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Maîtriser l’hétérogénéité de formes de l’autisme

Recherche Article publié le 03 mars 2023 , mis à jour le 03 mars 2023

(Cet article est issu de L'Édition n°20)

Des chercheurs et chercheuses de l’Université Paris-Saclay travaillent à une meilleure compréhension des troubles autistiques et de leurs facteurs d’émergence, ainsi que de leur diagnostic. 

L’enfant sauvage (1970), Rainman (1988), Forrest Gump (1994) ou plus récemment Hors normes (2019). L’autisme inspire le cinéma. Pour autant, les personnes atteintes d’autisme se retrouvent-elles dans la description qui y est faite de leur trouble ? Car l’autisme, autour duquel l’imaginaire collectif cristallise certaines représentations, reste aujourd’hui assez mal connu et compris. En effet, ce trouble neurodéveloppemental, qui touche une personne sur 160 dans le monde, recouvre des fonctionnements mentaux particuliers souvent difficiles à caractériser et dont l’origine pose encore question. Il revêt également une multitude de formes et de manifestations. On parle d’ailleurs de troubles du spectre de l’autisme (TSA). Ils se distinguent principalement par des déficits d’interactions sociales et communicationnelles, des comportements répétitifs et des intérêts restreints. 

Avec une augmentation, ces dernières décennies, du nombre de cas détectés, la question du diagnostic de l’autisme demeure des plus délicates. Ce diagnostic s’appuie sur un résumé d’informations apportées par les professionnels de santé, après des examens qui sont principalement des entretiens ou des exercices réalisés avec le patient ou la patiente. Mais ces instruments standardisés sont sujet à caution et ne constituent qu’une aide au jugement clinique. Or, l’évolution du trouble étant différente en fonction des personnes, cela complexifie d’autant le diagnostic médical. L’impact que ce diagnostic a sur le patient ou la patiente n’est pas non plus négligeable : sa désignation en tant que personne autiste influe sur sa propre construction psychique et sociale, le patient ou la patiente se positionnant par rapport à son statut. 

Or, comprendre les causes des traits d’autisme contribue à améliorer l’examen médical, et par conséquence le diagnostic. Dès lors, quelles pistes de recherches faut-il privilégier pour comprendre les facteurs d’émergence, les signes et le diagnostic des TSA ? Des chercheurs et chercheuses de l’Université Paris-Saclay avancent sur ces questions et proposent, elles et eux aussi, un spectre d’approches possibles. Entre démarches neurodéveloppementales, microbiologie et épidémiologie du développement, leur ambition est de saisir l’aspect multidimensionnel de l’autisme. 

 

Sciences des données et science ouverte à l’épreuve du diagnostic

Et s’il était possible de prédire l’autisme à partir de techniques d’imagerie cérébrale ? Non pas remplacer le diagnostic qui se fait après un jugement clinique, mais le confirmer grâce aux IRM. C’est ce que tente de démontrer une équipe internationale de chercheurs et chercheuses, dont certains sont issus du Paris-Saclay Center for Data Science (CDS) et de l’équipe-commune Inria-CEA Parietal, de NeuroSpin (Univ. Paris- Saclay, CEA), à laquelle appartient le physicien et data scientist Gaël Varoquaux. Dans une logique de science ouverte, les membres de cette équipe ont organisé dès 2017 un challenge accessible à tous les data scientists volontaires et ce, dans le but de développer un prédicteur des TSA. À partir de données ouvertes d’imagerie par résonance magnétique (IRM), le défi a consisté à soumettre des algorithmes, les plus optimaux possibles, afin de prédire le diagnostic de TSA. Durant trois mois, 146 challengers ont proposé leurs algorithmes, avec un total de 720 soumissions. 

Pour vérifier la validité de ces algorithmes, les équipes encadrant le challenge les ont testés sur des données IRM privées. Elles ont ainsi obtenu la mesure ROC (Receiver Operating Characteristic) de l’algorithme, c’està- dire la caractéristique de performance de ce classificateur, ordonnant des éléments en deux groupes, en fonction de leurs caractéristiques. Il s’agit d’une mesure de la qualité des prédictions, qui se matérialise sous la forme d’une courbe : la courbe ROC, qui donne le taux (entre 0 et 1) de vrais positifs (cas positifs effectivement détectés) et celui (également entre 0 et 1) de faux positifs (cas négatifs détectés par erreur) pour le classificateur étudié. C’est grâce à l’aire AUC (Area Under the Curve) située sous la courbe ROC que la qualité des prédictions se révèle. « L’aire sous la courbe (AUC) nous donne une sorte de résumé de toutes les décisions possibles de notre classificateur », explique Gaël Varoquaux. Lorsque le modèle réussit à totalement séparer les vrais positifs des faux positifs, c’est-à-dire lorsque le taux d’erreur est équivalent à zéro, la performance est parfaite. « La courbe idéale saute ainsi de 0 à 1 et se stabilise à 1. »

(c)The Shelf Company/Univ. Paris-Saclay

À l’issue du challenge, les scientifiques ont combiné les dix meilleurs modèles d’algorithmes et produit un bon prédicteur de TSA, dont l’AUC atteint 0,80, soit un bon niveau de discrimination. Les scientifiques ont comparé l’efficacité du test de dépistage à celle du test de diagnostic. Tandis que le premier argue de la présence (ou de l’absence) d’une maladie à l’apparition (ou non) de symptômes, le second estime la probabilité d’existence de cette maladie. Il se positionne donc en amont du développement de la pathologie. Le prédicteur utilisé comme test de dépistage détecte 88 % des personnes atteintes de TSA, mais au prix d’une mauvaise classification de 50 % des témoins. Utilisé comme test de diagnostic, le prédicteur détecte 25 % des personnes atteintes de TSA, mais seulement 3 % des témoins sont à tort classés comme patientes ou patients. Bien que ces résultats soient encore imparfaits et incompatibles avec une application clinique, ils offrent de beaux espoirs pour une prédiction de TSA. Toutefois, les données IRM sont coûteuses et il est difficile d’en disposer pour une grande population. Les recherches dans cette voie ne sont pas évidentes, ce qui ne décourage pas pour autant Gaël Varoquaux : « Nous avons montré qu’il y a de la recherche utile pour l’autisme dans cette direction. Une approche intéressante serait maintenant de faire passer un scanner à des enfants âgés de deux ans, d’attendre quelques années que le médecin confirme le diagnostic de TSA, et d’alors effectuer une prédiction longitudinale. » Les informations fournies par l’IRM réalisée sur l’enfant permettraient de suivre la progression de la maladie dans le temps et de fournir des biomarqueurs précoces utiles, en complément de l’étude des comportements. 

 

Les neurosciences et l’analyse de l’hétérogénéité des TSA

La multiplicité de formes de l’autisme rend complexe son diagnostic et son analyse. Les symptômes majeurs de l’autisme s’accompagnent souvent de différents troubles psychiatriques ou médicaux, ainsi que de facteurs génétiques et immunitaires variés. Cette variabilité du spectre empêche une reproductibilité des biomarqueurs identifiés entre les différentes personnes atteintes de TSA. Des chercheurs et chercheuses du centre NeuroSpin (Univ. Paris-Saclay, CEA) proposent de rassembler par groupes des personnes dont les TSA sont homogènes. Cette séparation en plusieurs groupes vise à comprendre les mécanismes biologiques propres à chacun d’entre eux. Chaque groupe révèle ainsi des différences comportementales associées à des « signatures corticales » détectées par IRM. 

Car l’autisme ne fournit pas une catégorie de patientes et patients homogène, il s’agit bien d’un spectre à la multitude de symptômes. Pour analyser la maladie, une simple catégorisation binaire entre « personne atteinte de TSA » et « personne non atteinte de TSA » n’est ici pas applicable. Sinon, des individus aux comportements largement différents seraient assimilés au même groupe. Le travail d’Angeline Mihailov et de l’équipe Baobab de Neurospin a pour but de distinguer des personnes atteintes de TSA en de multiples groupes, ce qui passe notamment par une approche « dimensionnelle », prenant en considération le type et le degré des symptômes des patientes et patients.  

 

Cohorte MARIANNE : l’influence des facteurs environnementaux

La question des facteurs à l’origine des TSA soulève aussi un débat. Le facteur génétique est le plus connu et le plus fréquemment observé. Mais l’augmentation, ces trente dernières années, de la prévalence des TSA dans la population mondiale augure de l’existence de facteurs supplémentaires. Car si l’amélioration des diagnostics et l’élargissement des définitions de l’autisme contribuent à faire augmenter le nombre de patientes et de patients déclarés positifs, ils n’expliquent pas tout. « Cela explique 50 % de cette augmentation mais déporte le regard des facteurs environnementaux, auxquels nous nous intéressions peu, alors que les modèles de troubles neurodéveloppementaux sont très développés », explique Amaria Baghdadli, psychiatre, chercheuse au Centre de recherche en épidémiologie et santé des populations (CESP – Univ. Paris-Saclay, UVSQ, Inserm) et responsable du Centre de ressources sur l’autisme au CHU de Montpellier. Par « facteurs environnementaux », la chercheuse entend l’environnement naturel, social, familial, culturel… « L’environnement est capable de laisser son empreinte sur notre génome, notre ADN. Nous parlons alors d’“empreinte épigénétique”. » 

Considérer une multiplicité des facteurs à l’origine de l’autisme appelle une démarche multidimensionnelle. Un projet comme MARIANNE, démarré en novembre 2022, s’y inscrit totalement. Bénéficiant d’un financement de six millions d’euros dans le cadre du Plan d’investissement d’avenir (PIA), ce projet, coordonné par Amaria Baghdadli, a pour objectif de construire une grande infrastructure de recherche en collectant une cohorte de données sur 2 300 familles. L’ambition est d’établir le rôle des facteurs environnementaux et biologiques dans la survenance d’un TSA ou d’un trouble du neurodéveloppement, de façon générale. À la différence de la cohorte précédente, ELENA, portée sur les facteurs de pronostic des TSA auprès d’enfants, MARIANNE est une cohorte prénatale d’enfants dont le risque d’être autistes ou de développer d’autres troubles du neurodéveloppement est important, parce qu’ils ou elles ont un frère ou une soeur autiste. 

La cohorte MARIANNE comprend deux groupes, l’un avec des femmes enceintes ayant déjà eu un enfant autiste et où le risque d’avoir un autre enfant atteint de difficultés de développement est plus important, et l’autre où un tel risque est presque nul, proche de celui de la population générale. Le suivi des femmes enceintes, des pères et des enfants du premier groupe se fait pendant six ans. « L’originalité de notre projet vient d’abord de son approche en santé globale, où nous nous intéressons à la santé et au développement de façon générale, en utilisant un modèle de trouble du développement qu’est l’autisme. L’interdisciplinarité joue ensuite un grand rôle car nous mobilisons des psychiatres, des pédiatres, des gynécologues, des sages-femmes, des généticiens, des épidémiologistes sociaux, environnementaux, du développement… Enfin, un tel modèle d’hérédité non uniquement génétique est, à notre avis, à l’oeuvre dans beaucoup de maladies chroniques et, pourtant, reste à étudier d’avantage », résume Amaria Baghdadli. 

 

Le projet GEMMA et l’impact du microbiote intestinal

(c)The Shelf Company/Univ. Paris-Saclay

Déterminer quelle influence les facteurs environnementaux ont sur l’émergence de TSA demande parfois d’élargir sa vision de ces troubles. À l’institut Microbiologie de l’alimentation au service de la santé humaine (MICALIS – Univ.Paris-Saclay, INRAE, AgroParisTech), des scientifiques s’intéressent à l’implication du microbiote intestinal dans certains aspects des TSA. Le microbiote intestinal représente l’ensemble des microorganismes (virus, bactéries, parasites…) qui peuplent l’intestin et Léa Roussin, doctorante à MICALIS, l’affirme : « La littérature scientifique nous montre que les enfants autistes possèdent un microbiote particulier. Dans des modèles d’autismes chez la souris, qu’ils soient génétiques, environnementaux ou idiopathiques, beaucoup d’études pointent une perturbation du microbiote intestinal par comparaison avec celui de souris considérées “normales”. » 

Le projet de recherche européen GEMMA (Genome, Environment, Microbiome and Metabolome in Austism), démarré en 2019 pour cinq ans et dans lequel s’inscrit la thèse de Léa Roussin, cherche à approfondir ces analyses. Le projet affiche une ambition clinique, celle de détecter les biomarqueurs prédictifs du développement des TSA. Il comprend également une étude longitudinale qui consiste à observer des familles comportant déjà un enfant atteint de TSA et un second enfant en très bas âge, à suivre chez ce dernier certains paramètres (par le biais d’analyses de sang, d’urine, du système immunitaire…) afin de déterminer ce qui précède l’arrivée de symptômes de TSA chez des enfants qui en seront atteints. 

Un autre volet du projet concerne l’analyse de l’influence du microbiote d’enfants autistes sur l’apparition de symptômes de type autistique chez des modèles murins. « Dans le cadre de ma thèse, je travaille sur des souris axéniques, c’està- dire nées sans microbiote intestinal et vivant dans un environnement complètement stérile en isolateur », explique Léa Roussin. Pour ces recherches, la jeune chercheuse transfère à ces souris le microbiote d’enfants humains atteints de TSA. Alors que ces souris présentent déjà un comportement altéré, le but est d’observer si ce microbiote a un impact supplémentaire sur leur comportement. « On observe une inflammation intestinale chez certaines patientes et patients atteints de TSA, ce qui peut se répercuter sur le microbiote et contribuer à déclencher ou aggraver des symptômes », avance, comme hypothèse de travail, Léa Roussin. Au vu de l’influence qu’entraîne un diagnostic sur la vie d’un enfant voire d’un adulte, les recherches sur les troubles du spectre de l’autisme apparaissent comme essentielles. Cette fresque de l’autisme, trop longtemps en noir et blanc, amorce désormais un passage en couleurs. 

 

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(c)The Shelf Company/Univ. Paris-Saclay