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Maaike van der Lugt : explorer l'histoire médiévale à travers la science et la médecine

Portrait de chercheur ou chercheuse Article publié le 31 janvier 2024 , mis à jour le 05 février 2024

Maaike van der Lugt est professeure en histoire du Moyen Âge, directrice du laboratoire Dynamiques patrimoniales et culturelles (DYPAC - Univ. Paris-Saclay, UVSQ) et directrice adjointe de l'Institut d'études culturelles et internationales (IECI - Univ. Paris-Saclay, UVSQ). Elle est spécialiste de l’histoire des savoirs, des sciences et de la médecine au Moyen Âge.

D'origine néerlandaise, Maaike van der Lugt entame ses études d'histoire à l'université d'Amsterdam. Après l'obtention de sa maîtrise en 1992, elle suit un DEA en France, attirée par la renommée du pays en matière d'études médiévales. En effet, la France, considérée comme le Graal pour les médiévistes, offre l'opportunité de poursuivre des études supérieures à un coût raisonnable, grâce à son système d'éducation publique. « C'est un avantage notable du système français que je trouve essentiel de préserver. »
 

Intersections entre théologie et science

En 1998, Maaike van der Lugt soutient sa thèse Le ver, le démon et la Vierge. Les théories de la génération extraordinaire au Moyen Âge, analysant les perspectives médiévales sur la génération sans rapport sexuel. Dans ce livre paru en 2004, elle examine les débats théologiques, philosophiques et médicaux, allant de la conception virginale du Christ à la démonologie, ainsi que les conceptions naturelles sans intervention sexuelle. Elle met en lumière le rôle crucial de la théologie médiévale, souvent mésestimée, comme laboratoire de savoirs divers, contredisant l'idée que la religion freine la réflexion scientifique.
 

Exploration des textes d'Aristote

La chercheuse réalise ensuite un post-doctorat d'un an aux Pays-Bas, l'amenant à voyager à travers l'Europe, des bibliothèques du Vatican à celles de Paris, Londres, Oxford et Cambridge. Son projet se concentre sur l'étude de la réception des Problèmes d'Aristote, un ouvrage grec traduit en latin entre 1258 et 1266. Maaike van der Lugt s'intéresse particulièrement à la manière dont ce savoir, allant de la biologie aux mathématiques, passant par l’éthique et la psychologie, et initialement destiné à une élite intellectuelle et universitaire, se transforme et se diffuse sous des formes plus accessibles, bien qu’il soit toujours en latin et pour un public moins spécialisé. Cette période de recherches nomades aboutit à la publication de deux articles.
 

Le concept d'hérédité en médecine inspiré du droit

En 1999, Maaike van der Lugt rejoint l'Université Paris Cité, alors appelée Paris-Diderot, en tant que maîtresse de conférences et y reste jusqu'en 2017. Elle est alors recrutée en tant que professeure à l’Université Versailles - Saint-Quentin-en-Yvelines (UVSQ). Elle poursuit des recherches sur l’histoire du corps et les discours médiévaux sur la nature humaine. Grâce à un financement de l'Action incitative jeunes chercheurs, l’ancêtre de l’Agence nationale de la recherche (ANR), elle dirige un projet sur le concept d'hérédité, aboutissant à la publication d'un livre collectif pionnier en 2008 : L'hérédité entre Moyen Âge et époque moderne. Perspectives historiques. « J'ai étudié le concept de maladie héréditaire, montrant que les médecins médiévaux l'ont forgé en s'inspirant du droit pour transposer la notion de transmission des biens à la médecine. »
 

Transmission de la passion pour l'histoire médiévale

Maaike van der Lugt enseigne l'histoire médiévale de la première année jusqu'au master et doctorat, cherchant à partager sa passion pour les sources originales. Elle souligne l'importance de la matérialité des documents historiques, souvent éclipsée par la numérisation. Pour offrir une expérience authentique, elle organise des partenariats avec des bibliothèques, permettant aux étudiantes et étudiants de consulter les manuscrits. « Je souhaite rendre l'histoire médiévale plus tangible et intéressante, afin de les encourager à relever les défis d'un domaine érudit nécessitant des compétences en philologie, latin, paléographie et iconologie. »
 

Étude de la morale et de la médecine

Au sein de l'Institut universitaire de France, Maaike van der Lugt se consacre de 2007 à 2013 à un projet de recherche sur le concept de nature et son autorité morale et normative. Ce projet l’amène à séjourner un semestre à l’Université de Princeton. Elle explore la manière dont les connaissances sur la nature et les normes juridiques et sociales convergent ou divergent au Moyen Âge. Son travail aboutit à la publication d’une série d’articles et d'un livre collectif en 2014, intitulé La nature comme source de la morale au Moyen Âge. Parallèlement, elle s'intéresse à des questions médicales complexes, notamment l'état neutre, qui interroge la distinction entre santé et maladie.
 

La complexion : entre santé et caractère

À partir de 2014, Maaike van der Lugt étudie la complexion, un concept médical central au Moyen Âge. La complexion conçoit la santé comme un équilibre entre les qualités élémentaires et les humeurs, variant selon les individus, les sexes et les peuples. L’enseignante-chercheuse porte son intérêt sur la manière dont ce concept intègre l'apparence physique, le caractère psychologique et l'état de santé, ainsi que sur sa capacité à décrire l'évolution d'une personne au cours de sa vie, en considérant les éléments stables et ceux susceptibles de changer.
 

Études sur le fœtus et l'expérience féminine dans la médecine médiévale

En 2016, Maaike van der Lugt obtient son habilitation à diriger des recherches, qui se concentre sur le fœtus et fait l’objet d’un ouvrage à paraitre. Elle y synthétise ses recherches, croisant les perspectives médicales et philosophiques, ainsi que leurs implications morales et normatives. Ses travaux portent sur des sujets tels que les causes de ressemblances et dissemblances entre parents et enfants, l’avortement et la question de l’« eugénisme médiéval ». Ils abordent en particulier comment les savants de l'époque envisagent de modifier ou d'influencer le processus de génération, mais aussi la façon dont ces derniers intègrent, ignorent ou rejettent le savoir et l'expérience des femmes en matière de grossesse et d'accouchement.
 

Vulgarisation et vernaculaire : la diffusion des savoirs

En 2019, l’enseignante-chercheuse lance un projet sur la vulgarisation et la traduction vernaculaire de textes médicaux du XIIᵉ au XVIᵉ siècle. Elle s'intéresse particulièrement au premier texte médical en français, le régime de santé écrit par Aldebrandin de Sienne. Il y aborde des sujets comme la nourriture, la sexualité et le sommeil, et se situe à l'intersection de la médecine et du précepte éthique. Ce texte, qui a connu un grand succès, est traduit en plusieurs langues et parfois richement illustré. « Avec une équipe de confrères à travers l’Europe, nous analysons ces traductions et leur appropriation culturelle, ainsi que la sociologie de leur réception. »
 

Direction du laboratoire DYPAC et direction adjointe de l’IECI

En 2018, un an après son arrivée à l’UVSQ, Maaike van der Lugt prend la direction du laboratoire Dynamiques patrimoniales et culturelles (DYPAC), qui fait partie de l'Institut d'études culturelles et internationales (IECI), dont elle assume la direction adjointe en 2020. Ce laboratoire se distingue par son dynamisme dans la recherche de financements et dans la construction de la Graduate School Humanités et sciences du patrimoine et de deux Objets interdisciplinaires de l’Université Paris-Saclay : Palabre, axé sur le patrimoine, et SCult, se concentrant sur le savoir scientifique, la culture et la médiation des savoirs. « Ces initiatives sont essentielles pour le développement de projets de recherche », conclut l’enseignante-chercheuse.