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Isabelle Grenier : étudier le couplage entre rayons cosmiques et gaz interstellaire

Portrait de chercheur ou chercheuse Article publié le 24 mars 2023 , mis à jour le 30 mars 2023

Isabelle Grenier est astrophysicienne, membre du laboratoire Astrophysique, instrumentation, modélisation (AIM – Univ. Paris-Saclay, CNRS, CEA, Univ. Paris Cité) et professeur d’astrophysique à l’Université Paris Cité. Spécialiste des astres de haute énergie et du milieu interstellaire, lauréate 2022 du prix CNES-Astrophysique de l’Académie des sciences, elle se consacre depuis plusieurs années, dans le cadre de l’observatoire spatial Fermi, à l’étude du gaz interstellaire et des rayons cosmiques. 

La passion d’Isabelle Grenier pour le ciel et les étoiles débute en 1969 avec le lancement de la mission Apollo 11 vers la Lune. Elle a alors onze ans. « J’ai la chance cette année-là de me trouver dans la classe d’un instituteur passionné qui, en nous faisant travailler toute l’année sur la Lune et le système solaire, m’a littéralement propulsée dans les étoiles, d’où je ne suis jamais redescendue », se souvient Isabelle Grenier. Portée tout au long de sa scolarité par le désir d’étudier le ciel, elle s’oriente naturellement vers des études de physique, intègre l’ENS Cachan (aujourd’hui ENS Paris-Saclay) et rejoint en 1982 le laboratoire d’astrophysique du CEA, devenu depuis le laboratoire Astrophysique, instrumentation, modélisation (AIM – Univ. Paris-Saclay, CNRS, CEA, Univ. Paris Cité), pour y débuter, sous la direction de Jacques Paul, une thèse d’état sur les rayons gamma, traceurs du milieu interstellaire et messagers des pulsars et autres objets énergétiques. 

 

De COS-B à Fermi : l’observation astronomique en rayons gamma

« La grande chance de mon parcours a été d’arriver au bon moment pour accompagner l’aventure de la découverte du ciel gamma avec plusieurs télescopes », explique la chercheuse. En effet, arrivée en thèse pour travailler sur les données du satellite COS-B, qui a permis de cartographier le ciel et de répertorier les sources d’émission gamma, Isabelle Grenier se consacre ensuite à l’analyse des données recueillies par le satellite Compton Gamma-Ray Observatory (CGRO), avant d’intégrer l’équipe de préfiguration de l’observatoire gamma spatial Fermi. « Lorsque j’ai commencé mes travaux de thèse, la majorité des astronomes regardait le ciel en radio, optique, ou en rayons X. Se consacrer aux rayons gamma était à l’époque perçu comme iconoclaste. Même lorsque nous avons obtenu nos premiers résultats, il a fallu du temps pour convaincre et les faire accepter », ajoute Isabelle Grenier. Aujourd’hui les choses ont évidemment bien changé et nul doute que les travaux menés et les nombreux résultats obtenus par la chercheuse y ont largement contribué. 

 

Produire le catalogue des sources de rayons gamma 

Isabelle Grenier consacre donc ses premières années de recherche à l’analyse des données récoltées par COS-B puis par CGRO. « Mon travail consistait alors à étudier les émissions gamma observées, à localiser et caractériser les sources ponctuelles (type pulsars, restes de supernova, trous noirs extragalactiques) et surtout à essayer de comprendre l’origine des sources non identifiées, qui représentaient les deux tiers des quelques centaines de sources que nous avions alors repérées et pour lesquelles on ne trouvait pas de contrepartie dans d’autres formes de lumière », explique la chercheuse. 

Et pour cause, 80 % du rayonnement gamma du ciel ne vient pas de ces objets mais bien d’un fond lumineux produit par l’interaction des rayons cosmiques avec le gaz interstellaire dans la Galaxie. « Identifier une source sur ce fond lumineux, cela revient à essayer de distinguer une très faible étoile dans une Voie lactée hyper brillante, soit identifier une aiguille des brins d’une botte de foin », ajoute la chercheuse. « Nous avions besoin d’en savoir plus sur la quantité de gaz interstellaire pour être en mesure de séparer les émissions des rayons cosmiques de celles produites par les autres sources. C’est pourquoi, au cours de ma thèse, je suis partie un an à l’Université Columbia, à New York, pour contribuer à la cartographie du gaz moléculaire dans la Galaxie », précise-t-elle. C’est armée de cette double expertise – sources gamma, gaz interstellaire – et de son expérience sur les satellites COS-B et CGRO qu’Isabelle Grenier rejoint en 1998 l’équipe en charge de préfigurer l’observatoire spatial Fermi.

 

Au lancement de l’aventure Fermi

Lorsque la NASA l’appelle en 2000 pour annoncer que le projet de nouveau télescope spatial gamma Fermi est accepté, un nouveau chapitre s’ouvre dans la vie d’Isabelle Grenier. « C’est une chance extraordinaire que d’avoir pu accompagner cet observatoire, des premières phases de définition jusqu’à l’exploitation actuelle des observations », s’enthousiasme la chercheuse. Après avoir convaincu la NASA de la pertinence des objectifs scientifiques poursuivis avec Fermi et des performances possibles des instruments, la petite équipe – qui a bien grossi depuis – à laquelle appartient alors Isabelle Grenier se voit confier de nombreuses missions. « En plus de la phase de construction de 2000 à 2008, nous avons piloté la mise en place des outils d’analyses, travaillé à la mise en forme des données, afin de rendre ces dernières exploitables par des astronomes non experts de la physique des particules, estimé et vérifié avec les instrumentalistes les performances du télescope, etc. » Un travail de collaboration internationale particulièrement efficace comme en témoigne la disponibilité des premières cartes du ciel quelques jours à peine après la mise en marche des instruments. 

 

Cartographier la distribution du gaz interstellaire et des rayons cosmiques

Une fois le lancement de Fermi effectué en 2008, la chercheuse, qui participe à la production du catalogue des sources gamma, se concentre de plus en plus sur l’étude des interactions entre rayons cosmiques et gaz interstellaires grâce aux rayons gamma. « Cette approche est doublement intéressante car elle permet, dès lors qu’on connaît la quantité de gaz dans un nuage, d’estimer le flux de rayons cosmiques qui le traversent. Ou inversement, si l’on connaît le flux de rayons cosmiques dans une région, de mesurer la quantité de gaz. Nous avons ainsi découvert une importante quantité de gaz sombre qui avait complètement échappé aux autres observations. La théorie prévoyait l’existence d’une couche discrète de gaz à la transition entre les phases atomique et moléculaire des nuages, mais estimait sa quantité négligeable. On n’imaginait pas qu’elle représentait près de 20 % de la quantité de gaz de notre Galaxie et que certains nuages étaient plus riches en gaz sombre qu’en gaz moléculaire vu en ondes radio ! », explique Isabelle Grenier.

Cette découverte éclaire d’un jour nouveau le cycle du gaz dans une galaxie et elle permet de mieux comprendre comment se structure le milieu interstellaire pour produire des étoiles. « Nous avons également pu cartographier la distribution des rayons cosmiques dans notre Galaxie et montrer qu’ils se promènent partout, formant une sorte de brouillard assez homogène », ajoute la chercheuse. Des résultats qui ont aussi un écho important chez les astrophysiciennes et astrophysiciens, aujourd’hui de plus en plus convaincus que les rayons cosmiques ont une influence dynamique non négligeable sur l’évolution des galaxies. « Or pour comprendre l’impact de ces rayons cosmiques, nous devons commencer par comprendre comment ils se propagent dans les différents milieux d’une galaxie. C’est ce que nous essayons de faire aujourd’hui, en comparant des observations et des simulations de galaxies », précise Isabelle Grenier.

 

Vers toujours plus de culture scientifique

C’est peut-être parce qu’elle n’oublie pas l’instituteur auquel elle doit sa passion pour les étoiles qu’Isabelle Grenier a également toujours eu à cœur de contribuer à la diffusion de la culture scientifique, qu’elle s’inquiète de voir reculer. « Je suis convaincue que, plus que jamais, notre société a besoin que les scientifiques sortent de leurs laboratoires et parlent au monde, pour y renforcer le goût de la rationalité, l’envie de se poser des questions et la capacité d’admettre les limites de sa connaissance », conclut la chercheuse.


 

Isabelle Grenier