfiguration des futures Graduate School de l’Université Paris-Saclay, il ait été choisi pour devenir le directeur de celle intitulée Géosciences, climat, environnement, planètes. « Si j’ai toujours aimé me situer à l’interface des communautés, diriger cette Graduate School qui propose une approche profondément interdisciplinaire de l’environnement reste pour moi une expérience nouvelle et un véritable défi personnel. J’ai notamment à cœur de contribuer à ce que chacun des grands axes thématiques structurant cette Graduate School acquière la visibilité qu’il mérite et dispose des moyens nécessaires à son développement pour, qu’ensemble, nous parvenions à relancer les dynamiques qui porteront la recherche de demain », concluait le chercheur.

 

1 Dans leur chute, les particules marines entrainent du carbone vers le fond des océans : c’est ce qu’on appelle la « pompe à carbone » de l’océan, une pompe vitale pour la régulation du climat.

2 Lors des campagnes en mer, les équipes internationales qui se côtoient doivent partager les volumes d’eau de mer pompés à des profondeurs et sites précis : les volumes disponibles pour chaque équipe sont de quelques litres. Lorsque Matthieu Roy-Barman a commencé ces travaux, il fallait plusieurs dizaines de litres pour espérer analyser le protactinium.

 

Matthieu Roy-Barman

Le lien vers le livret de condoléances :  https://mensuel.framapad.org/p/hommage-a-matthieu-roy-barman-9t6x