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La croissance des plantes à la loupe

Recherche Article publié le 31 mars 2022 , mis à jour le 31 mars 2022

À la différence de celles des animaux, les cellules végétales possèdent une paroi rigide qui contribue au contrôle de leur croissance. Les scientifiques ont longtemps pensé que cette paroi se déformait uniquement sous l'action de la pression hydrostatique des cellules. Or, de nouvelles images nanométriques obtenues par microscopie à super-résolution suggèrent un processus plus complexe. Une équipe de scientifiques de l’Institut Jean-Pierre Bourgin (IJPB - Univ. Paris-Saclay, INRAE,  AgroParisTech), a découvert que la paroi a également une capacité intrinsèque de croissance, liée à la réorganisation des nanofilaments de pectine, un des constituants essentiels de la paroi végétale.

C'est le printemps, l'herbe repousse, les feuilles bourgeonnent sur les arbres et la croissance des végétaux se voit à l’œil nu. Mais quels sont les processus microscopiques responsables de ces manifestations macroscopiques ? Assez étonnamment, chercheurs et chercheuses n’ont toujours pas clairement élucidé les phénomènes subcellulaires qui gouvernent la pousse des plantes. Les cellules sont entourées par une paroi pectocellulosique très rigide qui interfère avec leur croissance. Comment la cellule déforme-t-elle cette paroi pour grandir ?

 

Un changement de paradigme

« Jusqu'à très récemment, le consensus scientifique citait la pression de turgescence comme seul moteur de la croissance végétale, avance Kalina Haas, chercheuse à l’IJPB et pionnière de l’imagerie à super-résolution en sciences végétales. Et cette hypothèse a très peu été remise en question. » Le milieu intracellulaire est en effet concentré en ions et composés chimiques, qui créent une pression osmotique importante de l'ordre du mégapascal (1 MPa équivaut à 10 Bar) dans la cellule. Pour la plupart des scientifiques, cette pression serait la seule force motrice responsable de la déformation de la paroi, à la manière d’un ballon de baudruche qui se gonflerait d’air. Par la suite, ces parois cellulaires étirées seraient remodelées et leurs polymères constitutifs réarrangés, provoquant une expansion irréversible de la paroi cellulaire. « Si un ballon peut se dégonfler, une paroi végétale, elle, ne rétrécit jamais. »

Or Kalina Haas remet en cause cette théorie suite à des observations effectuées avec des techniques émergentes de microscopie : « Nous défendons l’hypothèse que l’agrandissement de ces cellules peut être provoqué par l'auto-expansion de la paroi cellulaire, indépendamment de la pression osmotique. »

 

La réorganisation insoupçonnée de la pectine

Le travail de la chercheuse et ses collaborateurs et collaboratrices se focalise sur l'architecture de la paroi. Cette paroi se compose majoritairement de cellulose et d'un polysaccharide appelé pectine, bien connu des amateurs et amatrices de confiture. La pectine existe sous deux formes : méthylée ou déméthylée, cette dernière étant en grande proportion dans les tissus en croissance. C’est d’ailleurs cet élément qui met la puce à l'oreille des scientifiques. Et si la pectine jouait un rôle dans le phénomène ? « Les scientifiques ont longtemps pensé que ce polymère, qu'il soit dans un bocal de confiture ou dans une feuille de plante, est uniquement capable de former un gel amorphe. »

Mais quand Kalina Haas pointe son microscope à super-résolution vers la pectine pariétale, elle découvre que le polymère peut s’organiser sous forme de nanofilaments. La scientifique et ses collègues proposent alors de changer de paradigme : la croissance végétale découle de la réorganisation de ces nanofilaments. « Sous l'impulsion d'un signal chimique produit par la cellule, une enzyme de la paroi cellulaire clive les groupements méthyl portés par la pectine, ce qui entraîne des modifications de leur charge globale et conduit à un gonflement de la paroi. » Grâce à la bourse ERC Starting Grant que Kalina Haas vient de décrocher pour son projet STORMtheWALL, elle explorera en détails durant cinq ans cette théorie et les nouveaux questionnements scientifiques issus des observations. 

 

La super-résolution : voir la plante dans ses moindres détails

« La première question à laquelle nous voulons désormais répondre est : comment ces nanofilaments s’organisent-ils ? », annonce Kalina Haas. La chercheuse a établi que leur répartition est anisotrope, c'est-à-dire qu'elle n'est pas identique dans toutes les directions. Cette asymétrie dicte l'orientation de la croissance, car les nanofilaments sont seulement capables d’un gonflement radial. Mais à quelle logique répond cet agencement ? Pour obtenir des réponses, les scientifiques colorent les nanofilaments avec des molécules fluorescentes avant de les observer par microscopie à super-résolution STORM (STochastic Optical Reconstruction Microscopy), une des techniques les plus avancées du domaine. Grâce à des excitations successives et un temps d'observation long, elles et ils identifient la position exacte de chaque molécule fluorescente. Il devient ainsi possible de dépasser la limite de résolution provoquée par la diffraction de la lumière dans les autres types de microscopie, et d'atteindre l'échelle du nanomètre. 

Mais la super-résolution possède également des désavantages : il est extrêmement difficile d'étudier une cellule vivante, dont les mouvements permanents perturbent l'observation. Il faut d’abord commencer par fixer la cellule dans un état proche du vivant, pour ensuite en obtenir un cliché à un instant donné et y observer la répartition des nanofilaments de pectine. 

Kalina Haas et son équipe s’attendent à trouver une organisation différente selon le tissu examiné : tige, feuille ou racine. Elles s'intéressent également à des organismes divers, tels que la plante modèle Arabidopsis thaliana, des algues unicellulaires, ou encore le maïs qui représente les plantes d’intérêt agronomique. « Si nous trouvons des phénomènes conservés par tous ces végétaux au cours de l'évolution, cela montrera l'universalité de nos hypothèses », précise la chercheuse.

 

Comprendre la cascade de causes à effets

Il reste également à comprendre ce qui dirige cette croissance. « Nous pensons qu'il existe des senseurs mécaniques et chimiques qui orientent l'expansion dans une certaine direction. Des récepteurs transmembranaires feraient ainsi le lien entre l'intérieur de la cellule et la paroi extracellulaire. Puis des peptides de signalisation, très communément utilisés comme mode de communication dans le monde vivant, interagiraient avec la pectine pour la réorganiser en fonction des besoins. » Le pH de la paroi, très finement régulé par la cellule, interviendrait également dans ce mécanisme. 

Cette communication à double sens entre cellule et paroi pectocellulosique reste encore largement inconnue actuellement. Elle est difficile à observer, principalement à cause de la brièveté des échanges qui se font à l'échelle de la seconde voire de la fraction de seconde. « Pour observer ce type de processus dynamiques, il ne faut surtout pas fixer les cellules. Cela revient à les tuer. » La super-résolution n'étant pas utilisable pour étudier ces évènements dynamiques, l'équipe dispose d’une autre corde à son arc : la technique du multiple FRET sensing (Förster resonance energy transfer) – ou transfert d'énergie entre molécules fluorescentes. Des biocapteurs fluorescents FRET permettent ainsi d’observer directement certains processus physiologiques sur des plantes vivantes. L’équipe combine cette technique avec des outils optogénétiques qui activent ou désactivent des processus cellulaires par simple exposition à la lumière. Ces outils inhibent l’activité de certaines protéines telles que l'enzyme de déméthylation de la pectine, ou activent celle des canaux ioniques afin de moduler le pH de la cellule.

Les scientifiques mesurent ensuite en temps réel les effets engendrés sur d'autres constituants de la cellule ou de la paroi, ainsi que leurs interactions avec les biocapteurs FRET. « Nous pourrons observer très finement la cascade de réactions qui entraîne la croissance de la cellule, démêler les causes des conséquences, afin de proposer un modèle de mécanisme clair. » Une fois toutes ces données récoltées, l'équipe construira un modèle numérique prenant en compte les propriétés biophysiques de la paroi afin de prédire la forme de la cellule et de ses voisines pour aboutir à l’organisation du tissu ou de l’organe étudié.  Ces modèles seront validés par comparaison avec des données mesurées sur des plantes en culture. 

Comprendre la réorganisation de la pectine fournirait des pistes d'intervention possible pour stimuler la croissance végétale. Les recherches de Kalina Haas et de son équipe sont donc capitales pour la recherche agronomique. La pectine ne sert pas seulement à faire des confitures !

 

Références :