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SARS-CoV-2 : Prédire les mutations de la protéine Spike grâce à la géométrie

Recherche Article publié le 25 février 2022 , mis à jour le 25 février 2022

Grâce à une approche géométrique, un mathématicien de l’IHES vient d’identifier la dynamique d'évolution de l'extrémité de la protéine Spike du SARS-Cov-2. Cette découverte pourrait servir à repérer les zones de la protéine les plus susceptibles d’être modifiées par mutation du génome viral, et aider à l’élaboration de vaccins adaptés aux nouveaux variants du virus de la Covid-19.

Les variants du SARS-CoV-2, responsable de la pandémie actuelle de Covid-19, émergent au gré des mutations qui s’opèrent dans le génome à ARN du virus et modifient sa structure protéique. Chez les variants préoccupants (Beta, Delta, Omicron...), c’est la modification d’une protéine en particulier qui leur procure un avantage sélectif: la protéine Spike (S).  Celle-ci se compose de deux parties : une extrémité qui permet au virus de se fixer à la cellule à infecter, et une tige qui l'aide à y pénétrer.

Robert Penner, mathématicien à l'Institut des hautes études scientifiques (IHES) et spécialiste de la géométrie combinatoire, étudie le repliement dans l’espace des objets à une dimension. Il a récemment travaillé sur la structure 3D de la protéine Spike et a exploité une banque de données répertoriant les structures de cette protéine chez différents variants du SARS-CoV-2, obtenues par cryo-microscopie électronique. « J'ai commencé par m'intéresser à la théorie des cordes, puis je suis passé à la biologie, pour étudier le squelette peptidique des protéines. Les problèmes géométriques sont les mêmes partout, à quelques ordres de grandeur près », clarifie le chercheur.

Si une protéine conserve globalement une forme stable, elle est aussi capable de l’adapter en fonction des différentes tâches qu’elle a à effectuer. Le chercheur explique : « Avant le début de la pandémie, je travaillais sur des glycoprotéines virales, des analogues de la protéine Spike sur d'autres virus. Ces protéines sont fascinantes, elles ont la capacité de se réorganiser totalement, à la manière des robots des films Transformers, afin de se lier et de fusionner avec la cellule cible. C'est un phénomène captivant qui se prête très bien à une approche géométrique. »



Les liaisons H consolident le squelette des protéines

Comme toutes les protéines, Spike se compose d'une chaîne de briques élémentaires, les acides aminés, liées entre elles par des liaisons peptidiques. Cette chaîne se replie sur elle-même en une structure tridimensionnelle, telle une boule de papier froissé. Des acides aminés éloignés dans la séquence de base se retrouvent alors proches les uns des autres et forment un autre type de liaison : une liaison hydrogène (H). Environ 70 à 80 % des acides aminés du squelette polypeptidique prenant part à ce phénomène, cela stabilise la structure globale de la protéine. 

Les travaux de Robert Penner, qui promeut le concept "d'énergie libre d'un acide aminé", s'appuient sur l'observation géométrique des liaisons H présentes dans la protéine Spike. Grâce à l'analyse de la structure de cette protéine dans différents variants du virus, le chercheur a calculé une valeur d'énergie libre pour chaque acide aminé impliqué dans une ou plusieurs liaisons H. Plus les liaisons H consolident la position de l'acide aminé, moins celui-ci pourra tourner dans l'espace et plus son énergie libre sera faible. « Les endroits où l'énergie libre est la plus élevée sont, au contraire, ceux où l'on s'attend à des changements de conformation importants », confie Robert Penner. Le mathématicien a ensuite croisé ces données avec celles portant sur les mutations identifiées dans les variants préoccupants du virus.

 

Les liaisons H désavantagent l’implantation de mutations

Dans Spike, la majorité des acides aminés modifiés par mutation de l’ARN viral se situe à l'extrémité de la protéine. Robert Penner a montré qu’ils ne sont généralement pas impliqués dans une liaison H. À l'inverse, les acides aminés qui sont modifiés dans la tige participent le plus souvent à ces liaisons. 

L'évolution de l'extrémité de la protéine S était attendue, car une mutation favorable au virus ne doit ni augmenter l'énergie libre d’un acide aminé au point de déstabiliser la protéine, ni la diminuer jusqu’à en perturber la reconformation. Comme les acides aminés qui ne sont pas impliqués dans des liaisons H n'ont pas d'énergie libre, leur modification ne provoque pas de changement dans la structure 3D de la protéine et cette mutation a plus de chance d'être conservée. Pour Robert Penner, il s’agit là d’une dynamique de protection des acides aminés clés. Stabilisés par des liaisons H, ils évitent toute mutation. « Cette hypothèse de régulation des mutations par liaison hydrogène nécessite plus de recherches », concède le chercheur.

La situation observée pour la tige de la protéine est plus contre-intuitive. Elle s’expliquerait par la structure de référence, qui ne donne pas toutes les informations nécessaires à la compréhension du phénomène : dans les bases de données, l'aspect de la protéine précède son entrée dans la cellule. « L'extrémité de Spike est active à l'extérieur de la cellule à infecter, où le pH environnant est de 7. Cela permet au virus de se lier à la cellule cible. Mais la tige de la protéine ne devient active qu’une fois dans la cellule. Séparée de l'extrémité qui la maintenait dans un encombrement stérique, la tige est alors soumise à un pH acide. Ces deux phénomènes changent sa géométrie et lui assurent de jouer son rôle dans l'infection. Tout se passe en un éclair. Mais pour des raisons expérimentales, les banques de données ne possèdent que la conformation des protéines à un pH de 7, et nous n'avons pas de bonne reproduction des liaisons hydrogène de la tige », explique Robert Penner.

 

Nouveaux vaccins : anticiper les mutations des prochains variants

L’étude des liaisons H des variants du SARS-CoV-2 suggère qu’Omicron proviendrait de mutations du variant Delta, et non de la souche originelle apparue à Wuhan. Nombre d’indices corroborent cette hypothèse, parmi lesquels le fait qu'Omicron soit apparu en Afrique du Sud alors que Delta y était majoritaire. Les travaux de Robert Penner serviraient alors au développement de vaccins contre de prochains variants. « On pourrait élaborer des stratégies capables de prédire les acides aminés ayant de fortes chances d'être modifiés par mutation, à chercher à l'extrémité de la protéine Spike du variant actuellement prédominant, Omicron, et qui ne soient pas impliqués dans une liaison hydrogène », conjecture le chercheur.

 

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