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La vallée du Rhône : Terre d'accueil de Néandertal pendant plus de 200 000 ans

Recherche Article publié le 18 février 2022 , mis à jour le 18 février 2022

De nouvelles datations de vestiges archéologiques, retrouvés dans plus de dix grottes et abris sous roche de la vallée du Rhône, ont permis d’établir les périodes d'occupation de cette région par l’Homme de Néandertal au Paléolithique. Elles révèlent que les Néandertaliens ont fréquenté cette région en continu pendant des centaines de milliers d'années.

La vallée du Rhône est une région de France particulièrement riche en sites archéologiques, notamment en grottes abritant des traces d'hominidés. Une équipe interdisciplinaire de chercheurs et de chercheuses coordonnée par le Muséum national d’Histoire naturelle de Paris, dont certains de l'équipe GEOTRAC du Laboratoire des sciences du climat et de l'environnement (LSCE – Univ. Paris-Saclay, CNRS, CEA, UVSQ), a récemment étudié le rôle de ces abris au Paléolithique moyen. Durant cette période de la pierre taillée, qui s'étend d’environ  300 000 ans à  40 000 ans, la France était uniquement peuplée de Néandertaliens.

Pour définir la durée d’occupation de chaque grotte et abri sous roche, l’équipe a effectué un grand travail de synthèse. Ce travail a nécessité une variété de spécialistes et mixé les disciplines : des archéologues, qui ont fouillé et analysé le sol de chaque grotte sur plusieurs mètres de profondeur, mais aussi des géologues, des chimistes et des physiciennes et physiciens. L’équipe a synthétisé l’ensemble des études conduites au cours des vingt dernières années et procédé à de nouvelles datations pour combler les lacunes chronologiques.

Les vestiges les plus anciens se situant dans les couches les plus profondes du sol, il a fallu choisir la méthode de datation la mieux adaptée pour connaître l’âge des échantillons. La plus connue, la datation par le carbone 14, est applicable sur des échantillons organiques jusqu’à environ -50 000 ans. Pour contourner ces limites, les scientifiques ont utilisé trois autres techniques basées sur la radioactivité naturelle.

En amont, tout commence par un déplacement sur le terrain, pour récolter les échantillons et mesurer la radioactivité actuelle du site. « Je travaille dans les grottes de l'Ardèche depuis mon master, confie la chercheuse Maïlys Richard, du LSCE. Je possède une formation d'archéologue et j'aime participer aux fouilles. Il m'arrive parfois d'y passer plusieurs semaines. C’est important pour comprendre l'organisation de la grotte et évaluer la qualité des échantillons prélevés. » L'analyse chimique et physique des échantillons en laboratoire prend ensuite plusieurs semaines à plusieurs mois.

 

Stalactites, émail des dents, sédiment... Tout est bon pour établir une datation

La première méthode de datation utilisée par les scientifiques dans leur étude, la datation uranium-thorium, repose sur la désintégration radioactive de certains isotopes d’éléments chimiques et exploite leur présence dans les minéraux de carbonate de calcium. Dans ce cas précis, l’uranium est incorporé aux spéléothèmes (stalactites, stalagmites, planchers…) lors de leur cristallisation, et dans les os et les dents des squelettes pendant leur enfouissement dans les grottes. L'uranium (238U et 234U) se désintègre au cours du temps en thorium (230Th) à un rythme régulier connu. En mesurant l’uranium et le thorium présents dans un échantillon, les scientifiques parviennent à calculer son âge.

Les désintégrations radioactives s’accompagnent également d’une émission de rayonnements qui ionisent les atomes, elles libèrent des électrons qui se retrouvent piégés dans les structures cristallines du quartz, des feldspaths, des os ou de l'émail des dents. Ces pièges à électrons se remplissent en fonction de la radioactivité ambiante et du temps écoulé. Une seule dent suffit alors pour connaître l’ancienneté d’un squelette, en stimulant l’hydroxyapatite de l’émail dentaire au moyen de la spectroscopie par résonance magnétique et en estimant la quantité d’électrons qui y ont été piégés. Et si l'on souhaite étudier les couches sédimentaires de la grotte, la datation par luminescence permet de dater le feldspath, un minéral très abondant dans les sols. Quand il est stimulé par un rayonnement infrarouge, le feldspath a la particularité d'émettre une lumière bleue plus ou moins intense selon son âge.

Ces trois techniques existent depuis plusieurs dizaines d'années et se perfectionnent continuellement. « Les analyses deviennent de plus en plus fines et précises : quelques milligrammes suffisent aujourd’hui pour dater un échantillon, ce qui préserve les grottes, explique Edwige Pons-Branchu, chercheuse au LSCE. Aujourd’hui, avec la méthode de l'uranium-thorium, on remonte jusqu'à 500 000 ans en arrière, pour des échantillons pas plus gros qu'un doigt. »

 

200 000 ans de présence dans la vallée du Rhône

« La grande découverte de notre travail est de montrer que les Néandertaliens ont occupé la vallée du Rhône en continu pendant tout le Paléolithique moyen, de -300 000 ans à -40 000 ans », souligne Maïlys Richard. Edwige Pons-Branchu renchérit : « Il y a eu des fluctuations climatiques très importantes et pourtant l'occupation dans la région est restée continue, même en période glaciaire. » Les hommes et les femmes de Néandertal ont su s'adapter au froid et aux variations de gibier et d'espèces végétales.

Cela ne veut pas dire pour autant que chaque grotte ait été habitée tout au long de cette période. Certaines sont devenues inhabitables suite à l'effondrement du toit ou de l'entrée, ou ont simplement été délaissées par Néandertal au profit d’autres habitants tels que des ours, dont des os ont été découverts.

Les connaissances actuelles rapportent que l’occupation par Néandertal de la plupart des grottes et abris était saisonnière et se faisait en fonction des migrations de gibier. Les Néandertaliens utilisaient les plus petites grottes comme aires de bivouacs et s'attardaient plus longuement dans les grottes et abris plus grands. Ils pouvaient notamment y installer des ateliers de taille de pierre. Les archéologues ont d’ailleurs mis en évidence différentes techniques de taille de pierre dans la vallée du Rhône, ce qui prouve la diversité du savoir-faire de Néandertal.

La chronologie établie par les chercheurs et les chercheuses du LSCE vient désormais enrichir ces données archéologiques. Les travaux précédents ont montré que les outils taillés dans la grotte d'Orgnac par la méthode de débitage Levallois datent d'il y a plus de 300 000 ans, ce qui en fait un des plus anciens témoignages connus. Les scientifiques mettent notamment en lumière une densité d’occupation plus importante à la fin du Paléolithique moyen en Ardèche, entre environ -125 000 et -40 000 ans. Si les stratégies de taille de pierre (débitage Levallois, débitage discoïde) sont communes à plusieurs sites, leur utilisation s’est faite selon des proportions variables. Les Néandertaliens adaptaient vraisemblablement leurs outils à leurs besoins locaux.

 

Une possible cohabitation avec Homo sapiens

Un autre élément clé de l’étude : les plus récents restes attribués à Néandertal mis au jour suggèrent une potentielle cohabitation avec l'homme moderne dans la vallée du Rhône. « Nous avons retrouvé des traces de Néandertal en Ardèche il y a environ 40 000 ans. Or les premiers vestiges attribués à Homo sapiens dans la région sont les peintures de la grotte Chauvet il y a 36 000 ans. En prenant en compte la marge d’incertitude de nos datations, qui peut être de quelques milliers d’années, il est donc possible que Néandertaliens et hommes modernes aient vécu dans la vallée du Rhône en même temps, ou à des dates très proches », expliquent les chercheuses du LSCE.

Au cours des prochaines années, Maïlys Richard et ses collègues entendent bien poursuivre leur étude des grottes de l’Ardèche « C’est une région clé, où y a encore beaucoup à découvrir. Elle regorge d'informations, aussi bien sur l’arrivée de Néandertal dans la région il y a 300 000 ans que sur ses occupations plus récentes, au moment où Homo sapiens arrive en Europe », conclut l’intéressée.

 

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