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NectarGland : la danse génétique des fleurs au service des pollinisateurs

Recherche Article publié le 28 septembre 2023 , mis à jour le 28 septembre 2023

Porté par une équipe de l’Institut des sciences des plantes Paris-Saclay (IPS2 – Univ. Paris-Saclay, INRAE, CNRS, Univ. Paris Cité, Univ. d’Évry), le projet NectarGland se consacre à l’étude des gènes et mécanismes impliqués dans la production de nectar dans les fleurs. Son objectif est de développer des plantes qui offrent des récompenses nutritives adaptées aux besoins spécifiques des pollinisateurs. 

L’été touche bientôt à sa fin mais les fleurs s’épanouissent encore, profitant des derniers rayons de soleil pour embaumer l’air. Avec elles, c’est tout un ballet d’abeilles et de papillons, attirés par le nectar sécrété par les plantes, qui s’offre aux yeux des observateurs aguerris. Le nectar, produit par des glandes spécifiques de la plante, constitue une précieuse source de nourriture pour les insectes. Composé de glucides tels que le glucose, le fructose, le saccharose, il leur offre l’énergie nécessaire à leur survie. Il est aussi le subterfuge élaboré par les végétaux pour garantir leur reproduction grâce à la pollinisation en attirant davantage les insectes butineurs. 

Pour autant, si le scénario est bien connu, les gènes responsables de la production de nectar chez les plantes le sont moins. Impulsé par Abdelhafid Bendahmane, généticien spécialisé dans l'amélioration des plantes à l’Institut des sciences des plantes Paris-Saclay (IPS2 – Univ. Paris-Saclay, INRAE, CNRS, Univ. Paris Cité, Univ. d’Évry), le projet NectarGland cherche à comprendre les mécanismes génétiques à l’origine de l’attraction des insectes pollinisateurs pour le nectar des plantes et du phénomène de récompense. Soutenu par une bourse ERC Advanced Grant 2022, le projet a pour ambition de développer des plantes offrant des récompenses nutritives adaptées aux besoins spécifiques des insectes. Il s’agit essentiellement de promouvoir une approche durable de l'amélioration génétique des cultures et de favoriser une coexistence harmonieuse entre l'agriculture et la biodiversité des pollinisateurs. 

 

Les formes florales et l’agriculture

En matière d’agriculture, la forme des fruits et légumes produits revêt une importance capitale. En effet, les sélectionneurs privilégient des formes correspondant aux préférences des consommateurs ou aux besoins agronomiques. « Au supermarché, on voit des concombres qui sont droits, alors qu’auparavant les concombres avaient des formes de croissants et étaient rarement droits. Cela répond à des demandes marketing mais également utilitaires, car il est par exemple plus facile de ranger des concombres droits dans des boîtes », illustre Abdelhafid Bendhamane.

Or les fruits et légumes, dont les concombres font partie, sont le résultat de la reproduction sexuée des végétaux, et les insectes y jouent un rôle essentiel. Lorsqu’une abeille, par exemple, butine une fleur, les grains de pollen, issus des organes mâles de la fleur (étamines) et comportant les cellules reproductrices mâles, se déposent sur ses pattes. Ils sont ensuite transportés par l’insecte jusqu’à une autre fleur où ils vont se déposer sur le pistil, l’organe femelle de la fleur, puis féconder les cellules reproductrices femelles contenues. De cette fécondation va en sortir un fruit qui abrite les graines.  « La pollinisation par les insectes est essentielle pour que la fleur se transforme en fruit. Les graines qui se développent au sein des fruits peuvent être considérées comme les futurs bébés de la plante », explique Abdelhafid Bendhamane. La forme des fruits est aussi intimement liée à la forme des fleurs.

Cependant, toute altération dans la forme des fleurs peut potentiellement influer sur la pollinisation et compromettre la reproduction des plantes. Si les insectes pollinisateurs rencontrent par exemple des difficultés pour accéder au nectar de la fleur, leur visite sera compromise et la fécondation tout autant. En effet, le pollen, en tant que vecteur des cellules reproductrices mâles, joue un rôle crucial dans le processus de reproduction, tandis que le nectar constitue une récompense sucrée offerte aux pollinisateurs pour les encourager à transporter le pollen d’une fleur à une autre. En outre, les pollinisateurs ont souvent des morphologies spécifiquement adaptées aux formes des fleurs, ce qui signifie que d’éventuelles modifications de ces dernières excluraient et pénaliseraient certaines espèces de pollinisateurs. 

 

De la détermination du sexe des fleurs à l’hybridation innovante

Dans le cadre d’un précédent projet, SexyParth, Abdelhafid Bendahmane et son équipe ont travaillé sur la génétique des fleurs et se sont concentrés sur la détermination de leur sexe. Alors que les fleurs sont le plus souvent hermaphrodites (elles possèdent à la fois des organes mâles et femelles), les scientifiques de l’IPS2 ont cherché à produire des fleurs mâles et femelles distinctes. Ils ont alors constaté des problèmes de reproduction liés aux abeilles. En cause : plusieurs facteurs, qui affectent le rôle crucial des abeilles en tant que pollinisatrices. La perte d’habitat, l’utilisation de pesticides, les maladies et parasites, les changements climatiques et la concurrence avec des espèces invasives contribuent au déclin de leurs populations, compromettant par-là la pollinisation des plantes.

C’est d’ailleurs le cas des cucurbitacées, dont le melon fait partie, qui dépendent des pollinisateurs pour une reproduction efficace. Le développement de fruits et légumes y est compromis en l’absence de transport du pollen des fleurs mâles vers les fleurs femelles par les abeilles. La pollinisation échoue et aucun fruit ni légume ne se développe, mettant en péril la diversité alimentaire humaine et les pratiques et cultures associées. Un nouveau projet porté par Abdelhafid Bendahmane et son équipe, HybridSeed, soutenu par une bourse ERC Proof of concept, a aujourd’hui pour objectif de mettre en pratique les connaissances fondamentales acquises sur le sexe des fleurs, en créant des prototypes de plantes. HybridSeed et NectarGland seront lancés en parallèle à partir de janvier 2024, avec des durées respectives de dix-huit mois et de cinq à six ans. 

 

Vers une approche plus durable dans l’amélioration génétique 

Malgré son rôle crucial dans l’attraction des pollinisateurs, le nectar peut également véhiculer des maladies, que ce soit par contact avec des pollinisateurs infectés ou par la présence d’agents pathogènes tels que des bactéries, des champignons ou des virus. Pour les plantes, il s’agit d’assurer leur reproduction tout en évitant de contaminer leurs pollinisateurs. « Pendant le processus de domestication des plantes par l’être humain, certains caractères ont été perdus, notamment dans le nectar, qui contient des métabolites essentiels à la santé des abeilles. Alors que nous avons amélioré les fruits pour les rendre plus nutritifs pour les êtres humains, il faut se demander si le reste de la fleur reste nutritif pour les pollinisateurs », souligne Abdelhafid Bendahmane.

Mobilisant des expertes et experts en génétique, biologie moléculaire, intelligence artificielle ou microscopie, NectarGland doit se concentrer sur le développement des glandes de la plante et la production de nectar au niveau cellulaire. L’objectif ultime est d'améliorer les plantes pour répondre aux besoins spécifiques des abeilles et des autres pollinisateurs, en réintroduisant les éventuelles caractéristiques perdues.

En mettant une boîte à outils à disposition des sélectionneurs, le projet cherche à intégrer harmonieusement les plantes dans les systèmes agroécologiques, tout en tenant compte de leur impact sur la biodiversité des pollinisateurs. Les retombées économiques et sociales attendues sont positives : il s’agit à la fois de créer des entreprises et de former de jeunes chercheurs et chercheuses spécialisées dans ce domaine d'étude crucial pour la préservation des pollinisateurs.

 

Références :