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Intertox : anticiper les toxicités du cancer du sein

Recherche Article publié le 01 septembre 2022 , mis à jour le 01 septembre 2022

Le projet Intertox, porté par des scientifiques du laboratoire de Mathématiques et informatique pour la complexité et les systèmes (MICS – Univ. Paris-Saclay, CentraleSupélec) et du laboratoire Prédicteurs moléculaires et nouvelles cibles en oncologie (PMNCO – Univ. Paris-Saclay, Institut Gustave Roussy, Inserm), a pour objectif de proposer aux patientes souffrant d’un cancer du sein une médecine personnalisée qui repose sur les caractéristiques individuelles de chacune d’entre elles. Le but est, par-là, de mieux anticiper les effets indésirables liés aux traitements, qui se prolongent souvent après la guérison.


Grâce aux progrès de la médecine, le cancer du sein est une maladie qui se soigne de mieux en mieux. Détecté dès ses premiers stades, il est guéri dans plus de 80 % des cas. Néanmoins, cette guérison laisse souvent des séquelles. En raison de l’agressivité de la maladie et des traitements employés, de nombreuses femmes voient leur qualité de vie dégradée dans les années qui suivent : fatigue, anxiété, prise de poids, douleurs et dépressions peuvent en effet persister. Ces effets indésirables, également appelés toxicités, varient énormément d’une femme à l’autre. Toutefois, les facteurs qui influencent leur apparition restent encore mal compris. C’est dans l’optique de mieux comprendre ces phénomènes qu’est né le projet Intertox.

 

Un effort interdisciplinaire qui réunit sciences des données, médicales et humaines

« La genèse du projet remonte à un appel à projets proposé conjointement par l’Institut DATAIA et la Maison des sciences de l’homme (MSH) Paris-Saclay », se rappelle Paul-Henry Cournède, chercheur au laboratoire Mathématiques et informatique pour la complexité et les systèmes (MICS) et un des porteurs du projet. Avec Antonio Di Meglio, oncologue au laboratoire Prédicteurs moléculaires et nouvelles cibles en oncologie (PMNCO), et Élise Martin, chercheuse postdoctorale au PMNCO et à la MSH Paris-Saclay, ils écrivent ensemble les premières lignes d’Intertox. Le projet, lauréat de l’appel à projets Excellence de la MSH Paris-Saclay, réunit les spécialités des trois chercheurs et chercheuse (la science des données, les sciences médicales et les sciences humaines) dans un effort interdisciplinaire destiné à mieux comprendre et communiquer sur les toxicités liées au cancer du sein.

Leurs travaux se fondent sur des données recueillies auprès de 12 000 patientes françaises touchées par le cancer du sein, la cohorte Canto. Parmi ces données, on retrouve des informations cliniques et biologiques mesurées tout au long de la maladie et de la guérison des patientes, mais également des renseignements plus subjectifs, comme leurs ressentis pendant cette période. « Un des objectifs d’Intertox est de réussir à mettre ensemble ce jeu de données pour développer un modèle de prédiction des toxicités », explique Antonio di Meglio. 

Afin de traiter cette masse d’informations, les données sont transmises à Paul-Henry Cournède, au laboratoire MICS. Grâce à l’intelligence artificielle, le chercheur développe un algorithme prenant en compte l’hétérogénéité de ces données. Le défi est de taille puisqu’il faut réussir à combiner données cliniques et moléculaires afin de comprendre si la présence de certains gènes ou protéines est susceptible de prédire l’apparition de toxicités.

Récemment, l’équipe d’Antonio di Meglio a analysé les risques de souffrir de fatigue suite à un traitement du cancer du sein. Les facteurs prédisposants incluent notamment une fatigue préexistante à l’annonce du diagnostic, un indice de masse corporel élevé, des insomnies, l’anxiété, la douleur, ou encore le tabagisme. En compilant ces informations, l’équipe a mis au point un premier outil prédictif. L’algorithme développé, qui s’adapte au profil de chaque patiente, requiert en données d’entrée quelques informations cliniques facilement mesurables. Il calcule alors une probabilité de souffrir de fatigue deux ou quatre ans après le diagnostic (voir figure ci-dessous). 

La collaboration initiée avec Paul-Henry Cournède dans le cadre du projet Intertox viendra améliorer cet outil en y intégrant des données biologiques plus précises, du domaine de la protéomique. Connaître, en amont d’un traitement, quelles sont les toxicités à long terme est essentiel car cela permet de mieux en appréhender les effets secondaires. L’objectif est ainsi de diminuer leur impact sur la qualité de vie des patientes ou de mieux cibler le traitement.

Les travaux initiaux ont permis de développer un outil calculant la probabilité de souffrir de fatigue après le diagnostic d’un cancer du sein. © Di Meglio et al.

 

L’importance d’une approche qualitative de la communication

Pourtant, une fois la toxicité anticipée, il reste un second problème de taille à résoudre : il s’agit de savoir comment annoncer la nouvelle aux patientes. Car l’aspect social est crucial dans la prise en charge du cancer, ce qui n’est pas négligé par les membres d’Intertox. C’est Élise Martin qui pilote la partie qualitative de ce projet interdisciplinaire. Afin de déterminer la meilleure façon de communiquer les risques de toxicité aux patientes, le choix a été fait de leur donner la parole. Pour cela, la chercheuse met en place des entretiens par petits groupes (focus group) de quatre à huit personnes, constitués de patientes ou membres du personnel soignant. Organisés en virtuel ou en présentiel, ces focus group ont pour but de déterminer les attentes des patientes concernant cette communication. Quand faut-il l’annoncer ? Doit-on quantifier le risque au moment de l’annonce ? Faut-il d’emblée donner les stratégies de gestion des toxicités ?

La tâche est périlleuse car le risque n’est pas général mais personnalisé, il est fonction des prédispositions de chaque patiente. Par une réitération de ces focus groups, l’équipe d’Intertox teste différentes simulations afin de conserver la plus efficace d’entre elles. En partant des attentes, freins et leviers remontés, l’équipe développera des approches de communication ensuite présentées aux participantes et participants. « La composition du groupe varie à chaque session, afin d’avoir encore plus de diversité d’opinions et d’éviter de se retrouver avec des personnes dont les avis seraient biaisés du fait de leur dernière participation », précise Élise Martin. Une analyse des discussions par un logiciel fera ressortir les thèmes et les idées principales de ces échanges. Elle alimentera le projet et la meilleure approche sera ensuite déployée dans un essai clinique.

Finalement, la force d’Intertox est de lier les compétences de différents laboratoires de l’Université Paris-Saclay afin d’aborder les toxicités liées au cancer du sein dans toutes leurs dimensions, quantitatives ou qualitatives. « L’environnement de l’Université Paris-Saclay est une chance pour monter des grands projets multidisciplinaires et multiplier les connexions entre les instituts », s’enthousiasme Paul-Henry Cournède. Car comme le dit le proverbe, tout seul on va plus vite, ensemble on va plus loin.

 

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