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Pierre Gilles Lemarié-Rieusset : des ondelettes à Navier-Stokes

Portrait de chercheur ou chercheuse Article publié le 03 juin 2022 , mis à jour le 17 juin 2022

Pierre-Gilles Lemarié-Rieusset est ancien élève de l’École normale supérieure, professeur des universités à l’Université d’Évry, chercheur au Laboratoire de mathématiques et modélisation d’Évry (LaMME – Univ. Paris-Saclay, CNRS, Univ. d’Évry, ENSIIE, INRAE), et directeur-adjoint recherche de la Graduate School Mathématiques de l’Université Paris-Saclay. Mathématicien reconnu dans le monde entier pour ses travaux sur la théorie des ondelettes, il s’intéresse aujourd’hui aux équations de Navier-Stokes. 

Si les mathématiques ont toujours été présentes dans l’horizon familial de Pierre-Gilles Lemarié-Rieusset, jusqu’au bac c’est surtout le grec ancien qui est son principal sujet d’étude. Sa passion pour les mathématiques, il la découvre en classe préparatoire puis à l’ENS, où il entre en 1979. « À cette époque, dans tout ce que l’on m’enseignait, c’est vraiment la seule discipline qui m’intéressait. À l’ENS, je passais la plus grande partie de mon temps à lire tous les vieux livres de mathématiques que je pouvais trouver à la bibliothèque », avoue l’enseignant-chercheur. Reçu à l’agrégation en 1981, il achève en 1984 une thèse de troisième cycle en mathématiques pures consacrée aux intégrales singulières. Après avoir été assistant à la Faculté des sciences de Tunis, agrégé répétiteur à l’ENS, puis professeur agrégé (PRAG) à l’IUT de Cergy-Pontoise, il devient maître de conférences en mathématiques en 1988 à l’Université Paris XI. En 1995, il est nommé professeur à l’Université d’Évry, où il enseigne toujours aujourd’hui. En parallèle, c’est au sein du Laboratoire de mathématiques et modélisation d’Évry (LaMME – Univ. Paris-Saclay, CNRS, Univ. d’Évry, ENSIIE, INRAE) qu’il mène ses activités de recherche. 

 

De la naissance à l’explosion de la théorie des ondelettes 

Le premier grand virage de sa carrière, Pierre-Gilles Lemarié-Rieusset le prend au sortir de sa thèse, en 1986, au moment où Yves Meyer, son directeur de thèse, fonde la théorie des ondelettes, un outil d’analyse temps-fréquence. « Après avoir découvert cette théorie dans son bureau, je décide de m’y consacrer à ses côtés, ce qui me vaudra de cosigner avec lui le premier article théorique publié sur cette théorie, même si ma contribution est alors négligeable », se souvient l’enseignant-chercheur. Non négligeable en revanche, le temps qu’il consacre à cette théorie qui l’occupera les dix premières années de sa carrière. « Avec cette théorie des ondelettes, l’idée est d’essayer de localiser les caractéristiques du signal aussi bien dans la variable temporelle que dans la variable fréquentielle, en tenant compte du principe d’incertitude qui nous dit que si l’on fixe l’un, on ne peut pas fixer l’autre. Les ondelettes sont donc une sorte de mixte entre les techniques d’analyse temps-fréquence et l’analyse fonctionnelle, en ce sens qu’elles permettent de caractériser un certain nombre d’espaces fonctionnels qu’on utilise pour l’analyse tout en fournissant un algorithme très puissant pour le traitement du signal », explique l’enseignant-chercheur. Née dans le bureau d’Yves Meyer, cette théorie s’impose dans le monde entier pendant les années 90 jusqu’à valoir le Prix Abel à son inventeur.

 

Les équations de Navier-Stokes : relever l’un des défis du millénaire

Oui mais… À mesure que le sujet des ondelettes devient à la mode, Pierre-Gilles Lemarié-Rieusset ressent de plus en plus le besoin de revenir vers quelque chose de plus fondamental. « C’est aussi l’intérêt d’une carrière de professeur : les premiers échelons gravis, on est vraiment libre de se consacrer à ce qui nous intéresse vraiment », précise Pierre-Gilles Lemarié-Rieusset. Lorsqu’il décroche en 1995 son poste de professeur à l’Université d’Évry, il décide donc de donner un nouveau tournant à ses recherches en se consacrant aux équations de Navier-Stokes. Et comme rien n’arrive par hasard, c’est à travers les ondelettes qu’il commence à s’intéresser à ces équations. « Il se trouve que la structure qui fait marcher les ondelettes, c’est l’invariance par translation et par changement d’échelle. Or Navier-Stokes est une équation qui est invariante par certaines transformations d’échelle. C’est donc assez logiquement que j’ai été happé », précise-t-il. Un nouveau virage qui semble lui réussir comme en témoignent les très beaux résultats qu’il obtient entre 1995 et 2000. « C’est peut-être la chance du débutant, mais cela a été une très forte motivation. D’autant plus qu’en 2000, les équations de Navier-Stokes sont devenues l’un des sept problèmes du millénaire », ajoute l’enseignant-chercheur qui continue encore aujourd’hui à se consacrer à cette question.

 

L’écriture, une autre façon de faire de la recherche

Les sujets sur lesquels il travaille ont beau être ardus pour le commun des mortels, Pierre-Gilles Lemarié-Rieusset a toujours eu à cœur de travailler à la diffusion des avancées de son domaine de recherche, comme en témoignent les nombreux ouvrages dont il est l’auteur et qui sont aujourd’hui devenus des références. Co-écrit avec Jean-Pierre Kahame et publié en 1995 sous le titre Séries de Fourier et ondelettes, le premier retrace l’histoire de deux siècles d’analyse et expose la théorie des ondelettes. En 2002, puis 2016, il consacre deux autres ouvrages aux équations de Navier-Stokes, Recent developments in the Navier-Stokes problem et The Navier-Stokes problem in the 21st century. « Dans le premier, j’ai tenté de présenter tous les outils d’analyse fonctionnelle – ce qui a, semble-t-il, été utile aux étudiants – et, dans une seconde partie, de tenir compte de tous les problèmes les plus récents. En 2016, j’ai essayé d’adopter, sur le même sujet, un point de vue différent, en n’utilisant aucun des outils de 2002 », explique l’enseignant-chercheur. Dans ses ouvrages, Pierre-Gilles Lemarié-Rieusset ne se focalise donc pas sur ses recherches mais tente d’offrir une présentation personnelle de l’état de la recherche dans son domaine. « Quand je présente les travaux des autres, je me contente de lire l’énoncé du théorème et après je cherche ma démonstration personnelle. Le processus d’écriture est donc très long mais il est en même temps très créatif. J’apprends toujours énormément en écrivant. C’est pour moi une autre manière de faire de la recherche. »

 

Mathématiques, liberté et responsabilités

Quand on demande à Pierre-Gilles Lemarié-Rieusset ce qu’il aime dans les mathématiques, il commence par mettre en avant « la liberté absolue que confère le fait de n’avoir besoin de rien d’autre que d’un ordinateur, un papier et un crayon pour travailler ». On se figure déjà le mathématicien seul à sa table de travail, loin des contingences du monde… Et pourtant, ce serait ignorer l’engagement de Pierre-Gilles Lemarié-Rieusset qui, tout au long de sa carrière, n’a pas hésité à endosser un certain nombre de responsabilités. Directeur du Laboratoire analyse et probabilités de 2002 à 2013, président du Conseil académique de l’Université d’Évry de 2017 à 2019, il est aujourd’hui directeur-adjoint recherche de la Graduate School Mathématiques de l’Université Paris-Saclay. Un poste où, à l’image de sa carrière, sa seule ambition est de servir les mathématiques. « Nous devons fournir à chacun des laboratoires, sans en laisser aucun sur le bord de la route, les conditions pour maintenir et développer une recherche d’excellence. Nous continuerons ainsi, comme nous le faisons déjà depuis des années, à rayonner à l’international et à attirer dans nos équipes les meilleurs mathématiciens et mathématiciennes du monde », conclut-il.

 

Pierre-Gilles Lemarié-Rieusset - Crédits Christophe Peus - Université Paris-Saclay