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KALYSTA Actuation : muscler les robots et les exosquelettes

Innovation Article publié le 17 mars 2023 , mis à jour le 17 mars 2023

Issue du projet SEHA, porté par Samer AlFayad du laboratoire Informatique, bioinformatique, systèmes complexes (IBISC – Univ. Paris-Saclay, Univ. d’Évry), la start-up KALYSTA Actuation repense la technologie de l'actionnement hydraulique utilisée par les engins de chantier pour soulever de lourdes charges : elle la miniaturise dans le but de créer robots, prothèses, exosquelettes ou encore fauteuils d'avions. 

« Tous les appareils qui nous entourent ne fonctionnent pas à l'électricité », explique Samer AlFayad du laboratoire IBISC. Les moteurs électriques sont, il est vrai, les plus courants. Ils activent les pales des ventilateurs, font tourner le tambour des lave-linges ou pilotent les jouets télécommandés. « Cependant, une deuxième catégorie d'actionneurs, les vérins hydrauliques, génèrent une force beaucoup plus grande et sont privilégiés pour les pelleteuses ou les tracteurs. » Un actionneur hydraulique est généralement composé d'un piston situé à l'extrémité d'une cavité remplie d'une huile dérivée de pétrole. Pour déplacer le bras de la pelleteuse, on introduit un surplus d'huile par un petit orifice, ce qui pousse le piston. Ce fonctionnement repose sur le principe de Pascal : lorsqu'on applique une force sur une petite surface d'une telle huile incompressible, une force beaucoup plus importante est générée sur le piston, là où la surface de contact est plus grande. Au final, le vérin démultiplie la force.

 

 

Ne plus opposer hydraulique et électrique

« Malgré ses atouts, la technologie hydraulique est en train de disparaître, notamment des cursus universitaires, regrette Samer Alfayad. Elle génère moins d'engouement et d'investissement. Alors que l'électrique est aujourd'hui une technologie mature, l'hydraulique reste un domaine de spécialistes. » Difficile à contrôler, notamment lors de variations de la température, et nécessitant du matériel de taille imposante, la technologie hydraulique reste confinée aux applications où son utilisation est indispensable, comme les engins de travaux publics ou les robots athlétiques destinés à un usage militaire. Mais selon le chercheur de l’IBISC, ignorer le potentiel de l'hydraulique est une grave erreur. Il y voit notamment une opportunité pour développer les exosquelettes, ces structures motorisées qui s’attachent à un humain pour en augmenter la force et porter de lourdes charges. « Bien que plusieurs exosquelettes aient été développés sur la base de l'actionnement hydraulique classique, ils n'ont pas reçu une bonne popularité, en raison de la nécessité pour l'utilisateur ou l’utilisatrice de mettre une pompe et de nombreux tuyaux sur le dos, ce qui réduit massivement l'acceptation sociale de ces dispositifs ! reconnaît Samer AlFayad. Notre idée serait plutôt de coupler les technologies hydrauliques et électriques. En tirant parti du meilleur de chacun de ces mondes, on obtiendrait des exosquelettes plus puissants et moins imposants. »

 

Plus vite, plus léger, plus fort et sécurisé

L'idée de miniaturiser le système hydraulique naît des recherches de Samer AlFayad en robotique humanoïde et en mécatronique, qu’il mène depuis plus de quinze ans. L’aboutissement du projet de développement du module d'actionnement compact SEHA (Servo-Electro-Hydraulic-Actuator), soutenu par la SATT Paris-Saclay, est le succès le plus récent de son équipe. Le module mis au point se compose d'un groupe hydraulique et d'un vérin instrumenté intelligent. « Il ne fait pas plus d'une dizaine de centimètres et possède l'un des meilleurs rapports force/volume au monde : il peut déplacer une masse de 800 kg à la vitesse de 20 cm/s. » Le module mi-électrique / mi-hydraulique représente la première brique avant la construction d'un exosquelette ou d'un robot humanoïde entier. « Cet actionneur est suffisamment petit pour être intégré à un exosquelette, à l’emplacement d'une articulation. Grâce à son système de compensation de force, le SEHA est capable de gérer les chocs inattendus et de sécuriser l'interaction entre le robot et son utilisateur ou son utilisatrice. »  Les performances du module, au regard de celles des robots hydrauliques actuels, sont de bon augure : « en utilisant notre technologie, le poids du robot pourrait être divisé par deux, tout en diminuant son prix et en augmentant sa durée de vie », avance Samer AlFayad.

 

Module d’actionnement compact SEHA, constitué d’un groupe hydraulique miniature et d’un vérin instrumenté. Crédits : Samer AlFayad.

 

Depuis le lancement en 2019 de la start-up KALYSTA Actuation issue du projet, l'équipe a su dépasser les aléas causés par la pandémie de Covid-19 et a réussi à lancer la vente de ses premiers dispositifs. En 2021, KALYSTA Actuation remporte la campagne WAI (We Are Innovation) Paribas, ce qui débouche sur une collaboration avec l'industriel Poclain hydraulics.

 

Susciter l'intérêt des nouvelles générations

« Nos premiers clients ont été les universités, car nous leur offrons l'opportunité de démocratiser l'actionnement hydraulique », déclare Samer AlFayad. Le système séduit grâce à une interface facile d'utilisation, une prise en main immédiate et un prix très inférieur aux technologies actuellement disponibles. « Au sein du master 2 Mechatronics, Machine Vision and Artificial Intelligence (MMVAI), nous formons, de façon pratique, les étudiantes et étudiants à l'hydraulique, pour casser la peur que suscite cette technologie et former la prochaine génération de scientifiques. L'hydraulique n'est plus à la mode dans les universités. Pourtant, l'industrie aura toujours besoin de systèmes générant de grandes forces. »

 

Métamorphoser la médecine, l'aviation et la robotique

Puisque l'automatisation englobe de plus en plus de domaines, les applications du système SEHA promettent d’être variées. Alors que plus d'un millier d'enfants sont chaque année victimes de mines antipersonnel, peu d’entre eux ont accès à des prothèses motorisées, leur permettant de retrouver une plus grande mobilité. Le système SEHA offrirait ainsi une solution à bas coût et sécurisée pour actionner les articulations de ces prothèses. « Une prothèse motorisée doit adapter la force produite à l'âge de l'adolescent ou de l'adolescente, pour l'accompagner tout au long de sa croissance. Or, pour l'instant, les moteurs électriques coûtent cher et doivent être remplacés à chaque fois que l'utilisateur ou l’utilisatrice grandit. Avec une composante hydraulique, il suffirait au contraire de modifier la pression exercée sans changer le moteur. » Un tel système se montrerait plus adaptable et évolutif.

Une autre application prometteuse de SEHA concerne l'aviation. « Aujourd'hui, il y a en moyenne sept moteurs dans un siège d'avion de première classe. La technologie hydraulique intégrée enlèvera sept kilogrammes à chaque siège, un atout majeur dans un secteur où les économies de poids sont capitales », ajoute Samer AlFayad. Enfin, le chercheur n’oublie pas pour autant son principal sujet de recherche au sein du laboratoire IBISC : il s’intéresse également au développement de robots humanoïdes dynamiques.

 

Références :