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Les réseaux de distribution à l’épreuve des véhicules électriques

Recherche Article publié le 23 septembre 2021 , mis à jour le 23 septembre 2021

Moins de CO2, moins de bruit et surtout zéro particules fines, les avantages proposés par les véhicules électriques (VE) sont nombreux. Tandis que la Commission européenne prévoit la fin des ventes de voitures thermiques d’ici à 2035, la capacité du réseau électrique à supporter la recharge d’un grand nombre de véhicules offre toutefois matière à discussion. Des chercheurs du laboratoire de Génie électrique et électronique de Paris (GeePS - Univ. Paris-Saclay, CentraleSupélec, CNRS, Sorbonne Université) et du Laboratoire de génie industriel (LGI – Univ. Paris-Saclay, CentraleSupélec) ont réalisé un état des lieux holistique du sujet et identifié les barrières techniques, économiques et règlementaires qui subsistent pour l’intégration des VE aux réseaux de distribution.

Avec une production d’électricité historiquement centralisée, les systèmes électriques européens ont jusqu’à récemment répondu relativement simplement à des besoins variables et disparates, tout en réalisant des économies d’échelle. Mais l’intégration dans le réseau d’un volume croissant d’unités de production d’énergie décentralisée, principalement liées aux énergies renouvelables, et le développement des véhicules électriques (VE), constituent aujourd’hui des défis pour les gestionnaires de réseau de distribution d’électricité (GRD), qui doivent éviter une déstabilisation des systèmes.

Comme l’explique Felipe Gonzalez Venegas, du GeePS : « De la même façon que si vous allumez tous les appareils ménagers de votre maison, les fusibles sautent, la recharge des véhicules électriques peut créer des contraintes techniques sur le réseau de distribution, local notamment, à l’échelle d’un quartier par exemple ».

L’intégration d’un grand nombre de VE au réseau de distribution augmente les pertes de puissance et est susceptible de générer des congestions ou des chutes de tension ; la surcharge des transformateurs et des lignes peut même engendrer la dégradation ou la défaillance des équipements.

 

Contrôler intelligemment la recharge pour soulager le réseau

« Pour accueillir la recharge de tous ces véhicules qu’on espère voir dans la rue d’ici cinq, dix ou vingt ans, il y a deux possibilités, développe F. Gonzalez Venegas. Soit construire plus de lignes et plus de transformateurs – ce qui coûte très cher -, soit contrôler la recharge des VE pour limiter leur impact sur le réseau, ce que nous appelons "flexibilité". » 

La flexibilité revient à mettre en place des stratégies de recharge, dont deux sont particulièrement identifiées : la recharge intelligente et le véhicule-réseau. La recharge intelligente ou smart charging « consiste à répartir la recharge dans le temps », tandis que le véhicule-réseau « est une recharge bidirectionnelle où l’utilisateur peut non seulement charger son véhicule mais aussi le décharger pour aider le réseau ». À l’instar d’une batterie mobile, les VE stockent l’énergie pour la délivrer en fonction de la demande vers le réseau (V2G pour Vehicle-to-Grid), un bâtiment (V2B) ou une habitation (V2H).

Les services de flexibilité sont implémentés à des flottes de taille variée et répondent à divers objectifs selon les échelles considérées. À l’échelle d’une maison ou d’un bâtiment, la flexibilité répond à des besoins d’optimisation de la facture d’électricité ou d’autosuffisance énergétique. À l’échelle locale des GRD, elle aide à gérer le risque de congestion ou à réguler la tension. À l’échelle nationale des gestionnaires de réseau de transport (GRT), l’enjeu réside plutôt dans l’arbitrage énergétique permettant de garantir l’équilibre entre l’offre et la demande.

Schéma des principaux services de flexibilité à fournir par les VE (Source : https://doi.org/10.1016/j.rser.2021.111060)

 

Une technologie quasi opérationnelle…

Avec ses collègues, F. Gonzalez Venegas s’est attelé à cerner les contours de la flexibilité, en collectant les résultats et recommandations issus de la littérature scientifique et des principaux projets de démonstration européens sur le sujet.
« En réalisant cet état des lieux, nous nous sommes rendu compte que les aspects techniques sont déjà plus ou moins gérés. La technologie est disponible, peut-être pas de façon massive et pour tous les véhicules, mais il y a une recherche active autour du sujet. » Le V2G accélère également l’usure de la batterie, ce qui constitue un inconvénient non-négligeable pour les utilisateurs, mais le jeune chercheur estime que les équipes de R&D mobilisées, notamment chez les constructeurs, devraient venir à bout de ces limites d’ici cinq ans.

 

…mais un cadre économique et règlementaire qui reste à définir

Avec la production d’électricité décentralisée, les GRD ont le choix entre investir dans plus d’infrastructures ou utiliser la flexibilité. « Or, aujourd’hui les GRD sont payés sur la quantité de réseau qu’ils possèdent, explique F. Gonzalez Venegas, ils ont donc tout intérêt à en construire davantage. » En Europe, ces cadres règlementaires sont en train d’évoluer pour inciter les GRD à mettre en place des solutions flexibles et lever cet important point de blocage.

Par ailleurs, il n’est pas envisageable que la flexibilité se mette en place au détriment des utilisateurs, de leurs besoins en énergie ou de la longévité de leur équipement (en particulier de la batterie). « L’utilisateur doit accepter qu’on contrôle la recharge de son véhicule et dans le cas du V2G, qu’on décharge son véhicule pour servir le réseau, argumente F. Gonzalez Venegas. Il faut que les gestionnaires développent des mécanismes acceptables pour les utilisateurs et valorisent la flexibilité, par exemple, en récompensant les utilisateurs pour les services apportés au réseau. »

 

Le système de tarification dynamique, une solution limitée

Les systèmes de tarification dynamique offrent une possibilité de smart charging contrôlé par les usagers : la variation du prix de l’énergie sur la journée oriente les modes de consommation vers des usages plus efficaces. La tarification Time-of-Use par exemple applique un prix supérieur au prix fixe traditionnel sur les périodes de pointe (heures pleines) et un prix inférieur sur les heures creuses, ce qui incite à y décaler les usages. 

En revanche, « cette solution tarifaire n’est pas suffisante à elle-seule car on se retrouverait avec trop de véhicules connectés en heures creuses, explique F. Gonzalez Venegas. C’est pourquoi il faut mettre en place des stratégies de recharge plus avancées. » 

 

Les contrats intelligents : un arrangement direct entre utilisateurs et gestionnaires de réseau

Autre solution pour contrôler la recharge des VE : la signature entre les GRD et les utilisateurs de contrats interruptibles ou à capacité variable. Pour réduire les congestions, les utilisateurs disposent d’un accès réduit au réseau pour recharger leur VE mais bénéficient d’un prix attractif.

« C’est une solution relativement facile à mettre en place pour gérer les contraintes sur le réseau local et qui a assez peu d’impact sur les utilisateurs, s’enthousiasme F. Gonzalez Venegas. À la maison, les sessions de recharge durent généralement dix ou douze heures, pendant la nuit, alors que deux ou trois heures suffisent à recharger le véhicule. Les utilisateurs ont donc de la marge s’il faut faire des arbitrages énergétiques. » 

Ces contrats à capacité variable sont actuellement en cours de test aux Pays-Bas sur les points de recharge publics. Deux-trois heures par jour durant les heures de pointe, la puissance fournie par la borne est un peu moins élevée.  « Mais l’impact pour les utilisateurs est là encore très faible, complète le jeune chercheur. La recharge est plus lente mais généralement les utilisateurs possèdent un peu de marge et chargent plus longtemps que nécessaire. Même dans ce type de cadre, on peut implémenter des contrats flexibles. » 

 

Exemple de contrat à capacité variable
Exemple de contrat à capacité variable
(Source : https://doi.org/10.1016/j.rser.2021.111060)

L’intervention de tiers pour créer une logique de marché

Une dernière solution pour implémenter le smart control est de passer par un agrégateur, c’est-à-dire « une personne ou une entreprise qui va contrôler la recharge d’une flotte de véhicules et ainsi limiter l’impact sur le réseau. Ce type d’acteur existe déjà et fournit des services pour les GRT », ajoute F. Gonzalez Venegas.

Un agrégateur est capable de gérer une flotte suffisamment large pour offrir de la flexibilité à grande échelle, tout en répondant aux besoins des acteurs à plus petite échelle, mais également de coordonner d’autres unités de production décentralisée qui fournissent de la flexibilité (comme les batteries stationnaires), lorsque les VE ne sont pas disponibles. Des GRD peuvent alors implémenter des marchés locaux de flexibilité, où plusieurs agrégateurs sont mis en concurrence pour fournir des services au réseau.

Ce type de mécanisme a commencé à être implanté au Royaume Uni et en France via des appels d’offres de flexibilité. À l’instar des autres mécanismes cités, cela évite d’investir dans de nouvelles infrastructures.

 

Référence :