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Paul Leadley : étudier les impacts du changement global sur la biodiversité

Portrait de chercheur ou chercheuse Article publié le 21 septembre 2023 , mis à jour le 04 octobre 2023

Paul Leadley est professeur d’écologie, enseignant-chercheur au laboratoire Écologie, systématique, évolution (ESE – Université Paris-Saclay, CNRS, AgroParisTech) et coordinateur de l’objet interdisciplinaire C-BASC (Centre d’études interdisciplinaires sur la biodiversité, l’agroécologie, la société et le climat) de l’Université Paris-Saclay. Spécialiste de la modélisation de la biodiversité et de l’utilisation de scénarios pour produire des outils d’aide à la décision, il est l’auteur principal de trois évaluations de l’IPBES (Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques).

C’est aux États-Unis, dont il est originaire, que débute l’histoire de Paul Leadley. Étudiant la biologie et les mathématiques à la Pennsylvania State University, il doit son intérêt naissant pour l’écologie à un ami, alors en stage postdoctoral dans ce domaine. « Nous pratiquions ensemble l’escalade et discutions souvent d’écologie », se souvient Paul Leadley. Son Bachelor’s degree en poche, il commence à s’intéresser à la modélisation du vivant et débute un master sur les effets de l’augmentation de la teneur en CO2 atmosphérique sur le soja. « Au départ, j’étais plutôt orienté vers les écosystèmes agricoles », précise l’enseignant-chercheur. Après quelques années passées à travailler comme ingénieur de recherche, il se lance en 1990 dans une thèse consacrée à la modélisation de l’impact du changement climatique sur la toundra arctique à la San Diego State University. Puis il décide de partir réaliser son post-doctorat à l’Université de Bâle, en Suisse, toujours sur les effets des augmentations de teneur en CO2 atmosphérique sur les écosystèmes prairiaux. « C’est à cette époque que j’ai commencé à m’intéresser à la question de l’impact du changement global sur la biodiversité », explique Paul Leadley. Des recherches à l’issue desquelles il obtient un poste d’enseignant-chercheur en écologie végétale à l’Université Paris-Sud – devenue Université Paris-Saclay – au sein du laboratoire Écologie, systématique, évolution (ESE), qu’il dirige de 2006 à 2014 et auquel il appartient toujours.

 

Biodiversité et fonctionnement des écosystèmes

Au sein du laboratoire ESE, Paul Leadley poursuit ses recherches sur le lien entre biodiversité et fonctionnement des écosystèmes. « C’est une époque où l’on commençait à faire le lien entre les travaux de modélisation, les expériences et les observations sur le terrain autour de ces questions. J’ai donc appliqué cette approche en réalisant des expériences à Montpellier, en Californie et un peu partout dans le monde, au cours desquelles on manipulait le nombre d’espèces de plantes et l’on étudiait l’impact sur le fonctionnement de l’écosystème – le plus souvent des prairies », explique le chercheur. Des travaux qui lui permettent de démontrer ce sur quoi toute la communauté scientifique s’accorde aujourd’hui, à savoir que la diminution du nombre d’espèces de plantes a des effets néfastes sur le fonctionnement des écosystèmes. « Je me suis également beaucoup intéressé aux mécanismes sous-jacents. J’ai notamment étudié, via des travaux d’expérimentation et de modélisation, les impacts du changement climatique et de biodiversité sur le cycle de l’azote, dans le but de mieux comprendre cet effet néfaste de la perte de biodiversité sur le fonctionnement des écosystèmes », ajoute-t-il. 

 

À l’interface science / politique

Si ces travaux permettent à Paul Leadley d’obtenir assez rapidement une reconnaissance internationale, ils le poussent également à s’interroger sur la manière dont ses résultats peuvent être pris en compte politiquement. « Je me demandais par exemple comment un résultat scientifiquement démontré, comme le fait que la perte de biodiversité ait un impact négatif sur le fonctionnement des écosystèmes, pouvait être pris en compte au niveau international dans la prise de décision politique », précise Paul Leadley. Il s’implique donc très tôt dans des programmes internationaux d’organisation de la recherche sur l’environnement. Au début des années 2000, il devient coordinateur du projet bioDISCOVERY de DIVERSITAS (programme international de la science pour la biodiversité) et Future Earth (le nouveau programme international de science intégrée du changement planétaire). 

 

L’IPBES et la CDB : la biodiversité à l’agenda de la politique internationale

Alors qu’au début des années 2010, nombre de ses collègues se déclarent sceptiques quant à la nécessité d’une échelle planétaire de l’expertise sur la biodiversité, Paul Leadley s’implique dans la mise en place de la Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES), finalement lancée en 2012. Il devient alors membre du groupe d’experts multidisciplinaire (GEM, 2013-2018) et auteur principal de trois évaluations de l’IPBES, dont l’évaluation mondiale de la biodiversité et des services écosystémiques de 2019 et le rapport IPBES-GIEC sur les interactions entre la biodiversité et le climat (2021). Il contribue également en tant qu’expert au 5e rapport du GIEC (2014). 

Au cours de cette même période, il travaille également en étroite collaboration avec la Convention sur la diversité biologique (CDB) en coordonnant le rapport sur les scénarios de la biodiversité paru en 2010, puis l’intégralité du rapport technique pour le Global Biodiversity Outlook 4 de 2014 et, plus récemment, en fournissant un appui scientifique aux négociations menant à la COP15 de la CDB. « Avec les années qui passent, je mesure combien il est difficile pour la science d’influer sur la décision politique. Je regrette par exemple que les négociations pour la COP15 n’aient pas permis la mise en place d’une cible chiffrée pour stocker du carbone par les écosystèmes naturels – pourtant documentée scientifiquement. Je me réjouis en revanche que nos travaux aient aidé beaucoup de pays à approuver l’objectif de 50 % de diminution des risques liés aux pesticides », explique Paul Leadley. 

 

C-BASC : vers la mise en œuvre des transitions écologiques

Et ce n’est pas parce qu’il s’implique en tant qu’expert au niveau international que Paul Leadley se détourne de l’échelle locale, bien au contraire. En tant que co-coordinateur du Centre d’étude interdisciplinaire sur la biodiversité, l’agroécologie, la société et le climat (C-BASC) - dont la mission est de contribuer à l’étude, la conception et la mise en œuvre des transition écologique et agroécologique à l'échelle territoriale par la recherche, la formation et l’innovation interdisciplinaire. Le plateau de Saclay et ses environs constituent un territoire faisant l'objet d'une attention particulière dans le cadre du projet C-BASC. « Nous travaillons étroitement avec de nombreux acteurs de terrain – des agriculteurs, des élus locaux, des associations comme Terre et Cité notamment – sur la manière de mettre en œuvre les transitions écologique et agroécologique au niveau local. Nous réfléchissons par exemple à la création d’un Living Lab sur le plateau de Saclay. Il s’agit d’un travail passionnant qui nous permet de constater le lien très fort avec ce qui se décide au niveau international, mais aussi parfois le grand décalage entre les objectifs internationaux et la réalité de la mise en œuvre sur le terrain », indique Paul Leadley. Une occasion de désespérer ? « Non, tant sont aujourd’hui nombreuses les initiatives locales en termes, par exemple, de filière bio ou de circuits courts », répond l’enseignant-chercheur. Et de conclure : « Quant aux freins systémiques liés à la complexité de l’interface entre les enjeux technologiques, industriels et économiques, je crois que nous ne pourrons les surmonter qu’en adoptant une approche à la fois interdisciplinaire et multi-acteurs, une approche que nous essayons de faire vivre au sein de C-BASC ».

 

Paul Leadley