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V4Cure : du venin de serpent pour soigner les reins

Innovation Article publié le 25 octobre 2023 , mis à jour le 16 janvier 2024

Inspirée par une toxine présente dans le venin du mamba, un serpent venimeux d’Afrique, la start-up francilienne V4Cure développe un candidat-médicament destiné à soigner deux pathologies rénales mal prises en charge par la pharmacopée actuelle. Focus sur cette toute jeune entreprise prometteuse.

En mars 2023, Nicolas Gilles, chercheur au CEA, et Sonia Escaich, future CEO, créent la société V4Cure. Cette start-up est issue du Laboratoire de pharmacologie expérimentale et moléculaire (LPEM) du Service d’ingénierie moléculaire pour la santé (SIMOS), au sein de l’unité Médicaments et technologies pour la santé (MTS — Université Paris-Saclay, CEA, INRAE). Elle est hébergée par l’incubateur de start-up BPS de l’hôpital Cochin à Paris. Son objectif est de développer un candidat-médicament, baptisé V4C-232. Il s’agit d’un dérivé d’une toxine contenue dans le venin du mamba, un serpent d’Afrique subsaharienne, dont la morsure est létale pour les êtres humains. Cette molécule permettrait de traiter deux pathologies - l’hyponatrémie et la polykystose rénale – qui touchent dix millions de personnes en occident.

Dans l’hyponatrémie hypervolémique, le taux de sodium présent dans le corps devient trop faible à cause d’un excès d’eau corporelle totale. Les sels sont alors trop dilués dans le sang. Cette anomalie électrolytique implique principalement un dysfonctionnement du système nerveux central, allant jusqu’à des crises d’épilepsie, au coma, ou même à la mort. La polykystose rénale est quant à elle une maladie génétique rare et incurable. Des kystes se forment au niveau des reins et détruisent le fonctionnement de ces organes. Les patientes et patients touchés finissent par avoir besoin d’une greffe de reins.

Une toxine très sélective

« Notre toxine bloque de façon très sélective les récepteurs au niveau des reins responsables de l’homéostasie aqueuse dans le corps. Par exemple, lorsque nous produisons un effort, que nous transpirons et que l’organisme a besoin de liquide, il concentre les urines pour en tirer de l’eau. Ce processus est stoppé par notre molécule. Dans le cas de l’hyponatrémie, en bloquant le récepteur, le ou la patiente peut éliminer de l’eau via l’urine, sans perdre de sel, et ainsi retrouver un taux de sodium normal. Pour la polykystose rénale, la molécule V4C-232 freine la progression de la maladie et donc retarde la greffe », indique Nicolas Gilles, fondateur de V4Cure.

Cette molécule prometteuse est issue d’un travail de longue haleine réalisé par Nicolas Gilles depuis 2009 au sein du laboratoire. « J’étudie les toxines animales depuis des années pour essayer de découvrir des candidats thérapeutiques. J’ai mis en place une stratégie pour identifier des cibles thérapeutiques et mettre au point des tests de criblages afin d’identifier des toxines animales d’intérêt. Parmi l’ensemble des substances identifiées, celle qui a montré le plus d’intérêt est la “mambaquarétine”, présente dans le venin du serpent éponyme et qui bloque la concentration urinaire sans faire perdre de sel », explique le chercheur. Par la suite, il conduit des tests en pharmacologie moléculaire et in vivo sur des rongeurs pour valider l’activité biologique de cette toxine. « J’ai ainsi démontré l’efficacité de cette molécule pour traiter les pathologies rénales. Je l’ai ensuite améliorée pour lui conférer plus d’activité. » Suite à ses travaux, le chercheur dépose un deuxième brevet (PCT/EP2021/0672248). « La seule stratégie pour aller encore plus loin dans le développement de ce candidat-médicament était de créer une start-up. »

Une start-up pour faire progresser le développement

Au départ, Nicolas Gilles envisage de trouver une industrie pharmaceutique en mesure de reprendre son principe actif et de le développer. C’est finalement avec une entreprise lyonnaise qu’il travaille pendant près d’un an et demi. Malheureusement, cette dernière abandonne le projet, ce qui décide Nicolas Gilles à monter sa propre start-up. « Je cherchais un CEO qui soit capable de prendre en charge le développement de la start-up et c’est à ce moment, en septembre 2022, que j’ai rencontré Sonia Escaich, experte en R&D pharmaceutique et en création de biotechnologies. Nous avons ensuite travaillé plus de dix-huit mois ensemble pour consolider notre business plan, notre stratégie, faire des présentations pour les business angels. Grâce au soutien du CEA via le programme Magellan, nous avons réalisé une étude de marché et des conditions de compétition. Nous devions être sûrs qu’il y avait une place pour notre futur candidat-médicament. Nous avons fait des interviews de néphrologues pour savoir si notre traitement serait bien reçu. Il a également fallu discuter avec différents contacts pour être certains de lever de l’argent. Finalement, nous avons officiellement créé V4Cure en mars 2023 », développe Nicolas Gilles. Quatre fondateurs portent l’entreprise : le CEA, Nicolas Gilles, Sonia Escaich et Nabil Gharios, un spécialiste de la finance et qui gère des fonds d’investissement dans les biotechs.

V4Cure, grand prix du jury i-Lab 2022

En 2022, V4Cure devient lauréate du grand prix du jury de i-Lab et bénéficie de cette subvention à l’innovation. Comme l’explique Nicolas Gilles, « en janvier et février 2023, nous sommes allés discuter avec des business angels qui nous ont financés à hauteur de 500 000 € supplémentaires, ce qui nous a aidés à débloquer les fonds de i-Lab. Puisque la molécule est finalisée et optimisée, cet argent va nous offrir la possibilité de travailler sur la formulation du candidat-médicament, c’est-à-dire la manière dont il va être administré ». Les études de marché se poursuivent pour mieux comprendre les besoins des patientes et patients. En novembre 2023, la start-up démarrera une nouvelle levée de fonds pour une série A. D’ici la fin d’année, V4Cure devrait également profiter d’autres aides à la création de sociétés innovantes de la part de la BPI et, à terme, recruter entre cinq et sept personnes.

Les fondateurs de l’entreprise espèrent commencer les essais de phase I en 2026 et une phase II en 2027. Ils seront aidés par des prestataires de services qui réaliseront les études dans le cadre du développement thérapeutique. « Après cette étape, nous vendrons V4Cure à une grande entreprise pharmaceutique qui se chargera d’effectuer les phases III et de mettre le médicament sur le marché pour 2032 », commente Nicolas Gilles.

Bien que la toxine initiale provienne du mamba vert d’Afrique, la molécule du candidat-médicament est entièrement synthétique et recréée en laboratoire. « Cela montre tout de même l’importance de préserver les ressources naturelles. À l’heure actuelle, la faune et la flore restent la plus grande source d’inspiration pour le développement de médicaments. Dans le venin de la moindre petite araignée se trouvent plusieurs centaines de toxines qui pourraient favoriser la fabrication des médicaments de demain », conclut le chercheur.