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Marina Kvaskoff : la recherche au service de la santé des femmes

Portrait de chercheur ou chercheuse Article publié le 28 mars 2024 , mis à jour le 05 avril 2024

Marina Kvaskoff est membre de l'équipe Exposome et hérédité au Centre de recherche en épidémiologie et santé des populations (CESP – Univ. Paris-Saclay, Inserm, UVSQ). Depuis près de vingt ans, cette épidémiologiste a mis l’endométriose au centre de ses recherches, menant un combat sans relâche pour les financer et les faire connaître, contribuant ainsi à projeter cette maladie au cœur des priorités de santé publique en France.

L’endométriose ? Une maladie touchant principalement les femmes, qui se caractérise par la présence de tissus semblables à l’endomètre en dehors de la cavité utérine, responsables de réactions inflammatoires et de la formation de lésions à l’origine de douleurs parfois invalidantes. Elle touche 200 millions de femmes en âge de procréer dans le monde – soit une femme sur dix -, dont deux millions en France. Bien que ses symptômes soient connus depuis l’Antiquité, cette maladie gynécologique chronique, responsable d’effets handicapants et représentant une grande cause d’infertilité féminine, est longtemps restée ignorée du monde médical, de celui de la recherche, de la société et des femmes elles-mêmes…

« Les récits des femmes atteintes d’endométriose suggèrent qu’elles ont souffert d’un grand manque d’écoute de leurs plaintes et d’errance diagnostique, les laissant désemparées face à leur pathologie, dont les symptômes ont souvent été associés à des maladies mentales au cours de l’Histoire », explique Marina Kvaskoff, qui prend conscience de l’étendue du phénomène lors de sa rencontre avec l’association de patientes Endomind, en 2016. « Cela a été un moment décisif pour moi. Lorsque ces patientes ont appris que je faisais de la recherche sur l’endométriose, elles m’ont contactée, en quête de données et de connaissances. J’ai alors senti le besoin de mettre ma liberté de chercheuse au service de ce problème de société », affirme Marina Kvaskoff, qui avoue y consacrer depuis « une énergie considérable ».


Du mélanome à l’endométriose

Marina Kvaskoff découvre l’endométriose un peu par hasard, pendant ses travaux de thèse qu’elle effectue en cotutelle entre l’Université du Queensland en Australie et l’Université Paris-Saclay, après son master 2 en santé publique. Elle découvre des données sur cette maladie gynécologique non-maligne hormono-dépendante alors qu’elle étude les liens entre exposition hormonale et risque de mélanome cutané. « J’ai été étonnée de constater que nous avions très peu de connaissances épidémiologiques alors que les impacts dans la vie des femmes sont si importants », se souvient-elle. 

Après plusieurs séjours entre les deux pays, elle soutient sa thèse en 2009 puis rejoint l’Université d’Harvard, à Boston, où elle travaille quelques années aux côtés de Stacey Missmer, pionnière de l’épidémiologie de l’endométriose et qui devient sa mentore et aujourd’hui présidente de la société savante World Endometriosis Society. Pour monter son projet de recherche, Marina Kvaskoff obtient un premier financement de la Fondation Bettencourt Schueller (prix jeunes chercheurs), puis une bourse de la Fondation ARC, vite complétée d’une bourse Marie Curie. Revenue en France en 2014, elle travaille au sein de l’équipe Exposome et hérédité du CESP en tant que chercheuse contractuelle, avant d’obtenir deux ans plus tard le concours de l’Inserm, puis son habilitation à diriger les recherches en 2017.


Parce qu’elles ne tuent pas

Aujourd’hui, Marina Kvaskoff s’intéresse plus généralement à la santé gynécologique. Elle est en train de monter un projet pour créer sa propre équipe de recherche au sein du CESP. « En plus de l’endométriose, nous souhaitons étudier les fibromes utérins et le syndrome des ovaires polykystiques (SOPK), des maladies également peu étudiées. Parce qu’elles touchent les menstruations (et qu’elles ne tuent pas), ces pathologies taboues attirent peu les financements. Or le fibrome touche une femme sur quatre ! » plaide l’épidémiologiste. Son groupe, actuellement constitué de douze personnes, va bientôt s’étoffer. « Nous avons besoin de chercheuses et de chercheurs de différentes spécialités épidémiologiques, y compris en sciences humaines et sociales. »

Disposer de différentes cohortes constitue donc un outil précieux pour les épidémiologistes. « Nous travaillons principalement sur des cohortes en population, comme la cohorte E3N-Générations, et sur ComPaRe-Endométriose, une cohorte de patientes que j'ai mise en place en 2018. L’objectif est d’identifier les facteurs de risque de cette maladie, son hétérogénéité, sa progression et ses impacts sur la santé des femmes à long terme, à partir des données récoltées auprès d’elles. » Un axe majeur du groupe est de documenter les facteurs de progression de l’endométriose au regard de l’environnement des patientes : traitements, exposition potentielle à des polluants chimiques, comme les dioxines, polychlorobiphényles (PCB), pesticides organochlorés ou composés perfluorés. « On ne connait pas non plus l'impact de la pollution de l'air, des expositions domestiques, sans oublier les facteurs génétiques, ajoute Marina Kvaskoff. Les expositions survenant dans la période pré-pubertaire jouent potentiellement un rôle important. »


Une visibilité très récente

Bien sûr, ces recherches contribuent à donner un coup de projecteur sur la santé des femmes, devenue très récemment une question sociétale voire politique. « En sortant enfin de l’ombre, l'endométriose entraine avec elle toutes les autres pathologies féminines qui restent à étudier. » La chercheuse pointe un premier moment-clé qui a lieu en 2014, aux États-Unis, lors de la première Endomarch organisée à l’occasion de la Journée mondiale de lutte contre l'endométriose et qui depuis se déroule tous les ans en mars. À ce moment-là, plusieurs célébrités concernées par la maladie font également leur coming out, relayé plus tard en France et en Europe grâce aux réseaux sociaux et à des associations de patientes. « Ces associations ont vraiment fait un énorme travail de sensibilisation et initié le dialogue avec les politiques. »

Le résultat : des pays européens suivent bientôt l’Australie, première nation à avoir adopté un plan de stratégie nationale contre l’endométriose. En France, deuxième pays à se doter d’une telle stratégie, le gouvernement est à la base du lancement récent du programme et équipement prioritaire de recherche (PEPR) Santé des femmes, santé des couples, piloté par l’Inserm. « Je co-coordonne l’axe endométriose de ce PEPR et un programme de recherche ciblé sur l’épidémiologie de la maladie, annonce la chercheuse. Ce programme s’étale sur cinq ans. L’objectif est de caractériser plus finement l'endométriose (prévalence, incidence, facteurs de risque environnementaux et génétiques) à différentes époques de la vie des Françaises. Depuis 2021, une fondation dédiée à la recherche sur l’endométriose distribue des fonds pour étudier la maladie. »


Un investissement multirécompensé

Parmi les nombreuses distinctions que Marina Kvaskoff obtient dans sa carrière, le prix Inserm sciences et sociétés-OPECST reçu en 2023 y occupe une place particulière. Ce prix récompense un chercheur ou une chercheuse et son équipe pour leur capacité à être en dialogue avec les attentes de la société. « Je l’ai reçu comme un encouragement à continuer à développer les recherches sur ces pathologies », confie la chercheuse, qui rêve aujourd’hui « de développer la recherche épidémiologique sur la santé gynécologique. Le tout, au service des femmes en France et dans le monde entier ».

 

Marina Kvaskoff