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Améliorer l’efficacité des radiothérapies grâce à l’intelligence artificielle

Recherche Article publié le 18 mars 2022 , mis à jour le 18 mars 2022

Le projet LySAIRI, initié par Éric Deutsch du laboratoire Radiothérapie moléculaire et innovation thérapeutique (RaMo-IT - Univ. Paris-Saclay, Gustave Roussy, Inserm) et lauréat de l’appel à projets de recherche hospitalo-universitaire (RHU) en santé 2021, vise à réduire les effets néfastes de la radiothérapie sur le système immunitaire. Cette recherche transdisciplinaire utilise l’intelligence artificielle pour améliorer le ciblage des traitements dans le cadre des tumeurs du cou et de la tête.

La radiothérapie est utilisée depuis de nombreuses années dans le traitement des cancers. Celle-ci a un effet direct sur les cellules cancéreuses en entrainant leur destruction. On sait par ailleurs que la radiothérapie a un effet double sur l’immunité : les radiations stimulent le système immunitaire, mais peuvent en même temps l’affaiblir.

« Cela fait plus de dix ans que l’on constate les effets stimulants de la radiothérapie sur la réponse immunitaire, explique Éric Deutsch, professeur en oncologie-radiothérapie à l'Université Paris-Saclay et responsable du laboratoire Radiothérapie moléculaire et innovation thérapeutique. Ce traitement active les cellules immunitaires contre la tumeur. L’irradiation peut rendre une tumeur plus immunogénique, ce qui accroit ainsi la réponse immunitaire de l’organisme. Mais en parallèle, on observe aussi des effets immunosuppresseurs, et c’est ce que l’on cherche à limiter pour maximiser l’efficacité de la radiothérapie. »

Les données de la littérature démontrent en effet que les rayonnements ionisants, en plus de leur cytotoxicité directe, induisent une immunité antitumorale de l’organisme. La radiothérapie provoque un relargage d’antigènes associés aux tumeurs, une production de cytokines pro-inflammatoires, l’induction d’une mort cellulaire stimulant l’immunité, et un remodelage des vaisseaux facilitant l’infiltration des lymphocytes T (des cellules tueuses essentielles dans la réponse immunitaire contre les cancers) au sein de la tumeur.

 

Stimuler le système immunitaire dans le cadre d’une radiothérapie

Le but du projet LySAIRI, lauréat de l’appel à projets RHU, est de concevoir une radiothérapie innovante qui stimulerait le système immunitaire sans l’affaiblir. Cela en travaillant sur deux axes principaux : d’une part la réduction des effets délétères du traitement sur les cellules immunitaires, et d’autre part l’utilisation de médicaments pour stimuler l’immunité.

Après la chirurgie, la radiothérapie représente le deuxième traitement le plus important pour parvenir à guérir les patientes et les patients. L’enjeu est donc de taille. « Et aujourd’hui l’objectif est de multiplier par deux le nombre de malades guéris sans séquelles », précise Éric Deutsch.

Un premier aspect du projet, très innovant, consiste à utiliser l’intelligence artificielle pour cibler au mieux les tumeurs par radiothérapie. « Nous voulons augmenter la précision des traitements, poursuit Éric Deutsch. Pour cela, nous employons l’intelligence artificielle pour corréler des observations faites à l’échelle microscopique avec des images obtenues par un scanner. L’idée est de mieux cibler les zones à traiter à partir des données d’imagerie. » Les médecins définissent les zones à traiter et les doses de radiothérapies à mettre en œuvre chez un patient ou une patiente, en se basant sur les résultats obtenus par le scanner. Éric Deutsch et ses collaborateurs et collaboratrices souhaitent utiliser des algorithmes pour modéliser une image microscopique virtuelle de la tumeur, et réussir à mieux définir les zones à traiter et optimiser les doses de rayons à employer. « Plus nous serons précis, mieux nous calibrerons le traitement à administrer », précise le chercheur.

Pour atteindre cet objectif, l’équipe étudie des tumeurs extraites au sein d’un échantillon de patientes et patients. Les observations microscopiques sont numérisées, et les données sont corrélées avec des images scanner obtenues au préalable. Grâce à cela, les scientifiques en déduisent un algorithme et évaluent avec une très haute précision les régions d’une tumeur observée par imagerie au moyen de l’intelligence artificielle. Ce procédé aide à définir précisément la dose de radiations à employer dans le traitement.

Le deuxième axe du projet consiste à modéliser le flux sanguin au niveau du cou des patientes et des patients, avec comme objectif de quantifier in fine les radiations reçues par les cellules immunitaires circulantes. « Nous utilisons des algorithmes développés par des cardiologues et radiologues pour évaluer le débit cardiaque, poursuit Éric Deutsch. C’est la première fois que l’on cherche à évaluer un tel impact de la radiothérapie. Cela va nous permettre de calculer les doses réellement reçues par les cellules. »

 

Disposer d’une solution clé en main pour tous les hôpitaux

Le troisième volet du projet LySAIRI vise à développer des outils logiciels pour réaliser toutes ces opérations de manière automatisée. « Notre but est qu’en un clic le médecin ait une définition microscopique de la tumeur et qu’il soit capable d’optimiser les doses de radiations à mettre en œuvre », explique Éric Deutsch. En d’autres termes, une solution prête à l’emploi applicable à tous les hôpitaux.

L’équipe s’intéresse également aux médicaments capables de protéger le système immunitaire et à leur emploi. « Nous allons utiliser des immunocytokines qui favorisent la croissance des lymphocytes T et des lymphocytes NK (N.B. : cellules natural killer, lymphocytes du système immunitaire inné capables de tuer des cellules tumorales), impliqués dans la réponse antitumorale, explique Éric Deutsch. Si ces traitements sont aujourd’hui bien connus et identifiés, personne n’a auparavant pensé à les utiliser dans ce contexte. Notre hypothèse est que la radiothérapie doit être associée à une stimulation du système immunitaire pour être pleinement efficace. »

 

« Il n’est plus possible d’ignorer les effets délétères des radiations sur le système immunitaire »

« L’innovation dans ce projet vient du concept de rupture : nous utilisons la radiothérapie depuis 100 ans mais jamais de tels travaux n’ont été initiés. Par ailleurs, ces méthodes pourront s’adapter à toutes les thérapies contre le cancer. Aujourd’hui, il n’est plus possible d’ignorer les effets délétères des radiations sur le système immunitaire », affirme Éric Deutsch.

Pour ce projet, l’équipe, comprenant des biologistes, des médecins oncologues et radiothérapeutes, des spécialistes en imagerie, des physiciennes et physiciens médicaux, des ingénieures et ingénieurs, et des mathématiciennes et mathématiciens de CentraleSupélec, travaille en partenariat avec le Centre Léon Bérard à Lyon, qui fournit des données de patientes et patients. Également impliquées, les start-up TRIBVN et THERAPANACEA spécialisées en pathologie numérique travaillent sur l’intelligence artificielle et son utilisation pour concevoir de nouveaux outils au service de la médecine.

« Nous souhaitons également quantifier l’utilité de notre projet à la société », poursuit Éric Deutsch. L'ESSEC, une école de commerce, va ainsi travailler sur l’évaluation du bénéfice sociétale apporté par LySAIRI. Cela consistera à évaluer le coût des traitements et le temps gagné grâce à l’automatisation des opérations apportée par l’intelligence artificielle. Il s’agira également d’estimer la réduction des coûts occasionnés aux hôpitaux et à la sécurité sociale.

« Une partie de LySAIRI a commencé avant l’appel à projets RHU car nous disposions de premières données, précise Éric Deutsch. Mais sans ce financement, nous n’aurions pas eu la même dynamique collective et envisagé certains aspects. Le financement va nous aider à obtenir une analyse complète et à avoir un niveau d’ambition élevé. LySAIRI bénéficiera ainsi de plus de neuf millions d’euros sur cinq ans. Dans un premier temps, nous nous focalisons sur les tumeurs de la tête et du cou. C’est une première étape, mais nous souhaitons élargir l’étude à tous les autres cancers. Cette recherche est susceptible d’évoluer et des projets collatéraux vont probablement naître », conclut le chercheur.

 

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