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Odile Stephan : Explorer le nanomonde

Portrait de chercheur ou chercheuse Article publié le 12 mai 2021 , mis à jour le 20 septembre 2022

Odile Stephan est enseignante-chercheuse au Laboratoire de physique des solides (LPS - Université Paris-Saclay, CNRS) et directrice de la Graduate School de Physique de l’Université Paris-Saclay. Elle dirige l’équipe de microscopie électronique du LPS (STEM) depuis 2009 et coordonne TEMPOS (Transmission Electron Microscopy at Palaiseau Orsay), un des rares Equipex en France dédié à la microscopie électronique. Depuis plus de vingt ans, elle a débuté une aventure extraordinaire au pays du nanomonde, contribuant à concevoir avec son équipe un instrument et une technologie innovante uniques au monde qui permettent aux chercheurs d’explorer la matière comme jamais auparavant. 

À la fois sportive de compétition et pianiste accomplie, Odile Stephan entreprend des études de sciences à la Faculté des sciences d’Orsay : elle y suit une licence et un master de Physique. Pendant sa thèse au sein du LPS (soutenue en 1996), elle a le coup de foudre pour la microscopie électronique en étudiant les nanotubes de carbone. « J’expérimentais la mesure en microscopie électronique sur un objet modèle, tout en explorant ses propriétés physiques. » Elle part ensuite un an en post-doc dans un laboratoire de recherche à Tsukuba au Japon. C’est pour la chercheuse une expérience extraordinaire, « quasi mystique », dont elle conserve à jamais des souvenirs et des amis dans le monde entier. 

 

100 % saclaysienne

Elle rentre en 1997 en France pour réintégrer le LPS et devenir maîtresse de conférences à la Faculté des sciences d’Orsay. « J’ai toujours aimé le contact avec les étudiants. Nous accueillons au sein du master 1 Physique et applications, dont je suis co-responsable, des publics de pays et de classe sociale très différents, mais extrêmement motivés, constate Odile Stephan. Les faire réussir, en adaptant nos modalités pédagogiques, donne du sens à mon métier et me procure beaucoup de plaisir. » En 2012, la chercheuse est récompensée du Prix Louis Ancel de la Société française de physique (SFP). De 2007 à 2012, elle est membre Junior de l’Institut universitaire de France, ce qui lui accorde du temps pour monter le projet d’Equipex TEMPOS.

CHROMATEM

Au-delà du rêve

« Quelle chance inouïe ! » s’exclame Odile Stephan, lorsqu’elle se souvient du jour où elle apprend que le projet TEMPOS qu’elle coordonne est lauréat de l’appel à projet des premiers Investissements d’avenir, il y a onze ans. « Il n’y a eu que deux appels à projets de ce type en France, précise l’enseignante-chercheuse. Cela représente plusieurs millions d’euros sur une décennie, donc beaucoup de liberté. Pour moi, c’est la bonne échelle de temps pour faire de la recherche fondamentale en microscopie électronique. » Le budget permet non seulement de financer l’élaboration de trois microscopes (NANOMAX, NANOTEM et CHROMATEM) mais également de payer leur coût de fonctionnement. « Nous pouvons ainsi octroyer gratuitement des temps de faisceau à toutes les équipes qui viennent faire leurs manipulations. »

Au départ, les chercheurs se mettent autour d’une table pour imaginer le microscope de leurs rêves. Ils ont dix ans pour le faire réaliser, l’installer et obtenir des résultats complètement inaccessibles auparavant. CHROMATEM a la particularité de faire de la spectroscopie qui combine des faisceaux d’électrons et de photons. « Nous avons ainsi obtenu des capacités de résolution bien meilleures que celles dont nous disposions jusqu’alors, au-delà même des critères que nous avions fixés au début, dans nos rêves les plus fous », confie la chercheuse

Explorer le nanomonde

Odile Stephan et son équipe cherchent à comprendre comment la lumière interagit avec un objet nanométrique. Livré cinq ans après sa commande par le constructeur américain, en janvier 2018, (le projet a été prolongé jusqu’à fin 2022), CHROMATEM ne tarde pas à dévoiler des résultats extraordinaires. L’instrument, combinant un monochromateur de nouvelle génération avec un spectromètre, est unique au monde. « En modifiant les dimensions d’un nano-objet à l’aide de faisceaux d’électrons ou de photons, nous testons ses propriétés optiques ; en envoyant uniquement des électrons, nous pouvons aussi explorer sa structure et sa composition. »

 

Des perspectives d’applications multiples

Un premier article vient de paraître dans Science qui décrit le comportement optique dans l’infrarouge d’un nano-cube en trois dimensions, images magnifiques à l’appui. Il récompense dix ans de labeur. Développée au LPS, la technique qui consiste à détecter ou injecter de la lumière en plus du faisceau d’électrons, ouvre de nouvelles possibilités pour sonder les comportements de la lumière à des échelles nanométriques. « Non seulement le microscope est unique au monde, mais nous lui avons ajouté un accessoire qui l’est aussi et fait l’objet de transferts technologiques : trois brevets sont aujourd’hui exploités par Attolight, un industriel suisse », signale Odile Stephan. 

L’ordre parfait de la matière

Outre CHROMATEM, l’autre prototype du projet TEMPOS est NANOMAX, un microscope innovant qui fait de l’imagerie dynamique. « Lorsqu’on fait croître un nano-objet, par exemple, il est fascinant d’observer en temps réel les atomes s’arranger les uns par rapport aux autres. On peut observer les mécanismes de nucléation et de croissance, atome par atome. »  La parfaite symétrie des atomes saute aux yeux de façon très esthétique. « L’ordre parfait de la matière se révèle, confirme Odile Stephan. Et en accédant ainsi à l’observation des mécanismes de croissance cristalline, les équipes de NANOMAX (issues du Centre de nanosciences et de nanotechnologies – C2N, du Laboratoire de physique des interfaces et des couches minces - LPCIM, et de l’École polytechnique) ont eu la satisfaction de voir se vérifier certaines de leurs hypothèses théoriques, mais également d’en remettre d’autres partiellement en cause. » 

Mais les microscopistes n’aiment pas tant l’ordre parfait. « Nous cherchons au contraire à y introduire des défauts pour observer le comportement de la matière. En remplaçant une infime petite quantité d’atomes par d’autres types d’atomes, les propriétés vont radicalement changer et modifier l’intégralité de la réponse. » À terme, la chercheuse et son équipe souhaitent coupler les expériences des deux prototypes.

Élargir le champ des possibles 

Odile Stephan vient d’être nommée à la tête de la Graduate School de Physique de l’Université Paris-Saclay. Cette structure inédite rassemble 3 400 personnes de tous horizons : universités, organismes, grandes écoles, 600 en doctorat et autant en master, dans tous les domaines de la physique que compte l’Université. « En mixant formation et recherche, nous réfléchissons à de nouvelles façons d’enseigner, à mieux coupler nos formations avec le milieu industriel pour anticiper les métiers de demain, à étendre les débouchés pour nos étudiants en valorisant nos diplômes auprès des industriels, s’exalte la chercheuse. Nous avons aussi à cœur de mieux communiquer sur la recherche fondamentale et la nécessité de faire progresser les savoirs, sans oublier de susciter des vocations de recherche chez nos étudiants et étudiantes. » Un véritable défi selon Odile Stephan, dont le moteur a toujours été « de se mettre au service du collectif, par le travail collectif, pour élargir le champ des possibles des générations futures ».

 

Les microscopes sont ouverts à tout l’écosystème de recherche de Paris-Saclay : laboratoires de nanosciences, de physique de la matière condensée, nano-chimie, etc. CHROMATEM fait également partie du réseau national METSA qui coordonne plusieurs centres de microscopie en France : Grenoble, Toulouse, Strasbourg, Lyon, Rouen, Caen, Lyon et Orsay. Deux fois par an, un appel à projets est lancé auprès de la communauté scientifique. Un comité de programme sélectionne les lauréats et leur offre des temps de faisceau.