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Stéphanie Bury Moné : Révéler le potentiel caché des bactéries

Portrait de chercheur ou chercheuse Article publié le 10 février 2022 , mis à jour le 10 février 2022

Enseignante-chercheuse à l’Institut de biologie intégrative de la cellule (I2BC – Univ. Paris-Saclay, CEA, CNRS) et directrice-adjointe Formation de la Graduate School Life, Science and Health de l’Université Paris-Saclay, Stéphanie Bury Moné s’est fait une spécialité de combiner diverses techniques de recherche, dont la génomique, pour révéler tous les talents cachés des bactéries du sol, capables de développer naturellement des antibiotiques. Car comprendre leur mécanisme de défense naturelle est un pas de plus vers la découverte et la maîtrise de nouveaux antibiotiques pour la médecine humaine. 

Issu de la fusion de plusieurs laboratoires du campus de l’Université Paris-Saclay, l’I2BC est l’une des plus importantes unités de recherches en biologie de l’Université. Sa spécialité est l’étude de la cellule et de ses interactions. Au sein du département des génomes, Stéphanie Bury Moné fait partie de l’équipe « Organisation et ségrégation du chromosome bactérien », dirigée par Frédéric Boccard. Elle étudie en particulier le génome des bactéries du genre Streptomyces : peu connues du grand public, ces bactéries prédominent pourtant dans le sol et peuvent apporter beaucoup à la médecine humaine. « Un tiers des antibiotiques utilisés en clinique provient de ces bactéries. Notre objectif est de révéler le potentiel naturel en biocomposants des micro-organismes qui les produisent pour se défendre et demeurer compétitifs. »

 

À la recherche du métabolisme caché 

« L’étude du génome des Streptomyces a révélé la présence de bien plus de molécules potentiellement codées que nous le pensions. Mais nous ne parvenons toujours pas à trouver les conditions dans lesquelles la bactérie va les produire, décrit Stéphanie Bury Moné, qui s’intéresse aujourd’hui à la dynamique génomique. En tentant de comprendre comment l’expression des gènes est régulée et comment ces grands îlots qui codent la biosynthèse d’antibiotiques vont être activés ou réprimés, nous serons capables de les contrôler et d’en découvrir de nouveaux. »

L’observation dynamique des génomes, qui consiste à « capturer » et comparer les contacts au sein des chromosomes, est une spécialité de l’équipe, reconnue à l’international. Elle réalise ces travaux en interaction avec la plateforme de séquençage de l’I2BC. « L’analyse du "core" génome permet d’identifier les comportements des éléments très conservés par rapport aux parties très variables. » Cette méthode combine bio-informatique, pour comparer les espèces entre elles et analyser l’évolution du génome dans le temps, et génomique, pour élucider concrètement les conditions d’expression du génome au cours de son cycle de développement en relation avec l’architecture tridimensionnelle de l’ADN. Ces approches visent à définir comment la bactérie remodèle son chromosome au moment de produire des antibiotiques.

 

Des clusters d’antibiotiques 

En 2021, l’enseignante-chercheuse et son équipe parviennent à révéler la dynamique du génome remarquable de la bactérie Streptomyces. « Alors que la plupart des bactéries ont un génome circulaire, celui de Streptomyces est linéaire : son centre est très bien conservé et on trouve à ses extrémités de multiples îlots génomiques, dont ceux qui codent des métabolismes spécialisés. » Lorsque la bactérie entre en état stationnaire (de carence), elle compacte son génome et forme une nouvelle structure au niveau de laquelle l’expression de l’ensemble de l’information génétique nécessaire à la production d’un antibiotique va se faire au plus haut niveau. Cette première description de la dynamique de la production d’antibiotique a fait l’objet d’une publication dans Nature Communications.

Même si Stéphanie Bury Moné avoue songer aux applications potentielles de ses recherches, celles-ci relèvent encore de la biologie fondamentale expérimentale. « J’attends de parvenir à un niveau de maturité suffisant dans l’élucidation des règles qui régissent l’organisation génomique de la bactérie Streptomyces. Il faut savoir mieux maîtriser dans la durée les conditions de stabilité des souches pour optimiser la production d’antibiotique et exploiter les génomes à des fins industrielles. » Pour cela, dans le cadre du projet STREPTOMICS qu’elle coordonne, elle participe activement à la mise au point de nouvelles techniques de génomique capables de cibler les protéines associées à l’ADN et régulant la dynamique du développement de la bactérie. « Un jour, nous pourrons peut-être les muter, les sur-exprimer et les maîtriser. »

 

Un parcours d’excellence

La passion de Stéphanie Bury Moné pour les micro-organismes remonte à son plus jeune âge. Étudiante, elle rejoint l’Université de Nice après une année de classe préparatoire maths sup-bio pour y faire un master 1 de biologie et biochimie. Elle réussit le concours d’entrée de l’ENS Cachan (aujourd’hui ENS Paris-Saclay), une des rares écoles qui lui garantit une formation au concours de l’agrégation de biochimie – génie biologique. Un objectif qu’elle atteint l’année suivante. Cette réussite lui ouvre les portes de l’Institut Pasteur où elle réalise son rêve : faire son master 2 puis une thèse en microbiologie encadrée par Hilde de Reuse. La chercheuse belge, spécialiste de la bactérie Helicobacter pylori, devient son mentor et lui donne définitivement le goût de la recherche. Stéphanie Bury Moné soutient en 2003 sa thèse sur la résistance à l’acidité de la bactérie pathogène de l’estomac. Elle est l’une des premières à analyser de façon globale l’expression des gènes de cette bactérie en réponse à l’acidité.

 

Le génome, d’une cellule à l’autre

Désireuse d’explorer la diversité du monde microbien, Stéphanie Bury Moné se tourne ensuite vers les virus. Elle rejoint l’équipe de Jean-François Mouscadet au Laboratoire de biologie et pharmacologie appliquée (LBPA – Univ. Paris-Saclay, ENS Paris-Saclay, CNRS) pour y étudier le VIH. Elle partage son temps entre recherche et enseignement en tant qu’Attaché temporaire d'enseignement et de recherche (ATER). Elle obtient en 2004 un poste de maîtresse de conférences à l’Institut de génétique et microbiologie. Auprès de Philippe Bouloc, elle travaille un temps sur la réponse au stress de la bactérie Escherichia coli avant de retourner travailler sur le VIH au LBPA. En 2012, elle obtient son habilitation à diriger des recherches (HDR) en virologie. Après neuf années passées à étudier le VIH, Stéphanie Bury Moné revient à l’étude des bactéries à la faveur d’une collaboration avec Sylvie Rimsky, chercheuse au Collège de France. « Qu’importe le modèle cellulaire, le fil conducteur de mes recherches demeure l’étude des génomes et de leur expression. Les différentes connaissances emmagasinées s’enrichissent mutuellement et constituent un atout. »

 

Hybrider recherche et formation

Co-responsable du master 2 de microbiologie fondamentale depuis 2015, Stéphanie Bury Moné est nommée professeure à la Faculté des sciences de l’Université Paris-Saclay en 2016. Cet événement marque le début de son investissement dans la construction de la Graduate School Life Sciences and Health de l’Université dont elle devient la directrice-adjointe Formation en 2020. « Cette Graduate School s’est créée sur la convergence des modèles des établissements de l’Université Paris-Saclay dont le réseau biologie-santé préexistait déjà. Nous avons regroupé les disciplines de biologie, bio-informatique et médecine pour construire une offre d’enseignement qui va de la molécule à la biologie de synthèse, en passant par la biochimie, la cancérologie, l’immunologie, les biothérapies, la microbiologie, les neurosciences, la physiologie humaine, le développement, la bio-informatique, la génétique et la génomique. » La Graduate School comprend 1 500 étudiants (1 000 en master et 500 en doctorat) et 2 000 permanents.

Stéphanie Bury Moné consacre autant de temps à ses recherches qu’à son enseignement. « J’ai la chance de faire le plus beau métier. » Très impliquée auprès de ses étudiantes et étudiants, elle considère que sa mission est de les amener « au bout de leur projet, en mettant en valeur leurs compétences. Ils doivent être fiers de ce qu’ils ont appris ».

 

Stéphanie Bury Moné (c)UPSaclay/SD