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PEBBLES : Observer les poussières d’étoiles

Recherche Article publié le 13 octobre 2023 , mis à jour le 16 janvier 2024

Le projet PEBBLES (Exploring the pristine conditions for transforming interstellar dust into planetesimals), conduit par Anaëlle Maury du laboratoire Astrophysique, instrumentation et modélisation de Paris-Saclay (AIM - Univ. Paris-Saclay, CNRS, CEA, Univ. Paris Cité), porte un regard inédit vers la poussière interstellaire afin de comprendre la formation des étoiles et de leurs planètes. Pour cela, la chercheuse et son équipe font appel aux meilleurs télescopes internationaux. Leur but est de discerner la taille de minuscules grains de poussière situés à des années-lumière de la Terre, dans les zones où les nouvelles étoiles sont en train d'émerger.

L’expression « vide intersidéral » n’a plus cours, il convient davantage de parler de « milieu interstellaire ». Contrairement à une conception largement répandue, l’espace entre les étoiles n'est pas totalement vide : on y trouve du gaz et près de 1 % de poussières de silicate, de fer et de carbone. La présence de cette « matière » justifie à elle seule de braquer le regard des télescopes vers ces zones sombres, pour mieux les connaître. C’est aussi là que l’on peut apercevoir la formation d’étoiles.

Le magnétisme des jeunes étoiles

La naissance d’une étoile suit un processus bien particulier. Aux endroits les plus froids de la galaxie, qui sont aussi les plus denses, la matière interstellaire prend parfois la forme d’un nuage compact de gaz et de poussières. Sous l’action de la gravité, celui-ci s'effondre sur lui-même et se met à tourner. S’enclenche un processus qui dure plusieurs millions d'années : la matière présente s'échauffe et commence à émettre de la lumière, d'abord dans le domaine de l'infrarouge, puis du visible. Une jeune étoile, appelée protoétoile, naît alors. 

« J'observe et étudie le premier stade de formation d'étoiles de type solaire, nommées ainsi à cause de leurs similitudes avec notre Soleil », annonce Anaëlle Maury, du laboratoire Astrophysique, instrumentation et modélisation de Paris-Saclay (AIM - Univ. Paris-Saclay, CNRS, CEA, Univ. Paris Cité). De 2015 à 2022, avec le projet MagneticYSOs, lauréat d'une bourse Starting du Conseil européen de la recherche (ERC), son équipe se concentre sur le champ magnétique dans lequel baigne les étoiles naissantes. Elle focalise ses efforts sur la localisation des forces magnétiques existant autour de ces protoétoiles. Or, précise la chercheuse, « le champ magnétique est invisible et indétectable avec les instruments spectraux d'observation spatiale ». 

Dès lors, il faut deviner sa présence grâce à l'effet qu'il produit sur son environnement. Sur Terre, par exemple, le champ magnétique terrestre attire l'aiguille d'une boussole vers le Nord. Dans les zones protostellaires, ce sont les grains de poussière qui jouent le rôle de boussole : ceux-ci émettent de la lumière. Mais les grains n’étant pas sphériques, le rayonnement émis n’est pas uniforme. Dans certaines conditions, les grains s'alignent sur le champ magnétique. Ce qui permet à la chercheuse de percevoir le champ magnétique et de le cartographier. « Notre reconstitution du champ magnétique est réaliste, car elle est similaire à celle produite par les modèles numériques de formation d’étoiles produits par mon collaborateur Patrick Hennebelle, avec le code magnétohydrodynamique (MHD) RAMSES », commente Anaëlle Maury.

La sérendipité à l’œuvre

Pourtant, après avoir passé des milliers d’heures à scruter la poussière interstellaire, utilisée comme témoin indirect du champ magnétique, une anomalie attire l’attention des scientifiques de l’AIM. Les observations de polarisation du rayonnement émis par les grains de poussières et leur émissivité suggèrent que les poussières trouvées autour de ces jeunes étoiles encore à leurs premiers balbutiements ne ressemblent pas à celles prédites par la théorie : les grains sont potentiellement beaucoup plus grands que prévus ou de composition différente. Cette découverte inattendue ébranle presque les théories en cours pour décrire la formation des étoiles et des planètes autour d’elles. « Quelques dizaines de milliers d'années après le début de la formation du premier embryon d’étoile, les poussières se seraient peut-être déjà agglomérées pour former des structures proches de la taille d'un grain de sable, alors que l'on pensait leur taille cent fois plus petite », conjecture avec enthousiasme Anaëlle Maury. 

La poussière, qui n'était initialement qu'un élément nécessaire à l'observation du champ magnétique, devient dès lors l'objet principal des recherches de l'équipe. Anaëlle Maury décroche en avril 2023 une bourse Advanced du Conseil européen de la recherche (ERC) pour son projet PEBBLES, qui vise à explorer l’hypothèse précédente en mêlant observations par télescope et modélisations physiques.

Les étoiles envoient des ondes radio

La chercheuse doit d’abord résoudre un problème méthodologique. « Une étoile en formation est un objet froid enfoui dans un cocon de matière. Il est difficile d'observer ce qui se passe à l'intérieur. » À un âge précoce, les protoétoiles sont en effet trop enfouies pour que la lumière qu’elles produisent puisse sortir. Toutefois, un rayonnement de grande longueur d'onde, qui s’étend des infrarouges moyens aux ondes radios, parvient tout de même à traverser le cocon de matière dense les entourant. C’est là que se trouve la solution au problème. « Nous captons ces ondes grâce aux radiotélescopes terrestres, tels que le télescope international ALMA (Atacama Large Millemeter Array), situé dans le désert d'Atacama au Chili, ou son homologue européen NOEMA (NOrthern Extended Millimeter Array), installé sur le plateau de Bure en France. Ils sont constitués de dizaines d'antennes pointant simultanément vers une jeune étoile d'intérêt. Grâce à ces techniques interférométriques, on obtient un signal avec une résolution inégalée : il est possible d’y distinguer un objet d’une longueur égale à la distance Terre-Soleil et situé à plus d'une centaine d'années-lumière de la Terre. Cela équivaut à apercevoir une pièce de 2 euros posée sur la Lune. » Grâce à ces télescopes surpuissants, l’analyse des propriétés des ondes électromagnétiques émises par la centaine de protoétoiles à leur portée fournira, par extrapolation, la taille des poussières se trouvant dans les jeunes étoiles.

Quelle est la nature de la poussière d'étoile ?

Cette analyse sera également complétée par des observations dans le domaine de l'infrarouge au moyen du télescope spatial James Webb. « Grâce à ce télescope, situé en dehors de l'atmosphère terrestre opaque aux infrarouges, nous allons étudier l'absorption puis la ré-émission de la lumière par les poussières les plus chaudes situées au centre de la protoétoile, ce qui donnera des informations sur leur composition chimique et leur taille », annonce la chercheuse. Quant aux modèles physiques numériques, ils seront enrichis de nouvelles informations et permettront bientôt de modéliser l'évolution des poussières.

L'amélioration des techniques d'observation et de modélisation ouvre des perspectives de découvertes inédites et promet de lever le voile sur la formation des étoiles et de leurs cortèges planétaires. « L'objectif est de construire une vision globale des conditions initiales lors de la formation des étoiles », conclut Anaëlle Maury.

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