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Laure Quivy : quand l’analyse numérique défie l’aléatoire

Portrait de chercheur ou chercheuse Article publié le 28 février 2024 , mis à jour le 06 mars 2024

Laure Quivy est enseignante-chercheuse au Centre Borelli (Univ. Paris-Saclay, CNRS, ENS Paris-Saclay, Université Paris-Cité, SSA). Spécialisée en analyse numérique et calcul scientifique, elle est aussi très investie dans la formation et la promotion de la diversité.

Après un baccalauréat scientifique, Laure Quivy se passionne pour les mathématiques, ce qui la conduit à l’Université de Bretagne occidentale, où elle obtient sa licence dans cette discipline. En quête d'une spécialisation plus approfondie, elle rejoint l’Université Paris-Sud (aujourd’hui Université Paris-Saclay) en 1985. C'est là qu'elle décroche sa maîtrise et s'engage dans un DEA (équivalent d’un master 2 recherche) d'analyse numérique, un cursus innovant à l'époque. Ces études la conduisent vers un travail de thèse, qu’elle réalise en milieu industriel en partenariat avec le département recherche et développement d’EDF. À cette occasion, Laure Quivy se rapproche du Centre de mathématiques et leurs applications de l’École normale supérieure, rebaptisé depuis Centre Borelli et qui connaît par la suite un développement important.


Exploration de la ferro-résonance

La thèse de Laure Quivy est au carrefour entre la physique et les mathématiques, abordant l'étude de la ferro-résonance, un phénomène complexe affectant les circuits électriques. Sur le plan mathématique, elle explore les systèmes dynamiques non linéaires, en utilisant la théorie des bifurcations, souvent associée à la théorie du chaos en vogue à cette époque. Sa thèse, soutenue en 1991, fournit des résultats numériques innovants sur les systèmes dynamiques en question et offre également des éclairages théoriques sur les équations aux dérivées partielles qui sous-tendent ces modèles. Elle met notamment en évidence l'existence d'attracteurs maximaux, garantissant l’existence d’un ensemble d’états vers lequel les solutions évoluent. « Contrairement à certaines idées reçues dans l'industrie, nous sommes parvenus à la conclusion que ces systèmes ne sont pas purement chaotiques. Leurs comportements peuvent être prédits et, par conséquent, maîtrisés. » Ces travaux fournissent des solutions concrètes pour éviter les surtensions sur les lignes électriques et renforcer leur fiabilité.


Entre enseignement et développement de nouvelles formations

Après sa thèse, Laure Quivy intègre l'Université de Villetaneuse (aujourd’hui Sorbonne Paris Nord) en tant qu'attachée temporaire d'enseignement et de recherche (ATER) pour une durée d'un an. Elle prend par la suite la fonction de maîtresse de conférences à l'IUT de Bobigny, lié à cette même université. Si sa présence dans la formation de gestion des entreprises et des administrations peut surprendre, les mathématiques y trouvent néanmoins leur place. D'ailleurs, Laure Quivy apprécie la diversité des disciplines représentées et la synergie avec des collègues d'horizons variés. Elle s'investit activement dans cet IUT, notamment en participant en 2000 à la création d’une formation en alternance. « Pour moi, la transmission du savoir est primordiale. Et dans un contexte où une majorité d'étudiantes et étudiants provient de milieux peu aisés, l'alternance s'imposait comme une solution idéale, permettant d'allier théorie et pratique professionnelle rémunérée. »

En raison de la proximité de l'IUT de Bobigny avec la Faculté de médecine, de multiples échanges mettent en lumière, en 2010, le fait que de nombreux étudiants abandonnent leurs études au cours de leur première année de médecine. La création d’un nouveau département au sein de l'IUT est alors décidée et Laure Quivy prend en charge une nouvelle formation en génie biologique. Calibrée pour démarrer en février, elle offre une transition professionnalisante sans perte d'année, pour former des techniciennes et techniciens dans cette discipline.


Centre Borelli : éducation, recherche et diversité

En 2011, Laure Quivy rejoint le département d’enseignement et de recherche de mathématiques de l’ENS Paris-Saclay et le Centre Borelli. Elle y dispense des cours, poursuit ses travaux de recherche et prend rapidement des responsabilités administratives. Elle se voit confier la charge de la licence 3 en mathématiques de l’ENS Paris-Saclay, avant de devenir directrice-adjointe du département d'enseignement et de recherche de mathématiques de l’École. Depuis septembre 2023, elle en est la directrice. Sa vision est claire : offrir aux étudiantes et étudiants les meilleures conditions pour réussir leurs études. Elle porte un intérêt particulier à la diversité au sein de l'établissement. Consciente des biais inhérents au système de concours, elle milite pour une ouverture à des profils plus variés, notamment en recrutant des normaliens étudiants hors concours. Cette démarche vise également à encourager la participation féminine, encore sous-représentée dans ce domaine. « Il est essentiel de donner sa chance à ces jeunes femmes talentueuses, capables de devenir d'excellentes chercheuses si on leur en offre l'opportunité. Je suis très heureuse car cette année, sur les huit places de normaliens étudiants et normaliennes étudiantes à pourvoir, quatre d’entre elles les ont obtenues. Alors que via le concours nous en avons recrutées moins de 10 %. »


Travaux de recherche en analyse numérique

Les contributions scientifiques de Laure Quivy en matière d'analyse numérique et de calcul scientifique sont variées. Sa thématique principale concerne la conception théorique et pratique de schémas numériques destinés à trouver des solutions approchées aux équations aux dérivées partielles non linéaires, souvent utilisées en physique. Au cours de sa carrière, elle se penche d'abord sur la minimisation de la fonctionnelle d'énergie relaxée dans l’étude du comportement des cristaux liquides, explorant en particulier l'influence des champs magnétiques sur leur énergie d'équilibre. Elle se tourne ensuite vers l'analyse et le développement de schémas de type volumes finis destinés à simuler des écoulements complexes, tels que les interactions eau-vapeur au sein des centrales nucléaires ou les circulations d'air autour d’ailes d'avions. Ces études ont des implications directes, allant de l'optimisation de la forme aérodynamique des avions à l'amélioration de la circulation de l’eau et de la vapeur dans les installations nucléaires. Puis, Laure Quivy s’intéresse au suivi d'interface, en particulier dans les modèles de traitement du vide. En collaboration avec le CEA et des membres de son laboratoire, elle réalise des études pour le compte d’industries civiles et militaires. Ces recherches mettent en lumière les défis posés par les phénomènes transitoires du vide, apparaissant suite à des chocs. « Les schémas numériques industriels classiques ne savent pas gérer cette discontinuité, alors nous avons effectué des modélisations pour en élaborer des plus adéquats, que les industriels adoptent par la suite pour gérer ces phénomènes complexes. »


Les mathématiques flirtent avec la métaphysique

Dès le début de sa carrière, Laure Quivy est mue par une interrogation : les phénomènes complexes sont-ils intrinsèquement déterministes ou aléatoires ? « Même si je n'ai jamais intégré d'aléatoire dans mes modèles et que j'ai une inclination vers le déterminisme, j’ai beaucoup de curiosité pour les travaux de mes collègues probabilistes ! » Cette question, aux frontières de la métaphysique, est le fil rouge de ses travaux. Selon Laure Quivy, invoquer l'aléatoire serait souvent une façon de masquer des lacunes explicatives. Elle prend pour exemple le réchauffement climatique : longtemps jugé peu prévisible, il traduirait plutôt, selon elle, le manque d'outils pour l'appréhender. « Néanmoins, je reconnais la beauté et l'importance du hasard dans la vie. Si tout était prévisible, où serait le charme de ces rencontres inattendues, qu'elles soient amicales ou amoureuses ? »
 

Laure Quivy (c)Christophe Peus