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Marie Erard : une chimiste à l’assaut du vivant

Portrait de chercheur ou chercheuse Article publié le 19 décembre 2023 , mis à jour le 17 janvier 2024

Observer la matière s'organiser

Marie Erard est enseignante-chercheuse à l’Institut de chimie-physique (ICP – Univ. Paris-Saclay, CNRS), dont elle est la directrice-adjointe depuis 2020. Spécialiste de la chimie liée au vivant, elle concentre ses travaux sur l’exploration du fonctionnement des cellules à l’échelle moléculaire. Pour cela, elle met au point des méthodes analytiques basées sur la spectro-imagerie de fluorescence. Depuis quelques mois, elle coordonne BioProbe, un objet interdisciplinaire de l’Université Paris-Saclay, dont l’objectif est de promouvoir le développement de méthodes de détection innovantes pour l’exploration des processus du vivant. 

Intéressée par la chimie de longue date, Marie Erard découvre celle issue et à destination du vivant à l’occasion d’un stage de master 1 à l’Institut Pasteur. Elle passe l’agrégation de chimie en 1999 et, attirée par la recherche, s’engage dans un doctorat en bio-électrochimie. Le sujet de sa thèse, Détection par ultramicroélectrodes de flux femtomolaires émis par une cellule vivante isolée : application au stress oxydatif et à l'exocytose de neurotransmetteurs, soutenue au département de chimie de l’ENS Ulm en 2002, n’est pas sans liens avec ses travaux de recherche actuels à l’Institut de chimie-physique (ICP). « J'étudiais déjà des phénomènes biologiques à l’échelle moléculaire, avec des outils électrochimiques. » Après un an en post-doctorat à l’Université de Californie à Riverside (États-Unis), elle est embauchée en 2003 comme maîtresse de conférences à l’Université Paris-Sud (aujourd’hui Université Paris-Saclay) au sein du Laboratoire de chimie-physique (LCP, devenu ICP en 2020). Dix ans plus tard, elle obtient son habilitation à diriger des recherches (HDR) et devient professeure en 2016.

Avec ses 135 collaborateurs et collaboratrices, l'ICP couvre des domaines de recherche ancrés dans la chimie, avec des projets aux interfaces avec la physique et les sciences du vivant. Il s’organise en quatre groupes scientifiques comprenant théoriciens et théoriciennes, et expérimentateurs et expérimentatrices. Expérimentatrice aguerrie, Marie Erard travaille au sein du groupe Chimie-physique des systèmes biologiques (CPSysBio). Dès son arrivée en 2003, ses travaux se répartissent en deux axes : d’une part le développement de sondes fluorescentes et biosenseurs basés sur des protéines fluorescentes pour l’imagerie, d’autre part la mise au point de stratégies de mesure en cellule vivante basées sur la spectro-imagerie de fluorescence. « J'aime l’idée de voir la matière s'organiser et se réorganiser. Je suis motivée par la compréhension des mécanismes fondamentaux du vivant. Pour les analyser, je développe des stratégies qui s’appuient sur différents types d’imagerie et l’utilisation de ces outils fascinants que sont les protéines fluorescentes. »

La NADPH oxydase et le stress oxydant

Pour développer ses projets, elle jette son dévolu sur une enzyme déjà étudiée dans son groupe scientifique : la nicotinamide adénine dinucléotide phosphate hydrogéné (NADPH) oxydase. « Indispensable aux êtres humains, c'est un acteur clé du système immunitaire. Côté face, l’enzyme est indispensable à la destruction des microbes en cas d’infection en générant ce qu'on appelle des formes réactives de l'oxygène. Côté pile, une production incontrôlée de formes réactives de l'oxygène entraine du stress oxydant et des situations inflammatoires : c’est le même type de phénomène à l’origine de nos rides ou coups de soleil. »
 
Marie Erard utilise la microscopie de fluorescence pour observer l’enzyme in vivo. « Elle est organisée en briques dont l’assemblage forme l’édifice fonctionnel. Dès 2003, mon objectif était de fusionner une protéine fluorescente sur chacune de ces briques de façon à repérer, grâce au signal de fluorescence, comment l’assemblage se fait. Mon rêve est d’observer à la fois les cellules du système immunitaire qui phagocytent et séquestrent les microbes, l’assemblage de la NADPH oxydase et sa production de formes réactives de l'oxygène. Cette étape est importante pour identifier où agir afin de contrôler l’enzyme et de limiter le stress oxydant qu’elle induit. »

Ce rêve n’est pas encore réalité mais certaines étapes sont franchies avec succès, notamment grâce à une collaboration fructueuse avec une équipe de biologistes cellulaires animée par Olivier Nüsse, qui a rejoint l’ICP en 2016. Ensemble, ils proposent le premier modèle structural complet de la partie cytosolique de la NADPH oxydase en 2019. Ces approches qui nécessitent des sondes fluorescentes appropriées, des modèles cellulaires pertinents, et le développement d’instruments performants ne sont possibles, selon elle, que grâce à l’environnement scientifique et technique de l’ICP.

L’enseignante-chercheuse est actuellement impliquée dans deux programmes financés par l’Agence nationale de la recherche (ANR) : BoriProbe, en partenariat avec des chimistes moléculaires, et ApicoLipidTraffic, avec des biologistes. « Dans le projet interdisciplinaire ApicoLipidTraffic, l'objectif est toujours d’observer un phénomène d’assemblage à l'échelle moléculaire grâce à la mesure du signal de fluorescence, excepté que ce ne sont pas les composants d’une enzyme qui interagissent, mais des membranes qui se rapprochent. »

Développer des outils pour sonder le vivant

Depuis 2022, Marie Erard coordonne Bioprobe, un objet interdisciplinaire de l’Université Paris-Saclay, dont l’objectif est de créer une communauté scientifique¬ interdisciplinaire. Comprenant une quarantaine d'équipes et 250 personnes, il s’intéresse au développement de méthodologies et d'outils pour sonder le vivant à différentes échelles avec des applications en diagnostic et en imagerie. « Les initiatives recherche et formation de Bioprobe sont maintenant lancées et plébiscitées par la communauté. Nous commençons nos actions sur l’axe innovation en lien avec la SATT Paris-Saclay et IncubAlliance. »

Bioprobe propose un appel à projets de recherche, offre la possibilité de financer des bourses de voyage pour les doctorantes, doctorants, post-doctorantes et post-doctorants, et finance des formations pour les personnels support de la recherche dans les laboratoires. « Nous organisons aussi tous les deux ans une conférence pour rassembler la communauté, en alternance avec une école d'été à destination des doctorantes et doctorants. La première édition, qui a eu lieu en juillet 2023, avec des cours, des travaux pratiques et des ateliers interdisciplinaires, a été un vrai succès. Je crois beaucoup à la nécessité d’apprentissage de l'interdisciplinarité. » Dans la même idée, et afin de préparer en amont les étudiantes et étudiants à une thèse interdisciplinaire, l’équipe de Bioprobe a mis en place un programme spécifique entre le master 1 et le master 2. « L'idée est de former par la recherche la communauté étudiante à une autre discipline que sa "majeure", que ce soit la physique, la biologie ou la chimie », décrit l’enseignante-chercheuse, qui s’inspire de pratiques pédagogiques expérimentées par ailleurs.

Au service du collectif

Marie Erard apprécie particulièrement encadrer ses doctorantes et doctorants. « J’aime ce rôle de mentor car pour moi, c’est là que l'interaction scientifique est la plus dense. En devenant elles-mêmes et eux-mêmes des expertes et experts, les doctorantes et doctorants nous apprennent des choses à leur tour. » En tant que directrice-adjointe de l’Institut de chimie-physique, elle coordonne chaque année divers projets du laboratoire : « Ce travail concret me plaît car son impact sur l’organisation et les conditions de travail des personnes est directement mesurable à une échelle de temps raisonnable. » Cette implication fait écho à son goût pour le travail en équipe et en interaction avec des collègues de tous horizons. « Une de mes plus grandes satisfactions ! », conclut Marie Erard.