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Loïc Bertrand : Révéler des savoirs patrimoniaux inédits grâce à la micro-imagerie

Portrait de chercheur ou chercheuse Article publié le 22 octobre 2021 , mis à jour le 20 septembre 2022

Loïc Bertrand est chercheur au laboratoire Photophysique et photochimie supramoléculaires et macromoléculaires (PPSM – Université Paris-Saclay, ENS Paris-Saclay, CNRS). Il étudie les propriétés de matériaux anciens par micro-imagerie et révèle ainsi les secrets inédits de certains objets du patrimoine. 

Loïc Bertrand étudie la chimie et la matière condensée à l’École polytechnique de 1994 à 1997. Il assiste également à des cours optionnels en histoire de l’art et développe un vif intérêt pour les pratiques artistiques. Pour allier ces deux domaines, il étudie durant deux ans le génie des matériaux à l’école Mines ParisTech. En parallèle, il effectue un DEA (master) de science des matériaux co-accrédité par l’Université Pierre et Marie Curie - aujourd’hui Sorbonne Université - et l’École polytechnique. « À cette époque, j’avais contacté deux chercheurs du Laboratoire de recherche des musées de France (LRMF, aujourd’hui C2RMF), et ces rencontres m’avaient beaucoup inspiré. Cela a confirmé mon envie d’étudier des matériaux anciens. » En 1999 et jusqu’en 2002, le chercheur rejoint le LRMF et l’ENS Paris pour y réaliser sa thèse. Elle porte sur l’étude de tissus kératinisés et leur analyse physico-chimique, grâce aux méthodes d’imagerie sur synchrotron, en plein développement. « Je m’intéressais aux mécanismes de préservation de ces matériaux biologiques en milieu archéologique, issus de fouilles de l’âge du fer en France, et de collections égyptiennes de la période gréco-romaine. » Puis, Loïc Bertrand effectue un post-doctorat au département de biochimie de l’Université de Cambridge au Royaume-Uni. « À cette occasion, j’ai approfondi ma connaissance des systèmes biologiques en étudiant l’interaction entre des protéines et des ligands par des méthodes cristallographiques. » 

 

La création d’IPANEMA

En 2004, Loïc Bertrand revient en France et poursuit ses travaux de recherche dans le cadre d’un second post-doctorat partagé entre le Laboratoire de physique des solides (Univ. Paris-Saclay, CNRS) et le synchrotron SOLEIL, alors en cours de création. Le chercheur y est recruté en 2005, avec pour mission de développer les applications du grand instrument pour les matériaux du patrimoine. Avec l’aide de la région Île-de-France et du ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation, il crée en 2010 l’Institut photonique d'analyse non-destructive européen des matériaux anciens (IPANEMA - Université Paris-Saclay, CNRS, UVSQ, ministère de la Culture) qu’il dirige jusqu’en 2019. « Nous avons initié une nouvelle modalité de recherche où chercheurs, post-doctorants et étudiants issus de domaines variés viennent se former au laboratoire et échanger leurs savoir-faire pendant des durées pouvant aller jusqu’à plusieurs années. » C’est aujourd’hui encore le seul laboratoire d’étude des matériaux du patrimoine sur grand instrument à l’échelle internationale. 

 

Repenser l’interdisciplinarité

Le laboratoire nourrit des partenariats avec, entre autres, le musée du Louvre, du quai Branly, le muséum national d’histoire naturelle, la Philharmonie de Paris, le Rijksmuseum d’Amsterdam et la Smithsonian Institution de Washington. Et puisque la science du patrimoine est un sujet interdisciplinaire, les scientifiques d’IPANEMA participent régulièrement à des consortiums qui réunissent des spécialistes de physique, de science des données, d’histoire et conservation, d’histoire de l’art, de restauration, d’archéologie ou encore de paléontologie. 


 
Les sciences du patrimoine

La thématique patrimoniale, qui, d’une part, facilite la compréhension du passé, et, d’autre part, favorise la préservation du patrimoine, recouvre une très grande diversité d’objets. Il peut s’agir de matériaux lithiques, biologiques, ou de métaux, souvent complexes. Mais ils ont des propriétés communes, telle qu’une composition altérée ou une hétérogénéité à multiéchelle. Les deux sujets de prédilection du chercheur concernent le développement de méthodes pour l'étude des systèmes fossiles et celle de textiles archéologiques exceptionnellement préservés. Leur analyse vise à fournir aux institutions patrimoniales et musées des informations relatives aux pratiques sociales et funéraires, aux contextes historiques ainsi qu’à l’histoire des techniques.

 

La micro-imagerie

Loïc Bertrand utilise des technologies de micro-imagerie plein champ et par balayage. Il recourt au synchrotron, un grand instrument qui utilise l'accélération à haute énergie de particules chargées pour générer de la lumière. Cette source possède des propriétés qui rendent possible l’analyse fine et en haute résolution des objets. « Les rayons X interagissent avec différents mécanismes de la matière que nous exploitons en imagerie pour étudier les mécanismes et gestes à l’origine de la variation de la composition des objets. » La détection de l’agencement moléculaire et des propriétés d’interactions physico-chimiques des objets, de leur densité ou leur structure nous renseigne notamment sur leurs procédés de fabrication, les matériaux utilisés (et indirectement, leur datation), l’impact d’un processus artistique ou de mécanismes d’altération. Par exemple, il est possible de retrouver l’armure - c’est-à-dire le motif - d’un textile ancien, d’identifier ses fibres, de compter le nombre de fils par centimètre, afin de déterminer les métiers utilisés pour les fabriquer. « L’imagerie nous fournit des informations que l’on pensait totalement perdues parce qu’elle nous donne à voir des évolutions, des gestes au sein d’un échantillon statique. Elle nous ouvre un monde de savoirs complètement nouveau. » 

 

Vers de nouveaux projets

Conformément aux pratiques du CNRS, Loïc Bertrand quitte la direction d’IPANEMA en 2020 à la fin de son second mandat. Il rejoint la vice-présidence de l’Université Paris-Saclay afin de mener des travaux de réflexion sur la promotion de la pluridisciplinarité au sein du campus. Mais aussi le laboratoire PPSM pour y développer la thématique « matériaux anciens et paléo-inspirés ».

Le chercheur aime diversifier ses travaux et s’intéresse également à l’altération de peintures contemporaines. Cela s’inscrit notamment dans le projet de transfert des réserves du centre national d’art et de culture Georges-Pompidou au futur pôle francilien de conservation et de restauration, la « Fabrique de l'art » à Massy prévu pour 2025. En outre, il lance une réflexion autour de la reproduction du caractère durable de certains matériaux archéologiques, afin de pouvoir s’en inspirer pour la conception de matériaux plus écologiques. 

 

Le Collaborative Center 'Atoms For Heritage'

Impliqué dans des réseaux régionaux, nationaux et internationaux de réflexion sur le futur des sciences du patrimoine depuis 2010, Loïc Bertrand pilote aujourd’hui la mise en place du « Centre collaborateur » Atoms for Heritage. Il s’agit d’un nouveau partenariat, signé par l’Université Paris-Saclay en septembre dernier avec l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA). Il vise, entre autres, à développer des bonnes pratiques et des programmes de formation, à un niveau international, afin de préserver le patrimoine mais aussi à lutter contre le trafic illicite d'objets patrimoniaux. Cela s’inscrit dans la mission de promouvoir des applications nucléaires pacifiques au service de la société. « L’Université devient ainsi le premier centre d’excellence en sciences du patrimoine à développer ce type de projet à une aussi large échelle. » 

 

Loïc Bertrand

 

 

*Header : Images comparées de photoluminescence à haute dynamique spatiale et de microscopie optique.
Images comparées de photoluminescence à haute dynamique spatiale (PL, en haut) et de microscopie optique (en bas). La zone imagée correspond à une portion d’un des rayons de l’amulette Mehrgarh, objet en cuivre du Chalcolithique ancien trouvé dans les années 1980 dans l'actuel Pakistan. L’image PL révèle une structure eutectique en bâtonnets, invisible par toute autre technique testée. Le secret de sa fabrication a été élucidé, grâce à cette nouvelle approche d’imagerie spectrale de photoluminescence UV/visible réalisée au sein du synchrotron Soleil. Cette amulette est le plus ancien objet fabriqué à la cire perdue. Ce procédé utilise un modèle, sculpté dans un matériau comme la cire d’abeille, et ensuite moulé dans une terre argileuse. La cire fondant à faible température est facilement évacuée, le métal est coulé dans le moule prenant la place de la cire.
© T. SEVERIN-FABIANI / M. THOURY / L. BERTRAND / B. MILLE / IPANEMA CNRS MCC UVSQ / Synchrotron SOLEIL / C2RMF CNRS Photothèque