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Néolithe fossilise nos déchets

Innovation Article publié le 20 juillet 2023 , mis à jour le 20 juillet 2023

Les innovations en matière de recyclage ne manquent pas, dans un contexte de réduction des déchets. La start-up industrielle Néolithe n’est pas en reste : elle propose de fossiliser les déchets non-recyclables et de les transformer en granulats.

L’histoire commence par une discussion entre un père et son fils. « Mon père est un ancien tailleur de pierre, spécialisé dans le calcaire blanc utilisé pour les châteaux de la Loire. Un jour, il s’est dit que ce matériau était issu de la sédimentation des déchets du Crétacé. Il s’est alors demandé si on pouvait transposer ce processus de fossilisation à nos propres déchets. Il m’a suggéré de travailler dessus et c’est ainsi que notre start-up est née », se rappelle Nicolas Cruaud, le cofondateur de Néolithe. C’est un trio composé de William Cruaud, son fils Nicolas Cruaud, formé à l’École polytechnique, et Clément Bénassy, diplômé d’AgroParisTech, qui démarre l’aventure en janvier 2019. 

 

Un procédé qui transforme nos poubelles en matériau de construction

À travers ce projet, l’objectif des trois fondateurs est d’empêcher l’incinération et l’enfouissement de nos déchets ultimes, des procédés qui sont particulièrement désastreux au niveau écologique (émissions de gaz à effet de serre ou GES). Pour cela, Néolithe implante des « fossilisateurs » dans les centres de tri qui récupèrent les déchets non recyclables en mélange tels que le plâtre, les plastiques, le bois, les isolants, etc, et qui sont appelés « refus de tri ». Comme l’explique Nicolas Cruaud : « Après le tri, les trois quarts des poubelles entrent dans nos procédures. Ces déchets mixtes sont broyés très finement, sous l’échelle de 500 microns (µm). Il en résulte un “broyat de déchets” que l’on fait réagir avec notre liant. Il provoque un effet de minéralisation et on obtient ainsi une pâte minérale qui est ensuite pressée très fort, sans chauffage. » Sont recueillis en fin de chaîne des granulats de la forme et de la densité souhaitées, et substituables aux granulats naturels utilisés dans la construction, dans le béton en particulier. Le matériau est baptisé « anthropocite » par la start-up. 

Le procédé est principalement mécanique - il ne requiert aucune chauffe et n’émet aucun rejet (odeur, fumée, eaux usées…) -, à l'exception de la fabrication du liant, véritable clé de voûte de cette fossilisation accélérée. « Notre liant est soumis au secret industriel. Je peux vous dire que nous utilisons des bases minérales peu chauffées et des coproduits industriels pour le produire. Nous achetons les différents éléments que nous formulons sur place », ajoute le cofondateur. 

 

Séquestrer le CO2

D’après le site du Gouvernement, « le secteur du bâtiment [...] génère 23 % des émissions de GES françaises ». Pour limiter ces émissions, l’État légifère et contraint les constructeurs à décarboner leur activité, et donc, leurs matériaux. Une aubaine pour Néolithe. « Non seulement notre procédé permet de réduire l’enfouissement et l’incinération de nos poubelles, mais en plus, la fossilisation accélérée des déchets séquestre du CO2. Pour une tonne de granulats produite, 337 kg d’équivalent CO2 est stocké. Par conséquent, nos granulats ont une empreinte carbone négative; et dans ces conditions, plus on en met dans le béton, plus on le décarbone. C’est très intéressant pour les professionnels du bâtiment, surtout dans le contexte actuel », se félicite Nicolas Cruaud. Autre avantage, les granulats produits par la start-up peuvent être réutilisés lorsque le béton arrive en fin de vie. Broyés à nouveau, ils sont réintégrés dans différents matériaux. 

Mais en fossilisant nos multiples déchets, existe-t-il un risque de pollution si l’eau ruisselle sur le matériau ? « Nous avons des seuils à respecter. Nous réalisons des tests de lixiviation pour simuler l’érosion. De l’eau est versée sur notre anthropocite pour analyser le relargage de toxiques. Nous avons beaucoup travaillé dessus et nos études ont montré que notre matériau est sûr, qu’il n’y pas de polluants spécifiques », développe Nicolas Cruaud. 

 

Plusieurs usines en 2023

Les 180 employés de l’entreprise, prochainement implantée à Beaulieu-sur-Layon (Maine-et-Loire), ont un programme chargé pour l’année 2023. Néolithe commence en effet à déployer ses fossilisateurs, qui représentent une surface au sol d’environ 500 m², chez ses clients. « Nous possédons un site industriel en deux parties. La première est dédiée à l’assemblage de nos machines, capables de traiter les déchets. Elles sont louées aux clients qui les alimentent avec leurs déchets. Nous revendons ensuite les granulats », explique le cofondateur. Pour le bénéficiaire, l’avantage est double : il paie moins cher la location des machines, qui fossilisent 10 000 tonnes de déchets par an, que l'enfouissement, tout en réduisant son impact environnemental. « La seconde partie nous permet de produire nos liants, poursuit Nicolas Cruaud. L'installation est encore en construction mais sera opérationnelle cet été. »

Cette année, trois entreprises clientes bénéficieront des services de Néolithe. La première est un carrier, baptisé Courant, qui fait en outre centre de tri dans la région d’Angers. « D’ici début 2024, nos fossilisateurs entreront en fonctionnement. Lorsque nous aurons la capacité de traiter tous les déchets français émis chaque année, nous pourrons diminuer l’empreinte carbone du pays de 7 % et ainsi devenir, comme l’hydrogène actuellement, un levier majeur de la décarbonation », espère Nicolas Cruaud. 

À l’horizon 2026, Néolithe vise une capacité de traitement de 2,5 millions de tonnes de déchets, ce qui représente une économie de 1 million de tonnes de CO2 par an. La start-up envisage également de se développer à l’international dans un second temps. Des démarches sont déjà entamées pour installer des fossilisateurs en dehors de l’Hexagone, comme en Angleterre, dans les pays nordiques, la Suisse ou encore le Japon. 

 

De nombreuses levées de fonds

Avant même que d’être créée, Néolithe fait état de multiples soutiens. « Lorsque Clément Benassy et moi-même étions encore étudiants, nous avions gagné un concours organisé par l’Université Paris-Saclay. Nous avions étudié de nombreux projets ensemble, car l'Université construit beaucoup de bâtiments et a, par conséquent, besoin de beaucoup de matériaux, tout en produisant des déchets. Nous souhaitions d’ailleurs qu’elle accueille l’un de nos pilotes, mais finalement l’espace disponible était trop petit », explique le dirigeant. À ses débuts, Néolithe est hébergée par l’incubateur X Up de l’École polytechnique. Un an après sa création, la start-up lance sa première levée de fonds et recueille 500 000 euros. Elle bénéficie également du soutien de l’Ademe à hauteur de 375 000 €. Les levées de fonds se poursuivent ainsi, à raison d’une par an. En 2021, Néolithe lève 2,5 millions d’euros et en 2022, 22 millions €. Ce presque quart de milliard sert notamment à la construction du site de Beaulieu-sur-Layon et au recrutement de près de 120 nouveaux employés. Pour Nicolas Cruaud, « nous ferons des levées de fonds jusqu'en 2025 ou en 2026, le temps que nous soyons rentables. Le déploiement de nos sites clients en 2024 nous permettra de progressivement dégager un chiffre d'affaires ».