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Stefan Haar : Repousser les limites des systèmes à évènements discrets

Portrait de chercheur ou chercheuse Article publié le 05 mai 2022 , mis à jour le 12 mai 2022

Stefan Haar est chercheur au Laboratoire méthodes formelles (LMF – Univ. Paris-Saclay, CNRS, ENS Paris-Saclay, CentraleSupélec, Inria), et directeur-adjoint Recherche de la Graduate School Informatique et sciences du numérique de l'Université Paris-Saclay. Il est spécialiste des méthodes formelles et des systèmes à événements discrets en informatique, notamment dans le cadre de thématiques écologiques.

Stefan Haar effectue des études de mathématiques et de philosophie à l’université de sa ville natale, Hambourg (Allemagne). Dans ce cadre, en 1990, il se rend durant un an à l’Université Johns-Hopkins à Baltimore (États-Unis) et à son retour, il s’oriente vers le domaine des équations différentielles stochastiques. Il obtient son diplôme en 1992. Ensuite, « conquis par les séminaires donnés par Carl Adam Petri, l’inventeur des réseaux de Petri, un modèle mathématique développé pour représenter divers systèmes travaillant sur des variables discrètes, je décide de m’orienter vers l’informatique ». Le chercheur réalise une thèse, qu’il soutient en 1997 et dont le sujet porte sur l’étude des comportements des réseaux de Petri via le point de vue des relations binaires. Il s’agit d’analyser les relations entre des évènements opérés dans des processus informatiques concurrents.

La modélisation de réseaux et l’automatic control

En 1997, Stefan Haar fait un premier postdoc à l’Université de Humboldt à Berlin. Et un second en 1999, en France, à l’Inria de Nancy, puis de Paris (à l’École normale supérieure), et enfin de Rennes. Il y est recruté en 2001 en tant que chargé de recherche au sein du projet Sigma 2, dédié à l'étude des systèmes dynamiques stochastiques liés au traitement de signal et aux systèmes industriels. « Je travaillais sur des algorithmes récursifs de la supervision de grands réseaux filaires, via la modélisation de leurs comportements erronés. » Grâce à l’approche des réseaux de Pétri, il atteint, avec ses collègues, le niveau d’abstraction nécessaire à la modélisation de ces processus. « En détachant les estampilles temporelles des événements fautifs, cette théorie rend possible de passer de l’ordre temporel à l’ordre causal. » Le but est de poser des diagnostics pour agir rapidement sur les pannes causées par ces accidents, une approche qui s’inscrit dans le contrôle automatique (automatic control). Ce dernier est l’application de la théorie du contrôle pour la régulation des processus sans intervention humaine, qui consiste à comparer une valeur mesurée à une valeur souhaitée et à traiter le signal d’erreur qui en résulte.

L’étude des systèmes concurrents et multicomposants

Stefan Haar prend ensuite, en 2007, une année sabbatique durant laquelle il rejoint l’Université d’Ottawa. Il y travaille sur les méthodes de test de conformité pour la spécification et l’implémentation de systèmes concurrents. Puis il prolonge ses travaux au laboratoire de recherche d’Alcatel-Bell Labs. En 2008, il revient en France et effectue une mutation au sein de l’Inria pour rejoindre le Laboratoire spécification et vérification (LSV, alors situé à l’ENS Cachan) qui fusionne en 2021 avec l’équipe VALS (Vérification d'algorithmes, de langages et de systèmes) du Laboratoire de recherche en informatique (LRI - Université Paris-Saclay, CNRS) pour devenir le Laboratoire méthodes formelles (LMF – Univ. Paris-Saclay, CNRS, ENS Paris-Saclay, CentraleSupélec, Inria). Peu après son arrivée, il crée l’équipe-projet Modelling and exploitation of interaction and concurrency (Mexico) qui voit le jour en 2010. Il y est question, à nouveau, d’étudier les systèmes concurrents et multicomposants. « J’ai poursuivi mes travaux sur la supervision asynchrone de systèmes distribués, ce qui m’occupe d’ailleurs toujours aujourd’hui. »

La théorie des réseaux au services des sciences naturelles

Dès 2011, il tisse des liens avec la recherche en biologie des systèmes, notamment avec l'Institut Curie et avec l'Université du Luxembourg, pour s’atteler à comprendre et à prédire les évolutions de la mécanique complexe qu’est la reprogrammation cellulaire. « La dynamique de régulation des cellules est riche et complexe et peut être modélisée par des systèmes à événements discrets ayant un grand nombre de variables. Leur objectif est de converger vers leurs attracteurs. » C’est-à-dire des phénotypes vers lesquels les cellules, par nature pluripotentes, évoluent en fonction de multiples réactions biochimiques qui transforment leurs orientations génétiques. Ainsi, grâce à la théorie des réseaux de Petri, le chercheur et son équipe développent des techniques inédites, qui viennent compléter celles basées sur les réseaux booléens traditionnellement utilisés par les biologistes. « Nous avons établi des connexions très fortes entre ces deux modèles, tout ce que l’on peut exprimer avec l’un peut être utilisé dans l’autre et inversement. »

Dépasser les systèmes à événements discrets

Durant le parcours qui la mène d’un état à un autre, la cellule opère des coordinations et des transitions si complexes que le modèle strictement discret ne les détecte pas. Pour parvenir à combler cet angle mort, Stefan Haar et ses collègues conçoivent une nouvelle méthodologie formelle. « Cette approche, développée à partir de l’étude du lien entre un système continu et son abstraction discrète, est ‘most permissive’. C’est-à-dire qu’elle admet le plus de comportements possibles, et rend possible de prédire des phénotypes et reprogrammations qui ont échappé aux modèles antérieurs. »

Une extension vers l’écologie

Les travaux de Stefan Haar le mènent aussi, depuis 2020, à modéliser des systèmes dans le cadre de projets écologiques. « Les modélisations actuelles pour élaborer des simulations ne sont pas toujours justes car elles sont souvent basées sur des systèmes d'équations différentielles. Nous développons une nouvelle approche, inédite. » Il s’agit d’abstraire les facteurs d’influence et les dynamiques à l’œuvre dans certains processus pour élaborer un modèle discret dans le temps. Par exemple, le chercheur travaille, avec des collègues de l’INRAE et de l’Université d’Évry, sur un modèle de système qui règle la survie d’une colonie de termites. En identifiant une dizaine de variables, comme la présence ou non des rôles spécifiques (ouvrier, soldat, reproducteur, etc.), et leurs comportements ou évolutions possibles, ils prédisent si la colonie est capable de se défendre contre une attaque de fourmis et de survivre. « Le grand avantage de ce modèle est qu’il inclut différentes alternatives d’évolutions. Ainsi, on peut prévoir si un certain état du système est viable ou voué à la catastrophe. »

La Graduate School Informatique et sciences du numérique de l'Université Paris-Saclay

Stefan Haar devient directeur-adjoint Recherche de la Graduate School (GS) Informatique et sciences du numérique (ISN) de l'Université Paris-Saclay en 2020. Cette GS s'appuie sur des équipes issues de 22 laboratoires qui représentent 12 % du potentiel de recherche dans le domaine en France. Elle forme plus de 1 000 étudiantes et étudiants de masters chaque année et près de 500 doctorantes et doctorants, dont plus du quart effectuent leur thèse en entreprise. La structure a pour objectif de former les talents de demain pour relever les grands défis du numérique. La GS ISN compte de nombreuses thématiques, parmi elles : la sécurité et sureté des programmes, les systèmes distribués Internet des objets, les calculs haute performance (high performance computing - HPC), la simulation, la santé numérique, l’informatique pour la transition écologique, le réseau de communication sixième génération, la visualisation de données massives, ou encore le jumeau numérique. La GS noue aussi des liens avec l’Institut Data IA, qui porte des sujets liés à l’intelligence artificielle. « L’informatique a la spécificité d’évoluer très rapidement et tous azimuts, donc de nouvelles thématiques apparaissent et d’autres disparaissent régulièrement. »