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Le sol martien sous le feu de nouvelles explorations

Recherche Article publié le 12 février 2021 , mis à jour le 04 mars 2021

(Article issu de l'Edition n°15 - février 2021)

Impliqués dans les missions d’exploration martienne Mars 2020 et Exomars, les laboratoires d’instrumentation spatiale de l’Université Paris-Saclay sont prêts pour les premières analyses de prélèvements réalisées par les rovers.

Objet de tous les fantasmes pour le 7e art, la plus proche voisine de la planète Terre est surtout un sujet d’étude inépuisable pour les scientifiques du monde entier. En février 2021, ce ne se sont pas moins de trois missions spatiales, parties en juillet 2020 de la Terre – et pour certaines desquelles le Laboratoire atmosphères, milieux, observations spatiales (LATMOS – Saclay, CNRS, UVSQ) et l’Institut d’astrophysique spatiale (IAS – Saclay, CNRS) sont grandement impliqués –, qui rejoindront la planète rouge : l’orbiteur Hope de l’agence spatiale émiratie, la sonde Tianwen-1 de l’administration spatiale nationale chinoise (CNSA), et le rover Perseverance, de la mission Mars 2020 portée par l’agence spatiale américaine (NASA). Le rover Rosalind Franklin, de la mission Exomars développée par les agences spatiales européenne (ESA) et russe (Roscosmos), devait également partir en 2020 mais son lancement a été repoussé à septembre 2022. Si certains chercheurs s’intéressent à son sol, son atmosphère, son climat ou ses paysages glaciaires, d’autres – ou les mêmes – sont à la recherche de traces de vie passée. Tous tentent de retracer l’histoire de cette planète vieille de 4,6 milliards d’années. Et par effet miroir, d’en apprendre un peu plus sur la Terre.

« Même si la surface de Mars est plus ou moins figée depuis trois milliards d’années, on sait aujourd’hui que la planète a eu une évolution similaire à celle de la Terre sur son premier milliard d’années et que son environnement a pu être compatible avec le développement de la vie », rapporte Cyril Szopa du LATMOS. Sur Terre, ce développement a impliqué de l’eau liquide, mais également des conditions particulières de température, d’acidité ou des catalyseurs. « Au final, en étudiant cette période de Mars, on fouille par la même occasion dans les archives géologiques de la Terre, où des équivalents de roches aussi anciennes n’existent plus, l’essentiel ayant été recyclé par la tectonique des plaques. »

Car sur Mars, point de tectonique des plaques. Mais comme sur Terre, la planète subit dans ses jeunes années de nombreux – et parfois gros – impacts d’astéroïdes qui modèlent sa surface et sa topographie. Une dichotomie s’installe entre un hémisphère Nord marqué par des plaines de faible altitude et un hémisphère Sud empreint de montagnes. Avec son atmosphère et son champ magnétique primitifs, le climat y est chaud et humide, et des rivières se forment (-4,1 à -3,5 milliards d’années) dans le Nord. Vers -3,7 milliards d’années, l’activité volcanique est à son maximum. Mais pour une raison encore non élucidée, Mars perd son champ magnétique qui lui sert de bouclier. Elle subit alors de plein fouet les vents solaires qui érodent progressivement et presque entièrement son atmosphère. L’effet de serre disparaît et la planète se refroidit. L’activité fluviale cesse vers -3,5 milliards d’années. De grandes vallées de débâcles se forment et irriguent un océan tardif. Un pergélisol riche en glace se forme dans les plaines du Nord et des glaciers apparaissent dans les hauts plateaux du Sud. À partir de -3 milliards d’années, la température devient incompatible avec le maintien pérenne d’eau liquide en surface et la planète se meurt. Avec une température moyenne de -65 °C aujourd’hui, l’eau n’existe plus qu’à l’état de glace.

À la recherche des molécules de la vie

La vie aurait-elle pu se développer sur Mars dans ses jeunes années ? Pour répondre à cette question, les scientifiques en sondent les roches, à la recherche de traces laissées par le passage d’eau liquide primordiale, de molécules organiques spécifiques – acides aminées et sucres par exemple – et de bio-signatures, comme la présence d’un seul énantiomère. Ce sont les objectifs des prochaines missions qui fouleront le sol martien. « Les instruments embarqués par ces rovers vont étudier comment se sont passées les premières étapes de l’évolution chimique qui, sur Terre, ont conduit à la sélection de composés ayant abouti à une biologie du vivant, basée notamment sur l’ADN », commente Jean-Pierre Bibring, de l’IAS. Le rover Perseverance de Mars 2020 collectera également des échantillons qui seront récupérés par deux prochaines missions pour un retour sur Terre d’ici la fin des années 2020. Une première très attendue.

Les sites d’atterrissage des rovers font état de terrains riches en roches sédimentaires (argiles notamment), qui auraient gardé la mémoire de conditions propices à la vie. Jezero, le site prévu pour Perseverance, est un ancien delta qui s’est formé à l’intérieur d’un cratère d’impact. De la même manière, les roches sédimentaires trouvées sur Oxia Planum, où atterrira le rover d’Exomars, laissent penser que le site est un ancien delta de fleuve. « On sait que sur Terre les deltas drainent beaucoup de sédiments et de matière organique », signale Cyril Szopa.

Une instrumentation spatiale au service de la détection

L’IAS a activement participé à la sélection des sites d’atterrissage de Mars 2020 et d’Exomars, et aidé ses homologues chinois à définir celui de Tianwen-1. En collaboration avec le Laboratoire d'études spatiales et d'instrumentation en astrophysique (LESIA) et l’Institut de recherche en astrophysique et planétologie (IRAP), il a piloté l’étalonnage du spectromètre ponctuel proche-infrarouge IRS de Supercam, l’instrument multilongueur et multiéchelle embarqué par le rover Perseverance de Mars 2020. « Supercam comprend cinq instruments : une caméra pour caractériser l’échantillon avec une résolution atteignant quelques dizaines de micromètres, les spectromètre IRS et Raman pour la minéralogie, le spectromètre LIBS pour la composition élémentaire, et un microphone pour révéler par écho certaines propriétés mécaniques de la roche », détaille François Poulet, de l’IAS et membre de l’équipe Mars 2020. Également impliqué dans la conception de Supercam, le LATMOS a développé une partie de l’électronique qui commande ce spectromètre infrarouge IRS, dont le concept est hérité de l’instrument SPICAM qui survole déjà Mars depuis 2004 à bord de la sonde Mars Express et dont le LATMOS assure la responsabilité scientifique et technique. Une nouvelle aventure attend ce petit spectromètre, mais cette fois à la surface de la planète, où il révèlera la minéralogie et la composition de l’atmosphère à des longueurs d’onde pour l’heure encore inexplorées sur le sol martien.

À l’origine du spectro-imageur OMEGA parti en 2003 avec Mars Express, l’IAS est un expert de l’imagerie spectrale infrarouge (IR). Cette technique permet de caractériser la composition physico-chimique d’échantillons à partir de leur signature optique. « Sous des longueurs d’onde infrarouge, les minéraux présentent des couleurs différentes. En analysant le spectre d’absorption obtenu, on peut identifier les composés de l’échantillon, explique Jean-Pierre Bibring. Et si de l’eau liquide était présente de façon stable, les roches alentour en sont modifiées et des sels, des argiles, des sulfates apparaissent. » OMEGA a ainsi été le premier à détecter des argiles et des sulfates dans le sol martien. L’instrument CRISM de la mission Mars Reconnaissance Orbiter lancée en 2005 est venu valider la détection de minéraux hydratés par OMEGA et a également détecté des carbonates. Le spectromètre IRS embarqué par Perseverance aura pour mission de valider in situ les détections réalisées depuis l’orbite par OMEGA et CRISM.

L’IAS a aussi développé le microscope hyperspectral visible/proche-infrarouge MicrOmega présent sur le rover d’Exomars. Comme Perseverance, Rosalind Franklin hébergera un laboratoire d’instrumentation spatiale dans lequel MicrOmega travaillera de façon séquentielle avec deux autres instruments : le spectromètre à laser Raman RLS et le chromatographe en phase gazeuse couplé à un spectromètre de masse MOMA développé en partie par le LATMOS. Ensemble, ces instruments offriront une caractérisation complète des échantillons (contenus en eau et en carbone, identification des phases carbonées aliphatiques et aromatiques, des propriétés minéralogiques…).

« Dans MOMA, un four chauffe les échantillons jusqu’à une température de 900 °C. La matière condensée se vaporise en gaz, libérant des molécules d’eau adsorbée et des molécules organiques et inorganiques, qui donnent des informations sur la structure minérale de la roche. Ces molécules sont alors séparées par les modules du chromatographe puis analysées par le spectromètre de masse. On obtient alors l’empreinte moléculaire de chacune des molécules générées dans le four et on remonte à la molécule organique de départ », détaille Cyril Szopa. MOMA est en cela le digne successeur de l’instrument SAM, également mis au point par le LATMOS en collaboration avec le centre Goddard de la NASA, pour la mission Mars Science Laboratory. Embarqué par le rover Curiosity arrivé sur Mars en 2012, il a été le premier à mettre en évidence de la matière organique à la surface de Mars par détection de molécules organiques chlorées et soufrées.

Sonder pour forer

Le LATMOS est également à l’origine du radar à pénétration de sol WISDOM, présent sur le rover d’Exomars, et qui sondera le sol au fur et à mesure de ses déplacements. Car pour trouver les molécules organiques recherchées, c’est dans le sous-sol de Mars qu’il faut regarder, à l’abri des rayonnements ionisants qui bombardent la surface martienne et génèrent de l’oxydation. Alors que la foreuse du rover est capable de creuser jusqu’à une profondeur maximale de 2 m, l’objectif est de savoir où le faire sans risques et trouver des échantillons intéressants.

« Le radar produit une visualisation 3D du sous-sol martien, déclare Valérie Ciarletti, responsable scientifique de l’instrument au LATMOS. Ses antennes émettent des ondes électromagnétiques qui pénètrent dans le sol et se réfléchissent à chaque fois qu’elles rencontrent un changement de propriétés électriques du milieu. » Il est capable de voir la stratigraphie du soussol jusqu’à 3 m de profondeur – 10 m dans un milieu glacé – avec une résolution de quelques centimètres. « L’eau possède des propriétés électromagnétiques très particulières : à l’état de glace les ondes y pénètrent très bien, mais liquide ou salée, elle se comporte comme un réflecteur parfait et les ondes y pénètrent beaucoup moins voire pas du tout. Le signal est alors atténué ou inexistant. » Pour s’entraîner aux conditions martiennes, l’équipe a procédé à des campagnes de mesures en milieu sec (désert d’Atacama) et gelé (glaciers de Chamonix), et dans la chambre froide du laboratoire GEOPS. « À l’aide des programmes de traitement et d’interprétation des données de terrain qu’on a mis au point, on révèle la présence de cailloux, lisses ou anguleux, et la position de couches de sédiments à 2-3 cm près. » Tout ça dans un temps maximum imposé : « En une heure, on doit être capables de dire où forer ou s’il faut aller ailleurs. »

Tout au long de la durée nominale de ces missions – Perseverance devrait être opérationnel pendant au moins une année martienne (687 jours terrestres) et l’exploration par Rosalind Franklin durer 218 sols ou jours martiens (224 jours terrestres) – les chercheurs se tiendront prêts à analyser les données collectées par les instruments. Les équipes attendent désormais avec impatience les premières données. 

 

 

Publications 

• Melissa Guzman et al. Testing the capabilities of the Mars Organic Molecule Analyser (MOMA) chromatographic columns for the separation of organic compounds on Mars. Planetary and Space Science, 186, (2020).
• Y. Hervé et al. The WISDOM radar on board the ExoMars 2022 Rover: Characterization and calibration of the flight model. Planetary and Space Science, 189, (2020).
• Royer C. et al. Pre-launch radiometric calibration of the infrared spectrometer onboard SuperCam for the Mars 2020 rover. Rev Sci Instrum. 91, 6, (2020). 

 

>>FOCUS : Continent caché, vallées glaciaires et tsunami : Mars bouleverse les codes établis

Les récentes découvertes des chercheurs du laboratoire Géosciences Paris-Saclay (GEOPS – Université Paris-Saclay, CNRS) secouent la chronologie des processus géologiques martiens.

En enlevant artificiellement les grands bassins d’impacts, comme Hellas, et les volcans formés durant les 500 premiers millions d’années, Sylvain Bouley et ses collègues mettent à jour un continent jusqu’alors masqué et qui correspond aux premières terres formées au début de l’histoire de Mars. Ce bloc crustal fin, d’une cinquantaine de kilomètres d’épaisseur, se situe dans la région de Terra Cimmeria Sirenum, dans l’hémisphère Sud de Mars. « Cela prouve que la dichotomie martienne, caractérisée par une croûte fine au Nord et épaisse au Sud, est le résultat de processus géologiques bien plus complexes que pensés initialement », explique Sylvain Bouley. Comment ce bloc s’est-il formé ? Cela demeure un mystère. « Mais en comprenant la formation des continents sur Mars, on parviendrait à en expliquer les premières étapes sur Terre, où la tectonique des plaques ne serait apparue qu’il y a 3 milliards d’années. »

Pour dater des terrains et retracer la chronologie des événements, les planétologues utilisent le comptage de cratères d’impacts. « Grâce aux échantillons lunaires ramenés sur Terre par les missions américaines Apollo et datés de manière absolue, on a établi une loi reliant la densité de cratères d’une surface à son âge. On a projeté cette loi sur Mars et postulé que son taux de cratérisation avait été fort vers -4 milliards d’années, puis avait diminué continuellement pour devenir constant à partir de -3 milliards d’années. Au laboratoire, on a récemment montré que ce taux de cratérisation n’est pas aussi constant qu’imaginé. » Les caractéristiques morphologiques des cratères – à éjectas lobés ou rayés – et l’analyse minéralogique de ces éjectas faisant remonter à la surface du matériel enfoui, fournissent également de précieuses informations. « On a ainsi réussi à dater l’activité fluviale et volcanique sur Mars : l’eau aurait coulé entre -3,8 et -3,5 milliards d’années et le dôme de Tharsis, ce grand édifice volcanique de 5 000 km de diamètre présent dans l’hémisphère Nord, se serait formé en même temps que les réseaux de rivières souterraines. On a également montré que ces rivières étaient réparties sur une bande tropicale parallèle à l’équateur, avant que Mars ne bascule sur son axe et ne se réoriente suite à la poussée du dôme. »

Une variation de l’obliquité de Mars aurait également entrainé un changement climatique important sur la planète. « On a étudié des vallées localisées à très haute altitude dans l’hémisphère Sud datant de -3,6 milliards d’années et on a constaté qu’elles étaient similaires aux vallées glaciaires sur Terre, en forme de U. On aurait donc eu un climat froid plus tôt que prévu », rapporte Antoine Séjourné. 

Réétudiée à l’aide d’images à haute résolution de Mars Express et de données topographiques, 30 ans après les images prises par la sonde Viking, les rides curvilignes localisées dans une région de Terra Arabia – une zone compacte entre les basses plaines du Nord et les hauts plateaux du Sud – révèlent à François Costard et ses collègues des formations lobées qui remontent des pentes sur 100 m. « On en a déduit qu’il s’agissait de dépôts de boue provoqués par un tsunami. Cela signifie qu’il y avait là un océan liquide, qu’on a daté à -3 milliards d’années », explique François Costard. Des résultats qui remettent en cause l’idée qu’après -3,5 milliards d’années, tout océan aurait été gelé. 

« Sur Terre, un tsunami est généralement dû à des secousses sismiques. Mais sur une planète monoplaque comme Mars, il proviendrait plutôt du bombardement d’une météorite. » Après avoir repéré dans les basses plaines du Nord, au nord d’Arabia Terra, une dizaine de gros impacts résiduels comme points de départ possibles de ce tsunami, les chercheurs leur appliquent un modèle numérique de propagation de tsunami initialement calibré pour la Terre et ajusté à Mars. Au final, le seul capable de générer un tsunami abordant les rivages aux formations lobées est le cratère Lomonosov, d’un diamètre de 150 km. « Il aurait généré deux vagues successives de 300 m de haut qui se seraient propagées à la vitesse d’un TGV. » À l’aide d’une approche morphométrique, ils constatent que ce cratère présente des signes d’un ancien cratère marin, avec de larges remparts effondrés, et le datent également à -3 milliards d’années. Un point de plus pour le Lomonosov. Enfin, ils mettent à jour une activité volcanique concomitante localisée dans la région des dépôts lobés : des cônes de boue s’alignent sur les pentes formées par compaction de sédiments fins gorgés d’eau et drainés par le tsunami. 

 

Publications

• Bouley S. et al. A thick crustal block revealed by reconstructions of early Mars highlands. Nat. Geosci. 13, (2020).
• Bouquety, A. et al. Glacial landscape and paleoglaciation in Terra Sabaea: Evidence for a 3.6 Ga polythermal plateau ice cap. Geomorphology, 350, (2020).
• Ilaria Di Pietro et al. Evidence of mud volcanism due to the rapid compaction of martian tsunami deposits in southeastern Acidalia Planitia, Mars. Icarus, 354, (2021).