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Start-up ION-X : des nanotechnologies à la propulsion spatiale

Innovation Article publié le 12 janvier 2023 , mis à jour le 13 janvier 2023

Crée en 2021, ION-X industrialise un concept de propulsion spatiale issu du Centre de nanosciences et de nanotechnologies (C2N – Univ. Paris-Saclay, CNRS, Univ. Paris Cité), en collaboration avec Airbus Defence and Space (ADS).

ION-X est née de la rencontre de Jacques Gierak, ingénieur de recherche au C2N, avec François Auque, directeur des activités spatiales d’Airbus de 2000 à 2016, président du fonds d’investissement Airbus Ventures jusqu’en 2018, aujourd’hui associé chez InfraVia Capital et conseiller bénévole de la start-up; et  Jean-Marc Schmittbiel, chargé d'affaires à CNRS Innovation. « Nous formons la troïka parfaite pour mener ce projet ! », s’enthousiasme Jacques Gierak.

 

La genèse du projet : une idée folle

Jacques Gierak est spécialisé en faisceau d'ions focalisés ou Focused ion beam (FIB), une technologie de gravure à l’échelle nanométrique. Elle consiste à générer un faisceau d'ions rapides et énergétiques via un système optique, et à utiliser leur énergie cinétique pour modifier un substrat. Elle est utilisée pour vérifier la conformité et prévenir la défaillance des matériaux dans le domaine des semi-conducteurs. Le scientifique a d’ailleurs développé un émetteur d'ions à métal liquide et son instrumentation associée, une solution brevetée par le CNRS en 2001 et licenciée exclusivement à la société allemande Raith.

En 2009, Jacques Gierak se tourne vers le domaine spatial car il est sollicité par le Massachussetts Institute of Technology (MIT) pour tester des sources d’ions à liquides ioniques utilisés comme carburants de propulseurs spatiaux. En 2017, le Centre national d'études spatiales (CNES) le sollicite à son tour pour concevoir un propulseur électro hydrodynamique basé sur la propulsion ionique. Pour ce projet, il opère un changement d’échelle et s’attèle à concevoir un système de faisceaux massivement parallélisés pour produire un effet de propulsion. « Je ne voulais pas réutiliser une technologie traditionnelle de fabrication de source d'ions, parce que si la recherche ne prend pas de risques, ce n’est plus de la recherche ! » annonce le scientifique.

Il développe alors une nouvelle idée : au lieu d’émettre des ions via une seule pointe très fine, il conçoit de les faire partir d’un plan, à savoir une surface d’un centimètre carré. En mettant ainsi des milliers d’émetteurs en parallèle, il compte en faire sortir une multitude de faisceaux très intenses. Le projet est soutenu en 2018 par le programme de prématuration du CNRS pour développer un démonstrateur du concept. « Et de 2017 à 2021, nous avons travaillé avec Jacques pour protéger les moyens techniques de ce dispositif via trois brevets, et pour en formaliser les éléments techniques secrets », précise Jean-Marc Schmittbiel.

 

Airbus Defence and Space : une rencontre décisive

En 2018, un professeur de HEC, où Jacques Gierak suit la formation HEC Challenge Plus et où François Auque donne des conférences, a l’intuition qu’une rencontre entre les deux experts entrainerait des synergies. Il les met en contact et voit juste, car l’équipe spécialisée en propulsion spatiale d’Airbus prend connaissance des travaux du scientifique avec exaltation : « Ils ont tout de suite conclu que cela représentait une rupture technologique majeure et inédite en matière de propulsion spatiale », rapporte François Auque. Les équipes entament une coopération productive et le concept imaginé par Jacques Gierak évolue pour répondre aux spécifications d’Airbus. « Ce mode de coopération, où on ne vient pas avec une solution toute faite mais où on conçoit ensemble un démonstrateur adapté à un besoin, est assez inhabituel pour un projet qui n’était au départ qu’une idée de laboratoire. C’est grâce à cela qu’ION-X a pu voir le jour » commente Jean-Marc Schmittbiel.

Airbus soutient le développement du projet, ainsi que l’étape de la mesure des grandeurs propulsives – qui n’est pas réalisable dans le cadre du laboratoire mais uniquement dans une installation industrielle. L’équipe, qui ambitionne d’élaborer une dalle de 49 cm2, progresse efficacement, ce qui fait dire à François Auque : « Il n’est pas évident pour un organisme de recherche de comprendre les contraintes du monde industriel. Je suis admiratif du pragmatisme dont le C2N a fait preuve, et de l'expérience du CNRS en matière de relations avec les grandes entreprises. Je ne suis pas étonné que de nombreuses start-up voient le jour sur le campus de l’Université Paris-Saclay. »

 

Wizard : un propulseur enchanteur

Wizard (magicien en français) est une dalle propulsive pour satellites de tailles moyennes (moins de 250 kilos), qui mesure dix centimètres sur dix et trois d’épaisseur. « À performance égale, les moteurs actuels sont bien plus volumineux et utilisent généralement du xénon, stocké dans des bouteilles à très haute pression, ce qui prend beaucoup plus de place », résume Jacques Gierak. François Auque ajoute : « Le coût du lancement du satellite est fonction du poids et du volume, donc cet aspect est très important pour un fabricant de satellites ».

Par ailleurs, le propulseur bénéficie d’une grande efficacité propulsive, car l’émission bipolaire produit une charge électriquement neutre qui peut être maintenue durant une très longue durée. Sa compacité libère de la place pour des transpondeurs, de l’électronique de bord ou encore du matériel dédié aux missions des satellites. Comme il émet cent fois plus de particules par cm2 que les technologies actuelles, il prévoit de délivrer des poussées de plus d’un millinewton (aujourd’hui limitées à 300 micronewton). Et enfin, ce moteur s'allume sur demande. Il n'y a donc pas de signature de détection, ce qui est important pour certaines applications où la discrétion est demandée.

 

ION-X : une start-up propulsée vers le succès

Pour lancer le projet, le venture builder Technofounders, avec le concours scientifique de Jacques Gierak, fonde ION-X en 2021. Elle est hébergée au C2N et dirigée par les entrepreneurs Yves Matton et Thomas Hiriart. La start-up compte déjà une dizaine d’ingénieurs et ingénieures qui travaillent à industrialiser le concept. Afin de faciliter le transfert, le C2N et le CNRS constituent des dossiers de savoir-faire qui décrivent les éléments technologiques mis en œuvre dans le propulseur, et ION-X en obtient une licence exclusive d’exploitation. « Cela rassure beaucoup les investisseurs de savoir que la start-up est soutenue par un laboratoire capable d'accompagner l'industrialisation », explique Jean-Marc Schmittbiel.

En effet, la start-up lève 3,8 millions de dollars en juin 2022. Elle envisage de proposer des propulseurs sur-mesure, c’est-à-dire de développer avec ses futurs clients les solutions les plus adaptées aux missions spatiales. François Auque lui prédit un avenir très prometteur : « Cette innovation ouvre un champ très large de cas d’usages ». D’ailleurs, « la présentation de notre technologie à l’International electric propulsion conference 2022 (IEPC) en juin dernier à Boston a fait l'effet d'un pavé dans la marre ! », se réjouit Jacques Gierak. Le moteur doit être spatialisé en 2023 pour un premier vol de démonstration en 2024.

Et comme la troîka n’est pas à court d’idées et de dynamisme, elle lance, dans le cadre du plan France Relance – qui vise à relancer l’économie notamment en matière de reconquête industrielle - un nouveau projet, soutenu par le CNES et ADS. Il s’agit d’accroitre les performances de Wizard, via le développement d’une nouvelle génération de propulseur, pour répondre aux besoins des systèmes en vol d’ADS. Jean-Marc Schmittbiel conclut : « Le passage d’une innovation de rupture comme celle-ci à la start-up ION-X a été très rapide, c’est atypique et remarquable ».