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Nabila Aghanim : ce que révèle la mesure du cosmos

Portrait de chercheur ou chercheuse Article publié le 13 avril 2023 , mis à jour le 12 mai 2023

Nabila Aghanim est astrophysicienne et cosmologiste à l’Institut d’astrophysique spatial (IAS - Université Paris-Saclay, CNRS). Dans un dialogue permanent entre théorie, modélisation et instrumentation, sa mission est de prédire les modèles du cosmos à étudier, puis d’analyser les données provenant des télescopes spatiaux des grands programmes internationaux. La finalité ? Traquer toute trace de signaux dans le fond diffus cosmologique pour en apprendre davantage sur la nature de l’Univers et la formation des premiers amas de galaxies.

Dès sa thèse, qu’elle réalise au sein de l’IAS sous la direction de Jean-Loup Puget et soutient en 1996, Nabila Aghanim travaille sur le projet de télescope spatial Planck de l’Agence spatiale européenne (ESA). Le télescope doit mesurer avec une grand précision d’infimes variations de température du fond diffus cosmologique, le rayonnement fossile issu du Big Bang il y a 13,7 milliards d’années. La mission est finalement sélectionnée par l’ESA en 1996 et le télescope lancé en 2009. « Mes recherches avaient pour objectif d’étudier les effets secondaires du fond diffus cosmologique, à savoir tout ce qui a un impact sur le signal du rayonnement fossile à partir du moment où il est émis. J’ai d’abord travaillé sur les prédictions scientifiques de la mesure de ce qu’on appelle l’effet SZ (Sunyaev Zel'dovich), c’est-à-dire la trace du gaz chaud dans les amas qui altère le fond diffus cosmologique. » L’étude de ce dernier renseigne les scientifiques sur l’histoire des amas de galaxies et des premières étoiles.

 

L’étude du fond diffus cosmologique

Le travail de Nabila Aghanim consiste à prédire les modèles physiques les plus intéressants à mesurer parmi tous les scénarios théoriques possibles. Elle est plus particulièrement chargée de démontrer, à chaque étape de la mission, que celle-ci est réalisable avec le concept d’instrument proposé. « Lorsqu’on est en possession des données, il faut les traduire en quelque chose qui puisse être confronté à des théories. En leur absence, il faut faire le lien entre l’instrumentation et le besoin scientifique. » De 2009 à 2016, l’astrophysicienne est responsable d’un des programmes scientifiques de Planck dont elle coordonne les équipes internationales tout en analysant les premières mesures du satellite.

 

Une recherche étalée dans le temps

Le temps de l’astronomie s’étale sur une échelle de temps infiniment longue. « Certains domaines du spatial tolèrent de lancer un satellite tous les deux ans, pour étudier Mars par exemple. Une expérience comme celle de Planck a lieu en moyenne tous les quinze ans ! », souligne Nabila Aghanim, qui se sent très privilégiée d’avoir participé à chacune des phases d’évolution de ce projet, « pierre angulaire de la cosmologie internationale ». « La contribution à l’ensemble du projet et à ses réussites collectives procure une satisfaction indescriptible », s’enthousiasme la chercheuse.

 

Trouver la matière cachée de l’Univers

En 2017, en plus d’être lauréate de la médaille d’argent du CNRS, Nabila Aghanim obtient une bourse Advanced du Conseil européen de la recherche (ERC) pour son projet ByoPIC (the Baryon Picture of the Cosmos). « Le modèle cosmologique tel qu’on le comprend aujourd’hui est constitué d’environ 68 % d’énergie noire (ce qui fait l’accélération de l’expansion de l’Univers), 25 % de matière noire (dont on ne connaît pas la nature) et moins de 5 % de particules ordinaires, parmi lesquelles la moitié n’est pas détectée. La description de l’Univers repose donc sur des éléments qu’on ne connaît pas. » L’objectif de ByoPIC est de combiner les données de Planck avec d’autres informations existantes pour tenter de trouver la matière ordinaire manquante.

Les galaxies se distribuant dans l’Univers sous la forme d’un réseau complexe de nœuds connectés entre eux par des filaments qui forment la toile cosmique, l’équipe de Nabila Aghanim cherche les émissions de gaz dans ces filaments. Elle trouve effectivement le signal associé à ces particules (des baryons) manquantes sur le fond diffus cosmologique via l’effet SZ. « Nous l’avons détecté à la fois dans les données de Planck et dans les rayons X de données vieilles de vingt ans, et ainsi prouvé qu’il s’agissait bien d’eux. »

 

Connaître l’histoire de l’Univers

En construction depuis 2016 et présenté à la presse en mars 2023, le télescope spatial Euclid de l’ESA sera lancé en juillet 2023 afin de cartographier la géométrie de l'Univers sombre. En parallèle de l’exploitation des données de Planck, Nabila Aghanim collabore à cette mission depuis plusieurs années, avec les équipes techniques et scientifiques de l’IAS. Elle participe à la construction et à l’exploitation scientifique de l’imageur VIS (observant dans le domaine du visible) du télescope.

En attendant que lui parviennent les images d’Euclid, la chercheuse ne reste pas inactive. Elle réfléchit notamment à un concept de mission appliquée à l’observation du rayonnement fossile et dont l’objectif serait cette fois de détecter les variations de son spectre d’émission. « On dit que le fond diffus cosmologique est une émission de type corps noir, c’est-à-dire une émission en parfait équilibre thermique, explique l’astrophysicienne. En réalité, on y détecte de petites variations causées par l’apport d’énergie, comme celle des étoiles dont l’émission de photons distord très légèrement le spectre du fond diffus. Si nous arrivons à le mesurer avec une précision ultime, nous connaitrons l’histoire thermique et énergétique de l’Univers depuis le Big Bang jusqu’à nos jours. »

 

BISOU dans la stratosphère

Nabila Aghanim participe aussi à des projets de recherche aux moyens plus modestes, dont le projet du ballon stratosphérique du CNES « BISOU » (Balloon Interferometer for Spectral Observations of the primordial Universe), pour lequel elle travaille sur l’instrumentation scientifique, en collaboration avec son collègue Bruno Maffei. « L’aspect instrumental permet de comprendre les limites des observations, constate la chercheuse. L’interprétation des données sera d’autant plus détaillée que l’on accède avec finesse à la manière dont l’instrument les mesure. »

 

De l’Algérie au cosmos

Le parcours de Nabila Aghanim commence en Algérie, son pays natal. Écolière, elle est éblouie par la lecture d’un livre expliquant la formation du système Terre-Lune. Dès l’âge de neuf ans, sa décision est prise : elle étudiera l’Univers ! Après un baccalauréat scientifique et un master 1 en physique, elle se rend en France, à Paris, pour passer un master 2 Astrophysique et instrumentation spatiale. Après sa thèse, elle est attachée temporaire d'enseignement et de recherche (ATER) à l'Université Paris-Sud (aujourd’hui Université Paris-Saclay) pendant un an, avant de partir, en 1997, à l’Université de Californie à Berkeley pour un court post-doctorat. Elle poursuit son post-doctorat au CNES, entre l’Institut d’astrophysique de Paris et l’IAS où elle est recrutée en tant que chargée de recherche en 1999. Elle devient directrice de recherche CNRS en 2010. Elle occupe ensuite les postes de directrice-adjointe de l’IAS, puis directrice de l’Observatoire des sciences de l’Univers Paris-Sud (aujourd’hui Observatoire des sciences de l’Univers Paris-Saclay) de 2017 à 2021.

Aujourd’hui, Nabila Aghanim participe à de nombreuses instances scientifiques : elle siège dans un des comités scientifiques du CNES et au Conseil de l’European Astronomical Society. En 2022, elle reçoit le grand prix Huy Duong Bui de l’Académie des sciences, « une reconnaissance pour les travaux entrepris avec mes collaborateurs et collaboratrices ».

La chercheuse conseille volontiers à la nouvelle génération de ne pas avoir peur de foncer en dépit des barrières, son propre parcours n’ayant pas toujours été aisé. Elle a été notamment affectée par les recommandations du précédent gouvernement d’augmenter très fortement les frais d’inscription pour les étudiantes et étudiants étrangers. « Je salue le choix qui a été fait par l’Université Paris-Saclay de ne pas avoir suivi ces décisions, ce qui autorise ces étudiants à conserver l’espoir d’y poursuivre leurs études et offre à tous et toutes de belles opportunités de réussir », conclut-elle.

 

Nabila Aghanim (c)Sébastien Ruat/CNRS Photothèque