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PTMyco : de la mycoloylation des protéines des enveloppes bactériennes à la possible genèse de nouveaux antibiotiques

Recherche Article publié le 01 décembre 2023 , mis à jour le 16 janvier 2024

Le projet PTMyco a pour but de mieux comprendre chez les bactéries le rôle de la mycoloylation des protéines de l’enveloppe bactérienne, une modification chimique de ces molécules après leur synthèse et consistant en l’addition d'un acide gras spécifique, l’acide mycolique. Mené par des scientifiques de l’Institut de biologie intégrative de la cellule (I2BC - Univ. Paris-Saclay, CEA, CNRS), de l'Institut de chimie moléculaire et des matériaux d'Orsay (ICMMO - Univ. Paris-Saclay, CNRS) et de l'Unité de glycobiologie structurale et fonctionnelle (UGSF - Univ. de Lille, CNRS), ce projet mènera éventuellement à l'identification de nouveaux antibiotiques actifs contre les bactéries apparentées à Mycobacterium tuberculosis, responsables de la tuberculose humaine.

Certaines maladies infectieuses, que l'on pensait éradiquées, sont de retour, quand d'autres n'ont jamais disparu. C'est le cas de la tuberculose, contractée par plus de dix millions de personnes dans le monde en 2021, ou de la lèpre, qui comptait 216 000 malades en 2022, principalement au Brésil et en Inde. Plus proches, 92 cas de diphtérie ont été rapportés dans sept pays européens fin 2022, dont 30 en France métropolitaine. Les pathogènes à l'origine de ces affections sont des bactéries qui appartiennent à l’ordre des Corynebacteriales. Elles sont également responsables de maladies opportunistes touchant par exemple les poumons (Mycobacterium abscessus) ou la moelle osseuse (Corynebacterium jeikeium).

Les bactéries sont des microorganismes unicellulaires sans noyau dont le génome se présente sous la forme d’un unique ADN chromosomique circulaire « baignant » dans le cytoplasme de la cellule. Pour lutter contre celles pathogènes, la médecine dispose d’antibiotiques qui soit limitent leur croissance soit les tuent. Ils agissent en empêchant certaines réactions chimiques indispensables au métabolisme de la bactérie de se faire, en contrariant la traduction du matériel génétique en protéines ou en bloquant la formation de l’enveloppe cellulaire de la bactérie. Aujourd’hui, en raison de l’émergence de souches bactériennes résistantes, les antibiotiques encore efficaces contre les Corynebacteriales et disponibles sur le marché sont moins nombreux et leur utilisation se fait de façon limitée.

Le projet PTMyco, démarré fin 2022, réunit des scientifiques de l’Institut de biologie intégrative de la cellule (I2BC - Univ. Paris-Saclay, CEA, CNRS) spécialistes des bactéries apparentées à la tuberculose, de l'Institut de chimie moléculaire et des matériaux d'Orsay (ICMMO - Univ. Paris-Saclay, CNRS) et experts des sucres complexes, et de l'Unité de glycobiologie structurale et fonctionnelle (UGSF - Univ. de Lille, CNRS) et leaders de la biologie chimique (chémobiologie) des lipides. Il vise à élucider les mécanismes moléculaires à l’œuvre lors de la biogenèse de l'enveloppe bactérienne. En ciblant cette structure complexe, le projet entend éventuellement identifier de nouveaux antibiotiques actifs contre les bactéries pathogènes, notamment celles responsables de la tuberculose.

De l'importance de l'enveloppe des bactéries

Tout démarre en 2010, lorsqu’une équipe toulousaine découvre, en collaboration avec l’équipe de Nicolas Bayan de l’I2BC, un nouveau type de modification post-traductionnelle des protéines présentes dans l'enveloppe de l'organisme modèle Corynebacterium glutanicum. Issues de la traduction des ARN messagers, certaines protéines subissent en effet des modifications chimiques après leur synthèse par le ribosome. Ces modifications post-traductionnelles (PTM) influencent la conformation tridimensionnelle définitive des protéines ou leur localisation, autrement dit leur fonction. « Il arrive que l’addition d’un groupe chimique particulier sur une protéine, le plus souvent à l'aide d'une enzyme, modifie sa fonction ou sa destination initiale. Elle va par exemple devenir plus active ou se retrouver ancrée en un site précis de la cellule pour lui permettre d’assurer efficacement sa fonction », commente Nicolas Bayan.

Chez les Corynebacteriales, il existe deux principaux types de PTM: par des sucres ou par des acides gras. Les premiers stabilisent la protéine alors que les seconds, de par leur chaîne carbonée hydrophobe, l’ancrent dans la membrane cellulaire. Lors de leurs travaux, les deux équipes de scientifiques démontrent que certaines protéines des Corynebacteriales sont modifiables par un acide gras spécifique : l'acide mycolique, retrouvé dans l’enveloppe des bactéries apparentées à M. tuberculosis. Il s’agit là du premier exemple connu de PTM par ajout d'un acide mycolique : on parle de mycoloylation. Dans la foulée de leur découverte, les équipes démarrent l’étude de la modification post-traductionnelle atypique au moyen d’approches biochimiques et génétiques, puis plus récemment d’une approche chémobiologique développée à l’ICMMO.

Des questions en abondance et le lancement du projet PTMyco

La classification des bactéries repose sur différents critères, par exemple leur morphologie, leurs besoins respiratoires ou leur mobilité. Leur résultat à la coloration de Gram en est un autre et découle de la structure de leur enveloppe cellulaire. « La coloration de Gram sert à discerner les bactéries capables de fixer le violet de gentiane (Gram positif) de celles qui ne le sont pas (Gram négatif). L'enveloppe cellulaire des premières se distingue par une membrane unique et une paroi épaisse, et celle des secondes par une double membrane », indique Nicolas Bayan. La bactérie C. glutanicum est connue comme étant à Gram +. Mais fait étonnant, C. glutanicum arbore deux membranes dont l'une est constituée de lipides atypiques dérivés des acides mycoliques. Cela représente un cas unique dans le monde vivant : il se restreint aux bactéries apparentées à M. tuberculosis ! Face à ce constat, les questions abondent. « Comment un tel système de mycoloylation est-il apparu au cours de l'évolution ? Qu'apporte-t-il d'avantageux à la bactérie ? Ce système agit-il sur le triage des protéines entre les membranes ? », énumère Nicolas Bayan. Et qu’en est-il de l’éventuel impact de la mycoloylation sur la virulence des pathogènes en santé humaine ?

En 2014, une rencontre fortuite entre des membres de l'I2BC et de l'ICMMO débouche sur une nouvelle collaboration à laquelle se greffe par la suite le pôle chimique lillois, l'UGSF. Les scientifiques ainsi réunis candidatent à un appel à projets de l'Agence nationale de la recherche (ANR) pour financer leur projet PTMyco, destiné à apporter des éléments de réponses à leurs questions. En parallèle, Nicolas Bayan et son équipe identifient puis cristallisent, dans son état intermédiaire, l'enzyme responsable de la mycoloylation de C. glutanicum. En décembre 2022, le projet PTMyco obtient un financement de 385 000 euros de l’ANR, réparti sur 36 mois. Chaque équipe dispose équitablement d’un tiers du montant. « Cet argent sert d'abord au fonctionnement du laboratoire, à l’achat des consommables, des produits chimiques et à l'entretien du petit matériel. Nous rédigeons actuellement une proposition de post-doctorat, qui devrait être pourvu en janvier 2024 », précise Nicolas Bayan.

Un processus cellulaire répandu et des interactions à préciser

Démarré depuis près d'un an, PTMyco affiche ses premiers résultats. « Pour savoir à quel point la mycoloylation était habituelle chez C. glutanicum, nous avons cherché à estimer le nombre de protéines modifiées par l’ajout d’un acide mycolique. Grâce à la production par l’ICMMO d’un acide de synthèse un peu particulier et à la spectrométrie de masse, nous avons identifié toutes les protéines cellulaires qui avaient potentiellement incorporé cet acide », explique Nicolas Bayan. Au terme de l’étude, une cinquantaine de protéines s’avèrent candidates, ce qui semble indiquer un processus largement utilisé par les cellules. Afin de confirmer cette piste, les scientifiques s’attaquent désormais au clonage des gènes identifiés et à la purification des protéines correspondantes. Ils doivent également vérifier que chaque protéine est individuellement bien modifiée par un acide mycolique.

Par la suite, Nicolas Bayan et ses collaborateurs prévoient d’étudier le rôle de la PTM. « Pour cela, nous travaillerons in vivo et analyserons l’impact de l’absence de mycoloylation sur la fonction de certaines protéines. Ces analyses seront pratiquées à Lille, à l’UGSF, et prennent du temps. Nous attendons les résultats avec impatience. De notre côté, nous accueillerons une nouvelle recrue d'ici le début d'année 2024 pour tenter de purifier et de cristalliser l’enzyme de mycoloylation en interaction avec son substrat protéiné », annonce le chercheur. Ce travail promet une observation dans le détail des interactions-clés nécessaires au processus et de potentiellement trouver des molécules capables d'y interférer. Car bloquer la mycoloylation reviendrait peut-être à empêcher la biogénèse de l’enveloppe bactérienne, le talon d’Achille de ces microorganismes, et à mettre en place un nouveau moyen de lutte contre ces pathogènes.

Références :